Réfractions, recherches et expressions anarchistes
Slogan du site
Descriptif du site
Qu’est-ce qu’une société autonome ?
Claudio Albertani
Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 1er mai 2013

Castoriadis, les peuples indigènes
et le relativisme culturel

Il faut que le monde soit tel que les visions du monde des nambikwaras,
de Confucius, des Vedas, des anciens Grecs,
des Hébreux, des Chrétiens, des athées,
ne soient pas en contradiction flagrante avec lui.
Cornelius Castoriadis

Nous vivons dans un monde dominé par les désastres
environnementaux, l’aliénation mercantile et la pensée faible.
Alors que devient évident le triple échec du communisme
d’État, de la social-démocratie et du néolibéralisme, l’incapacité persiste
d’imaginer une société différente. C’est pour cette raison que la figure
de Castoriadis continue à éclairer notre chemin en nous donnant à
penser même quand nous sommes en désaccord avec lui. C’est le cas
du débat public qu’il a soutenu en décembre 1994 avec des membres
du « Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences Sociales »
(MAUSS), un groupe de théoriciens français, parmi lesquels se
distinguent Alain Caillé et Serge Latouche, qui dénoncent la mystification
de la raison économique et proposent la « décroissance »
comme issue à la crise1. Pourquoi le dépoussiérer dix-sept ans après ?
Pour son actualité et pour les problèmes qu’il aborde : la politique
comme activité collective qui questionne l’état de choses présent, et la
construction du projet d’autonomie. Je commencerai par reconstruire
les origines intellectuelles du débat, pour aborder ensuite certains de
ses points principaux et reprendre finalement divers thèmes
controversés.

Antécédents

Il n’est pas nécessaire de revenir sur la
trajectoire de Castoriadis : sa participation
à la révolution grecque manquée à la fin
de la seconde guerre mondiale, l’exil en
France, la militance dans le groupe
Socialisme ou Barbarie, la critique de la
bureaucratie, l’approche de la psychanalyse,
l’interrogation constante et
dépourvue de préjugés sur les grands
problèmes du monde actuel. Un fil rouge
traverse ces expériences apparemment
désunies : la revendication passionnée et
même impétueuse de l’autonomie
individuelle et collective, non seulement
au sens politique, mais aussi philosophique
et existentiel. Son oeuvre n’est
pas directement liée à l’autonomie telle
que la conçoivent les peuples indigènes,
mais je tenterai de montrer qu’elle se
révèle extrêmement utile pour
comprendre la portée de leurs luttes.

Nous lui devons en outre la triple critique
du marxisme, de la politique traditionnelle
et de l’ontologie héritée.

Moins connu, du moins au Mexique,
est le parcours du MAUSS2. À partir de 1981, et par l’intermédiaire des colonnes
de la revue du même nom, ce groupe a
élaboré une réflexion qui s’inspire
principalement (mais pas exclusivement)
du travail de Marcel Mauss (1872-1950).
Anthropologue, sociologue, sympathisant
d’un socialisme de type proudhonien,
militant du mouvement des
coopératives et critique contemporain du
bolchevisme3, Mauss est l’auteur du
fameux Essai sur le don, un traité sur les
méthodes d’échange dans les sociétés
archaïques, qui déploie d’importantes
implications philosophiques et politiques4.
Comme l’écrit David Graeber,
c’est l’une des réfutations les plus
radicales jamais écrites de l’économie
politique et, en même temps, une
réponse raisonnée aux pièges de la
révolution russe5.

Après avoir analysé la nature des
transactions humaines dans différentes
sociétés (Mélanésie, Papouasie et
certaines tribus du Nord et du Nord-
Ouest des États-Unis), Mauss arrive à la
conclusion qu’une grande partie de ce
que la science économique a à dire sur
l’histoire économique est radicalement
faux. Le postulat partagé par tous les
fanatiques de la libre concurrence, selon
lequel le stimulant principal des êtres
humains est le désir de maximiser les
possessions matérielles, tout simplement
ne tient pas. L’homo oeconomicus est une
invention exclusive de la modernité : « il
ne se rencontre pas derrière nous, mais
devant nous » (p. 272). Contrairement à
ce que pensaient Smith, Ricardo, Nassau
et tous leurs descendants – mais aussi
leurs critiques, Marx et Engels –, le troc
ne précède pas la marchandise et il
n’existe pas entre les deux modes
d’échange une succession nécessaire.
Dans les sociétés dites « archaïques

Lire la suite