Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites
s’éteignait tout doucement fin 2010, une autre dynamique
s’installait. C’est celle des collectifs issus d’une lutte ressentie
comme trahie par les syndicats majoritaires.
La lutte contre la réforme des retraites qui se déroula tout au long de
l’année 2010, et particulièrement au cours des mois de septembre à
novembre, fut victime de ses propres limites. Le syndicalisme français, on
le sait, se distingue par une division forte, un taux de syndiqués très
faible1
mais avec une capacité à mobiliser assez étonnante
.Autre limite,
celle de l’intersyndicale, paradoxalement. En espaçant les journées de
grèves et manifestations, au lieu de chercher une protestation ramassée
dans le temps, l’intersyndicale rata l’objectif de faire changer la décision
du gouvernement Sarkozy-Fillon. Cette stratégie, qui ne peut pas
s’expliquer que par la difficulté à unifier des points de vue aussi différents
que ceux des confédérations syndicales CFDT et Solidaires par exemple,
souligna les hésitations sur le terrain. Des secteurs traditionnellement
combatifs (dans le public : cheminots, postiers, hospitaliers…) furent
moins présents ; si le secteur privé a fortement soutenu et participé au
mouvement (ce sont les travailleurs des raffineries qui ont tracé le sillon
de la révolte), cela ne fut cependant pas suffisant pour que le mot d’ordre
de « grève générale » se concrétise.
Avec des variantes locales, des radicalités s’affirmèrent autour de la
revendication de « grève générale », et ne trouvèrent pas d’expressions
dans le mouvement « officiel ». Se dégagèrent alors, assez tôt, des
tentatives de réponses à cette radicalité qui s’exprimait ici ou là, et de façon parfois massive (blocages de
l’économie, confrontations avec la police,
occupations de voies ferrées ou de voies
routières, solidarité financière avec les
grévistes…). Cela mérite que l’on s’y
arrête.
La frustration générée par un manque
évident d’en découdre des confédérations,
trouva son débouché dans des assemblées
générales ouvertes. Ces « AG » avaient
déjà été mises en œuvre dans d’autres
mouvements comparables (1995…). On
peut affirmer qu’une mémoire existe
depuis, et a permis à ces AG de se créer
très tôt, en 2010, sur un mot d’ordre
pourtant issu du mouvement « officiel » de
protestation : « On ne lâche rien ! ». Cette
réactivité, appuyée par l’internet
, est
originale. Ce sont là des tentatives de
pallier aux limites du syndicalisme officiel
en décloisonnant les catégories sociales et
professionnelles. Elles sont aussi des outils
où la démocratie directe, le pluralisme et
l’autogestion (même en recherche)
combinent la radicalité et la combativité,
en l’absence de consignes et de
bureaucrates syndicaux. C’est de la
réappropriation qui dit son nom.
Au moment où cet article est écrit, deux
rencontres nationales ont eu lieu. La
première « AG des AG » se déroula le
6novembre àTours.Trente comités locaux
s’y rencontrèrent. Le 27 novembre, c’est le
Collectif de Nantes qui organisa une
seconde rencontre nationale. Là, on
recensa 36 comités locaux, 22 étant
présents. La dernière « AG des AG » s’est
tenue à Chambéry le 22 janvier 2011,
organisée par le collectif local « Chambé
en lutte » (voir compte rendu plus bas).
Ces rencontres permettent de dégager
quelques traits communs, à relativiser en
fonction des situations locales. lire la suite