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Wolfgang Hertle
L’eau tranquille fend la pierre
Article mis en ligne le 28 novembre 2009
dernière modification le 28 novembre 2011

En Allemagne aussi on a beaucoup discuté des causes et des conséquences de la violence qui amarqué le sommet anti-Otan de Strasbourg. Du point de vue de Peter Strutinsky, du Conseil pour la paix (Friedensratschlag), trois facteurs ont conduit à l’escalade de la violence.

1. Sarkozy aurait donné à la police une consigne claire : aucun manifestant ne doit pouvoir pénétrer le centre de la ville. Le trajet imposé à la manifestation, qui menait exclusivement à travers la zone industrielle du port, fut considéré comme une provocation.

2. La police a regardé tranquillement les incendiaires mettre le feu à l’ancien poste de douane et n’est entrée en action que lorsque l’hôtel Ibis et la pharmacie ont également brûlé. C’était là le motif tout trouvé, ou plus exactement le prétexte, pour fermer le pont de l’Europe auxmanifestants qui s’étaient rassemblés de l’autre côté
du Rhin, à Kehl.

3. La violence destructrice n’est pas excusable. L’appel des organisateurs à la fusion de tous les groupes, donc aussi du
Black Bloc, était également irresponsable1.

De son côté, Stefan Philipp, de Forum Pazifismus, considère que des provocateurs policiers sont parvenus, avec le concours d’éléments violents ne dépendant pas de l’État, à détourner l’attention des idées et de la détermination de dix mille manifestants, à faire prendre ceux-ci en otages et à jeter le discrédit sur leurs revendications.

Katrin Vogler (Bund für Soziale Verteidigung – Union pour la défense
sociale) a formulé la critique suivante : il y avait, du côté des groupes initiateurs de cette manifestation, un consensus sur l’action, mais aucune stratégie sur la manière de faire respecter ce consensus
par des groupes qui n’en tenaient pas compte. Les organisateurs eux-mêmes contribuèrent à une trop forte focalisation sur la police,
ce qui eut pour conséquence d’effaroucher des fractions du mouvement peu disposées à la violence. Ce qui l’amène à demander qu’on analyse au préalable les risques éventuels et qu’on prépare
des plans alternatifs pour le pire des cas, celui par exemple où la manifestation devrait être annulée2.

Ulrike Laubenthal et Hans-Peter Richter (Sichelschmiede – « la Forge des faucilles »3) proposent des réflexions similaires. « [...] Des milliers étaient en route pour Strasbourg, qui ne voulaient que manifester pacifiquement et n’étaient pas préparés à devoir se battre pour que cela soit possible.

Des milliers d’autres étaient également en route, prêts à se battre pour le droit – y compris par la violence – et qui du coup fournissaient à la police les arguments dont elle avait besoin pour justifier son intervention.

Ces deux ingrédients constituaient le meilleur mélange pour une police qui avait pour but d’étouffer la manifestation dans l’œuf. […]
Le gouvernement avait un besoin urgent de violence du côté des manifestants.

Supposons que ce jour-là il n’y ait pas eu de violence de la part des manifestants. Pas de colonnes de fumée au-dessus de l’hôtel, pas d’abribus démoli, pas d’habitants en colère, même pas d’encagoulés. Admettons que la police aurait du début à la fin utilisé ses gaz lacrymogènes et ses grenades aveuglantes exclusivement contre des gens ne participant en aucune manière à l’escalade de la violence.

Le prix politique à payer aurait été trop élevé pour être acceptable. Nous ne saurons jamais quelles violences ont été commises par des agents provocateurs, et lesquelles par
« d’authentiques » manifestants.
Ce qui est sûr, c’est qu’elles ont toutes servi le camp opposé. […] Si cette radicalisation amène une disposition croissante à la contre-violence, elle fournit aussi le motif, tout autant que la justification, d’une répression plus large.
Ce qui a pour effet qu’un groupe de plus en plus réduit devient
toujours plus radical, alors que de plus en plus de gens se retirent
complètement – parce qu’ils ont peur des conséquences et/ou
parce qu’ils ne veulent pas participer à une résistance militante4. »

Pour Andreas Speck (War Resisters’ International), qui a participé à l’Union pour les blocages non-violents de l’Otan (Nato-Zu)5, il semble rétrospectivement que les autorités françaises voulaient qu’on en arrive à la violence. Après de longues difficultés avec les instances officielles, on n’est arrivé à des accords sur le camp qu’une semaine avant le début. Jusqu’au bout il n’y eut pas d’entente sur le parcours de la manifestation, tout juste sur le point de départ. Les autorités ne voulaient en aucun cas d’un trajet atteignant le centre ville, ce qui était inacceptable pour les organisateurs.

Il y aurait eu une foule d’agents provocateurs, mais aussi du côté des manifestants assez de gens qui ne recouraient que trop volontiers à la violence. A. Speck précise que le « Black Bloc » n’est pas une organisation, mais plutôt une tactique utilisée par un grand nombre de groupes anti-autoritaires qui entretiennent entre eux des liens souples. La confrontation violente aurait été prévisible, mais l’étendue et l’arbitraire de la violence auraient été choquants pour la plupart.

