Par son effort d’objectivité, la science a largement fait ses preuves, autant en théorie (ex. : gravitation, immunologie) qu’en pratique (ex. : satellites, vaccins). Elle a ainsi acquis une grande crédibilité, à tel point que « scientifique » est - parfois abusivement - synonyme de « vrai ». Il est évidemment légitime de se référer par exemple aux acquis scientifiques en matière d’immunologie avant de prendre des décisions concernant la santé publique. Mais il n’est pas rare que les politiciens, ou les chercheurs eux-mêmes, utilisent la crédibilité scientifique au-delà du champ de validité de chaque science pour justifier une idéologie politique. Je m’intéresserai donc à ce cas particulier de l’utilisation abusive, illégitime, de l’étiquette « scientifique » pour justifier des choix politiques.
Une remarque préalable : dans l’usage commun, le mot « idéologie » est souvent péjoratif, évoquant soit une utopie irréalisable et dogmatique soit un mensonge à soi-même autour duquel s’élabore un système d’idées. J’utiliserai au contraire la définition plus générale, indépendante de tout jugement de valeur : ensemble d’idées propre à un groupe, une époque ou une société. Incluse dans l’idéologie ainsi définie, la théorie scientifique est bien un système de pensée, mais créée et utilisée par les scientifiques comme outil conceptuel pour décrire la nature. Cette structure, reconnue par la communauté scientifique, peut acquérir une grande fiabilité lors de sa confrontation à la réalité. Le sens commun lui accorde alors une connotation positive, signe de crédibilité, et l’associe même à la notion de neutralité politique, association que nous aurons à contester par la suite. En bref, dans un contexte donné, la théorie est plus ou moins influencée par l’idéologie ambiante. Inversement, la théorie scientifique peut servir à légitimer telle ou telle idéologie particulière. Nous illustrerons ces liens à travers quatre exemples empruntés à la biologie.
Lire la suite, fichier pdf