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Eduardo Colombo
Joaquin Penina, le fusillé de Rosario
Article mis en ligne le 4 décembre 2008
dernière modification le 22 août 2009

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À
Guillermo Savloff

La Junte militaire qui prit le pouvoir en mars 1976 en
Argentine, a continué et amplifié la terreur d’État que des
groupes paramilitaires d’extrême droite avaient commencé à
instaurer quelque temps auparavant en séquestrant et en éliminant les
opposants. La torture systématique, les prisons clandestines
disséminées dans tout le pays, le vol des enfants nés en captivité, le fait
que la plupart des séquestrés ne sortent pas vivants, les cadavres qui
échouent sur les marges de l’estuaire, témoins muets du largage des
avions, dans la mer ou dans l’embouchure du Rio de la Plata,
d’hommes et de femmes narcotisés, toute cette barbarie, cette brutale
répression qui s’abat sur la population, crée un lourd climat qui a un
dénominateur commun : les disparus. Les gens disparaissent,
quelquefois on trouve les corps, généralement non. Les « Folles de la
Place de Mai », devenues plus tard « les Mères », qui tournent toutes les
semaines en ronde devant le Palais présidentiel, sont les seules marques
vivantes2 de ces 30 000 disparitions.

Avec le temps, en surmontant les lois
« d’obéissance due » et les prescriptions
de délits, des charniers ont été découverts
et des corps et des responsables
reconnus. Ainsi, les assassinés qu’on sort
de terre en appellent à d’autres morts, à
d’autres disparus, et on découvre que
l’élimination de ceux qui ne se
soumettent pas n’a pas commencé en
1976, mais qu’au lendemain du coup
militaire du général Uriburu en 1930 –
premier des cinq coups d’État perpétrés
par l’Armée argentine le siècle dernier –
un ouvrier anarchiste, Joaquin Penina,
avait été fusillé dans la ville de Rosario, et
inhumé comme NN (Non Nominato)
dans le cimetière local. On lui attribue,
alors, le titre de « premier disparu ». Titre
assurément excessif parce qu’on peut
supposer raisonnablement qu’il y a eu
d’autres ignorés de l’histoire.

L’exécution de Penina, totalement
méconnue de l’histoire officielle, était
connue du mouvement anarchiste ;
nous savions qu’il avait été fusillé dans
« las Barrancas de Saladillo » (Rosario),
accusé de distribuer un tract contre le
coup militaire, mais nous ne savions
presque rien de plus. J’ai demandé
quelquefois à de vieux compagnons de
la région ce qu’ils savaient de cet
assassinat, mais apparemment personne
ne savait rien d’autre que ce fait
brut3. D. A. de Santillán parle de Penina
dans ses Mémoires4 mais il n’ajoute pas
d’informations significatives.

Penina ne restera pas seul. La dictature
des années 30, expression de la réaction
patronale et anti-ouvrière, continuait à
appliquer la loi martiale et un tribunal
militaire réuni à la hâte fera fusiller Di
Giovanni et Scarfo le 1er février 1931.Tous
les anarchistes actifs dans l’organisation
ouvrière ou dans la presse ont été
envoyés au bagne d’Ushuaia, ont été
déportés, ou se sont exilés. Avec les
détenus rétifs la police applique la « loi
Bazan »5. Seuls restent dans l’action ceux
qui combattent les armes à la main.
Juan Antonio Moran, timonier de son
métier, fut à deux reprises secrétaire
général de la Fédération Ouvrière
Maritime, et était un anarchiste très actif,
comme tant d’autres de cette période à
Buenos Aires et à Montevideo, par
exemple, pour n’en citer que quelquesuns
 : Emilio Uriondo, Vazquez Paredes,
l’Espagnol Gonzalez, Miguel Arcangel
Roscigna, Astolfi, etc.

Moran est arrêté en 1933 et début
mai 1935 la justice le relâche faute de
preuves. En sortant de prison il est
séquestré et son cadavre sera retrouvé
deux jours plus tard, avec une balle dans
la nuque et mutilé. On voit déjà la
méthode qui sera appliquée en 1974-75
sous le gouvernement péroniste par la
Triple A.

Les anarchistes Roscigna, Andrés
Vazquez Paredes et Fernando Malvicini,
détenus à Montevideo sont expulsés vers
Buenos Aires en décembre 1936. En
Argentine les juges les relâchent, mais ils
sont retenus par la police et transférés de
prison en prison où leur trace se perd.Un
fonctionnaire d’Ordre social aurait dit à
des compagnons du Comité de défense
Joaquin Penina, le fusillé de Rosario
des prisonniers de la FORA : « Ne vous
fatiguez pas, les gars. Ils ont appliqué la
loi Bazan. Ils les ont jetés au fond du Rio
de La Plata. » On n’a jamais retrouvé
leurs corps.

L’ombre de Penina risqua de refaire
surface, timidement et sans succès, en
19757. Un journaliste, Aldo Oliva, poète
et correcteur des éditions d’une
Bibliothèque populaire de la ville de
Rosario, sûrement aiguillonné par le
climat de violence politique de ces
années-là, violence totalement encadrée
dans la logique du pouvoir, s’intéressa à
l’assassinat de Joaquin Penina, ce
tolstoïen engagé dans la tendance non
violente de l’anarchisme. Différence de
tendances dans l’anarchisme à coup sûr,
mais les faits avaient montré que la
dictature ne faisait pas de différence
parmi les « tendances » de l’anarchisme
révolutionnaire.

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