Réfractions, recherches et expressions anarchistes
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Editorial
Article mis en ligne le 8 mai 2016

CE NUMÉRO DE RÉFRACTIONS EST PARTI D’UN DOUBLE CONSTAT. Le premier, c’est que nous vivons, tout du moins dans ce qu’on appelle le monde occidental, dans des sociétés où la perspective révolutionnaire semble s’être éloignée, sinon avoir complètement disparu.

Dès lors, le projet libertaire se retrouverait orphelin d’une révolution qui semble pourtant en être la condition nécessaire, et dont il ne faudrait pas perdre le désir. Le second, c’est qu’il existe, ici et ailleurs, quantité d’expériences sociales et politiques dans lesquelles il est possible de se reconnaître et qui se situent explicitement dans un horizon révolutionnaire sans pour autant être concentrées sur l’instant dramatique du renversement de l’ordre établi. Le développement du mouvement anarchiste en Grèce, l’essor, notamment en Espagne, d’un mouvement multiforme de sécession vis-à-vis de l’État et de la société capitaliste, le lent mouvement d’autonomisation porté par les zapatistes au Mexique, voire (pour autant qu’on puisse avoir des informations fiables à son propos) le confédéralisme démocratique tel qu’il serait pratiqué dans la partie syrienne du Kurdistan (Rojava), tous ces processus attirent aujourd’hui l’attention des militants libertaires qui savent que leurs aspirations signifient une subversion complète de l‘ordre existant. Au moment où nous bouclons ce numéro, nous assistons également avec intérêt (et certains d’entre nous participent), en France, aux contestations de la loi « Travail » et au mouvement « Nuit Debout » qui, s’il n’est pas un mouvement révolutionnaire, nous semble néanmoins avoir le mérite d’aller dans le sens de l’inventivité.

À quoi pourrait donc ressembler aujourd’hui une transformation révolutionnaire ? Peut-on deviner ce que seront les révolutions de demain ? Celles-ci peuvent-elle être cherchées dans la continuité de celles qui ont jalonné le XIXe siècle, et qui avaient toutes plus ou moins la révolution française pourmodèle ? Ou bien, dans les tentatives pratiques qui remettent en cause le fonctionnement même de nos sociétés, de nouvelles formes de révolution sont-elles déjà en cours de réinvention, voire en gestation ? Et ces deux perspectives s’excluent-elles ? C’est à ces questions que s’affrontent les différents articles réunis dans le dossier principal de ce numéro. Comme le but n’est pas de parvenir à y répondre d’une manière univoque, en proposant en quelque sorte clés en main le mode d’emploi des révolutions de l’avenir, les textes en question proposent des perspectives diverses, voire divergentes – qu’il s’agisse du rapport à l’histoire de la révolution en général et de l’anarchisme révolutionnaire en particulier, ou de la signification qu’il est possible de donner à des mouvements en cours –mais sans jamais perdre de vue que, pour des anarchistes, il n’est pas possible de dissocier la préparation de la révolution et sa mise en oeuvre.

Mais s’il nous est apparu à la fois si urgent et si difficile de dessiner les contours des révolutions dont nos sociétés seraient porteuses, c’est aussi que ces dernières sont affectées par des processus qui vont dans le sens exactement inverse de ce que nous désirons. Comme la plupart de nos contemporains, nous avons été choqués (mais pas nécessairement surpris) aussi bien par les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre dernier, puis Bruxelles le 22mars, que par l’occasion qu’ils ont constituée pour l’État français, comme pour d’autres avant lui, d’étoffer considérablement son arsenal répressif à la faveur de l’émotion générale.Aspirant à une révolution sociale et libertaire, nous ne pouvons être indifférents ni à l’irruption d’une violence extrême adossée à un projet théocratique qui condense à peu près tout ce que nous abhorrons, ni à des mesures prises au motif de l’antiterrorisme qui, tôt ou tard, ne manqueront pas d’être utilisées contre nos propres activités, quand elles ne le sont pas déjà.

Nous avons ainsi tenu à faire figurer dans ce numéro ce qui peut apparaître comme un second dossier, consacré aux événements récents, aux significations qu’il était possible de leur attribuer et aux perspectives qu’ils dessinaient. On pourra donc lire ce numéro comme la juxtaposition d’un regard prospectif sur la révolution et d’un diagnostic sur les formes actuelles de la contre-révolution.

La commission