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Histoire et actualité du sujet révolutionnaire
Daniel Colson
Article mis en ligne le 26 avril 2011
dernière modification le 26 avril 2013

La
question du sujet révolutionnaire
est sans doute celle où
s’affirme le plus nettement la différence radicale entre marxisme et
anarchisme.

Une différence d’autant plus sensible qu’elle agit au
cœur même des mouvements émancipateurs, dans leur histoire passée
comme dans la situation présente. C’est tout du moins ce que ce texte
voudrait montrer et ceci à partir de trois parties : une partie théorique, et
fondatrice du point de vue de la pensée, à travers la confrontation entre
Marx et Proudhon ; une partie historique, à travers l’examen rapide de ce
que l’on peut appeler l’anarchisme ouvrier ou (c’est la même chose) les
mouvements ouvriers à caractère révolutionnaire ; une partie contemporaine et prospective, portant sur la situation actuelle et ce que l’on peut
en espérer d’un point de vue libertaire.

Marx et Proudhon

Marx parle « du prolétariat », de « la classe ouvrière », au singulier.
Proudhon (le plus souvent) parle « des classes ouvrières », au pluriel.

Il ne
s’agit pas ici d’un détail mais au contraire de l’indice de deux conceptions
radicalement différentes du monde et de la réalité, de l’un et du multiple,
de la révolution et de la natur
e
du mouvement ouvrier.

Deux conceptions
qui permettent de comprendre le malentendu explosif des rapports entre
Marx et Proudhon, le mépris du premier pour l’empirisme et le pluralisme 16
du second, les répugnances immédiates et
instinctives (ou intuitives) de Proudhon
pour la posture et les prétentions de Marx.

Marx et le marxisme.

Pour Marx et sa vision scientifique et
dialectique du fonctionnement et du
devenir du monde, révolution et socialisme
sont l’aboutissement inéluctable d’une
logique négative et purificatrice qui
échappe à tous et à chacun, sauf à l’œil
perspicace du savant. Au terme d’une
succession inéluctable de systèmes éco-
nomiques et sociaux toujours plus contra-
dictoires, fondés sur la domination et la
lutte des classes, le dernier d’entre eux, le
capitalisme, produit à son tour sa propre
destruction,
mais définitivement cette fois,
sans restes ni scories, pour – miracle du
matérialisme historique – déboucher enfin,
par l’intensité et la netteté destructrices de
sa guerre interne, sur la fin de toute histoire
possible (avec ses péripéties et ses incon-
gruités),

sur l’harmonie et la transparence
du communisme, sur une humanité
entièrement réconciliée avec elle-même et
pouvant enfin jouir de son bonheur
immobile. Dans cette vision éminemment eligieuse du devenir du monde et de
l’humanité, « la » classe ouvrière, « le »
prolétariat fonctionnent moins comme un
sujet qu’en instrument du destin, en bras
armé de la nécessité historique, en ange
exterminateur produit par ce qu’il détruit,
toujours plus acéré dans sa fonction
négative, dépouillé de toute qualité empirique et de toute attache singulière, rendu à
son rôle universel et abstrait.

Il ne faudrait pas croire cependant que
cette vision idéaliste et religieuse du
devenir humain et du « sujet » chargé d’en
être l’agent objectif et subjectif ne possède
aucun répondant dans la matérialité du
monde, telle que chacun peut la vivre et la
percevoir. Si le « prolétariat » n’est « rien »,
comme le chante L’internationale,
ce n’est
pas pour de
venir « tout », mais pour laisser
toute la place à d’autres intérêts, d’autres
subjectivités collectives bien réelles pour
leur part, et disposant d’un pouvoir d’au-
tant plus grand qu’elles agissent justement
au nom du rien.

Sur le modèle du
« fantôme divin » dont parle Bakounine
,la
force imaginaire et dominatrice du projet
marxiste implique des mécanismes et des
intérêts matériels et collectifs, qui à la fois
lui donnent corps et se masquent (ou se
justifient) derrière
les mensonges et les
prétentions illusoires de ses dogmes et de
ses affirmations.

Ces répondants sont
principalement au nombre
de deux.
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