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Du bon usage de l’antifascisme
Ronald Creagh
Article mis en ligne le 30 avril 2015
dernière modification le 24 mai 2017

« La catastrophe, c’est que cela continue comme avant. » Walter Benjamin

Ils arrivèrent par dizaine de milliers de toutes les Berlin : c’était une houle de drapeaux et de bannières, une pulsation cadencée de pas, rythmés par le défilé des groupes paramilitaires et des collectivités en marche d’où émanaient une succession de slogans, de chants, de musique, de fanfares, qu’accompagnaient les ovations des spectateurs. L’impressionnant défilé déboucha sur le Lustgarten où se trouvaient les chefs de la social-démocratie ; elle couvrit tout le lieu et déborda de partout. Ils étaient plus de soixante-dix mille. L’orateur poursuivait son discours : « C’est une question de vie ou de mort ! La garantie constitutionnelle des droits de citoyen du peuple entier est en jeu !… Le front uni du prolétariat naîtra du combat, et seulement dans le combat… Malheur à la classe ouvrière si, ce jour-là, elle n’est pas unie. »

En fin de journée, les manifestants allaient et venaient à travers Berlin par centaine de milliers. Vingt-quatre heures plus tard, le 30 janvier 1933, une annonce officielle faisait savoir au monde que le président Hindenburg avait promu Hitler chancelier d’Allemagne. Le peuple berlinois avait exprimé sa volonté. D’autres avaient décidé de son destin. Aux États-Unis, le président du comité sénatorial des affaires étrangères, M. Borah, déclara : « Je crois que von Hindenburg est l’un des plus grands hommes de tous les temps.4 » Un demi-siècle plus tard, l’historien Jacques Droz écrivait : « La réflexion antifasciste semble avoir été incapable de déterminer où s’arrêtait le fascisme et quelle était sa nature.5 » Comment expliquer ce jugement sévère ? Cet article espère répondre en partie à cette question. Il réinterprète l’histoire du mouvement antifasciste, particulièrement en Allemagne et en France, et il signale des champs d’action de l’extrême droite contemporaine en France. À l’opposé d’historiens qui font table rase des mouvements autonomistes, il commence par un rappel bien désagréable : celui des Conseils ouvriers si souvent écrasés par des appareils politiques « de gauche ». Il mentionne ensuite les stratégies antifascistes qui furent mises en place. Il repère enfin quelques terrains de bataille dans la France contemporaine. Présenter en quelques pages une cascade d’événements qui s’étendent sur près d’un siècle doit rappeler à la lectrice et au lecteur que tout récit historique est singulier. Il convient de s’offrir quelques visions panoramiques avant d’établir ses propres convictions.