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Guillaume Gamblin
Un champ de bataille comme alternative à l’Otan ?
Article mis en ligne le 5 janvier 2010
dernière modification le 5 janvier 2012
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On a déjà tout vu et entendu en détail de la manifestation contre
l’Otan du 4 avril 2009 à Strasbourg. Je ne vais donc pas en faire le
récit. Mais livrer quelques impressions, analyses et conclusions personnelles.

Le sommet de l’Otan à Strasbourg : une occasion unique
de mettre sur le devant de la scène le débat sur les interventions
militaires en Afghanistan, sur l’impérialisme occidental ou encore sur
la militarisation de la société. Le système démocratique avait de lui-même commencé à révéler qu’il n’était pas soluble dans le militarisme : les restrictions de liberté aberrantes qui avaient été mises en place à Strasbourg avaient confronté une large part de la population aux contradictions entre armée et démocratie. Il ne suffisait plus, pour
ainsi dire, qu’à pousser la porte qui avait été ouverte. Une ville
quadrillée, les libertés des citoyens bafouées, un État policier,
tout cela pour quelques milliers de manifestants pacifiques
venus témoigner de leur horreur de la guerre et de l’impérialisme
occidental : le contraste eût été saisissant.

Malheureusement, il n’en a pas été ainsi. Quelques
centaines d’activistes sont parvenus à renverser la signification de
cet événement au profit des gouvernants sans scrupule qui se réunissaient plus loin, et de leur police. Le déploiement policier
ainsi que la répression qui ont eu lieu se sont transformés en une légitime protection policière face à une vague de dévastation aveugle déferlant sur la ville. La violence et la destruction ont changé de camp. Ces activistes ont tendu le bâton qui nous a fait tou.te.s battre, physiquement et politiquement1.

Si j’étais en charge du ministère de l’Intérieur, de la préfecture, de l’armée, du déroulement de ce sommet de l’Otan, j’aurais tout fait pour que la manifestation dérive dans le sens où
elle a dérivé. Je n’aurais pas simplement remercié intérieurement
les collaborateurs dévoués qui ont agi de la sorte, j’aurais mis tous
les moyens en œuvre pour qu’il en soit ainsi.

D’où je parle

Mais avant d’aller plus loin, je dois préciser d’où je parle.
Je me sens plutôt libertaire. J’ai une expérience des mouvements non violents et des actions de désobéissance civile. Ces dernières années, j’ai fréquenté des personnes qui se revendiquent proches de la mouvance autonome. Nous avons pu avoir de longues et nombreuses discussions sur nos sensibilités, nos moyens d’action, qui m’ont fait traverser la frontière des préjugés les plus répandus contre ces formes d’action considérées comme « extrémistes », dont j’ai
pu sentir et comprendre pour une part la sensibilité et la logique. J’ai
pu avancer dans la compréhension de certaines formes d’action que je
n’utilise pas ni ne cautionne. Nous avons pu apprendre à nous respecter, et pour cela il en a fallu des heures d’âpres débats où l’on maîtrise sa colère, et des actions communes.
Mais revenons à nos moutons.

Définitions

Prendre en sandwich des manifestants pacifistes, certains invalides ou âgés, en les encerclant littéralement d’actes de casse et de confrontation armée avec la police, ne correspond pas à la définition que je me fais du respect.

Monter sur une butte pour caillasser, encagoulés, les forces de l’ordre qui se trouvent de l’autre côté, puis courir se cacher dans la foule, non préparée, qui endure collectivement les ripostes (bombes lacrymogènes et assourdissantes, charges, flash-balls), ne correspond pas à la conception que je me fais du courage.

Quand, dans une atmosphère de chaos complet, de nombreuses personnes sous le choc, certaines en pleurs, hagardes d’émotion, se replient comme elles peuvent du front où se livre la bataille vers l’arrière, et pour cela passent en file au milieu
de l’étroit passage qui leur est laissé dans un barrage de policiers-robocops, et que ces derniers les visent à la tête avec des flash-balls en les suivant au viseur, à deux mètres à peine d’eux, quand ces personnes lèvent les bras en l’air pour passer, en guise de « drapeau blanc », venir les voir et leur dire sur un ton méprisant : « Sois un vrai homme, baisse tes mains, tu n’as pas de fierté, baisse les mains,
be a real man », correspond par contre tout à fait à ma définition du virilisme (qui est un pilier de la culture militaire, soit dit en passant).

Brûler la pharmacie qui est l’un des uniques commerces restants du quartier populaire le plus pauvre de Strasbourg ne me semble pas être un moyen d’action ni un objectif particulièrement pertinent pour lutter contre l’Otan.

Jeter des pierres sur des policiers-robocops, faire reculer une poignée de policiers de quelques mètres avant de s’enfuir, ne rentre pas non plus dans mes motifs de fierté.

Enfin, pour moi, assumer mes actes, c’est accepter de me mettre éventuellement en danger, sans mettre en danger les autres contre leur volonté.

Mais visiblement, nous n’avons pas tous le même dictionnaire.

La non-violence ?

Soyons clairs. Il n’y avait pas la non-violence d’un côté, la violence de l’autre. Manifester en cortège n’a pas plus à voir avec une action non violente que casser une vitrine. En réalité, la manifestation telle qu’elle était prévue par les grandes organisations était sans doute une action « sans violence » mais en aucun cas une
« action non-violente » (c’est-à-dire une action qui s’inscrit dans la dynamique de la non-violence active).

Les actions non violentes dont nous avons entendu parler lors de ce contre-sommet se sont notamment déroulées le matin même du 4 avril à l’initiative de certains mouvements allemands ainsi que des « désobéissants », et ces actions de blocage, qui ont parfois tenu quelques heures, auraient été plutôt réussies selon les échos que nous en avons eus de part et d’autre.

Mais revenons à notre champ de bataille.

Alors que la manifestation est bloquée par la police devant un goulet d’étranglement et que les cagoules noires s’avancent vers
l’avant du cortège, des militants pacifistes tentent de les bloquer par
une chaîne humaine. C’est peine perdue d’avance, et la partie est vite
perdue en effet : les cagoules sont les plus fortes à ce bras de fer.
On est alors dans une logique où c’est la force physique qui donne raison. Ce sont ceux qui ont la puissance physique d’écraser les autres qui font prédominer leur logique. Ce sont donc les encagoulés.

Aurait-on pu faire autrement à ce stade de la manifestation ? Comment aurait-on pu éviter, à ce moment, le dérapage dans une
atmosphère de guerre ? En dépit des apparences, cela ne me semble
pas être la bonne question. En effet, une fois que le décor est en place, il est difficile d’échapper à certains scénarios.

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