Selon l’analyse de Speck, « trois noeuds de problèmes étaient liés et se renforçaient mutuellement » :

 Une stratégie de confrontation violente de la part de groupes
« autonomes » qui se fient à l’anonymat et utilisent sans concertation et malgré eux d’autres manifestants pour assurer leur propre protection.
 La violence des banlieues françaises appauvries, qui se mêlait à
celle des autonomes mais ne poursuivait guère de buts politiques.
 L’utilisation par l’Etat d’agents provocateurs, facilitée par l’anonymat
et le mélange déjà mentionné.

Quelles fins, quels moyens, quels groupes-cibles ?

Plutôt que de se plaindre du caractère massif de la répression ou de l’intervention irresponsable des encagoulés noirs, il est important pour une politique d’émancipation par le bas d’analyser le déroulement et les effets d’actions comme celles du contre-sommet
de Strasbourg, et de les évaluer à partir de ses propres convictions.

Quel est le but de ces actions, à qui s’adressent-elles ? La radicalité verbale du genre « couler l’Otan » détourne des tâches réalisables : des manifestants ne peuvent rien empêcher réellement lors de rencontres de chefs d’État. Les gouvernants sont protégés, il ne reste en face que les médias et les forces de répression. Quel sens est-ce que cela peut avoir de se bagarrer avec la police, qui de toute façon est la plus forte en matière de violence ?

Quand le mouvement de protestation se laisse imposer par l’adversaire le lieu et l’heure de la confrontation, et se place sur son terrain en ce qui concerne les moyens, l’opinion n’est informée que de la violence réciproque et non pas des raisons pour lesquelles nous refusons une alliance qui assure à l’échelle mondiale, par la violence militaire, ressources et puissance aux pays riches.

Il est politiquement plus judicieux de dénoncer l’Otan là où la
population rencontre l’armée dans le quotidien, là où elle se fait stresser par les manœuvres, là où sa vie est affectée par les militaires.
Dans ce cas on peut montrer plus facilement comment l’argent des
impôts est gaspillé pour la production d’armement, comment la situation économique et sociale, chez nous et dans les pays exploités, dépend du fait que nous continuons à tolérer et financer le complexe militaire.

Si des contre-sommets peuvent avoir un sens, c’est en permettant, avec le soutien des médias, de communiquer à la population des arguments critiques et des revendications conséquentes.
Des actions non-violentes intelligentes sont susceptibles de dramatiser les situations et de gagner des sympathies.
Cette sorte de pratique permet la plus grande participation possible
aux processus de décision, c’est le préalable à une entreprise commune et déterminée.

Politique d’alliance et impact sur l’opinion

Dans la situation idéale, des groupes implantés dans un lieu invitent à des actions communes.
Lorsque, dans la phase de préparation, la connaissance des conditions locales se relie aux expériences que des militants ont tirées d’autres conflits, l’information sur le sens et les formes de l’action passe dans les meilleures conditions auprès de l’opinion régionale.
On ne peut pas pallier facilement la faiblesse d’une base locale.
Il y a cependant de bons exemples montrant comment des
groupes extérieurs ont réussi, avec invention et empathie, à propager
du courage, de sorte que les habitants prennent par la suite leurs
propres affaires en main. L’Otan n’est pas un problème local, il était
donc légitime et nécessaire que des hommes et des femmes de nombreux pays se déplacent à Strasbourg pour protester contre le
sommet.

Au Comité international de coordination No-to Nato 2009
(ICC - International Coordinating Committee) des représentants
du mouvement pacifiste français redoutaient que des actions de la Désobéissance civile ne mettent en danger la manifestation de masse et risquent de conduire à des confrontations violentes, ce qui détourna l’ICC de l’organisation de blocages.

Ce n’est qu’en février que fut créée l’union souple Block-Nato pour des actions de désobéissance civile à Strasbourg.
Block-Nato était formé entre autres par le réseau post-autonome
« Interventionistische Linke » (Gauche interventionniste) et par « Solid », une organisation de jeunesse socialiste (l’un et l’autre d’origine allemande), par des « désobéissants » français et par la coalition non-violente internationale Nato-Zu dont faisaient partie des représentants de War Resisters International, Vredesaktie (Action pour la paix, Belgique) et des organisations pacifistes
et non-violentes allemandes.

On a remarqué que des groupes comme leMIR (6), l’UPF (Union pacifiste) ou le MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) n’ont pas mobilisé pour des blocages non-violents à Strasbourg, sans toutefois justifier officiellement cette abstention. Le scepticisme a gagné aussi les groupes non-violents allemands parce que les informations venant de France ne parlaient quasiment que de la ligne dure de la police, et des autonomes qui n’excluaient pas la violence.

Par ailleurs, la différence des langues gêne la coopération entre les groupes des deux rives du Rhin, et au problème linguistique s’ajoute la différence des cultures. C’est ainsi qu’en France on comprend souvent sous le terme de blocage (qui signifie
en allemand sit in pacifique) l’idée de la barricade (et l’affrontement
violent avec le police). À l’inverse, « militant » désigne en
allemand un délinquant politique.

Préparation à la désobéissance civile et engagement personnel
au comportement non-violent

Certains pensent qu’il n’existe pas en France de traditions comparables aux campagnes allemandes de désobéissance civile.
Qu’est devenue la mémoire des combats populaires de résistance non-violente sur le Larzac, avec les LIP, à Marckolsheim7, etc. ?

Dans les années 70, beaucoup d’adhérents de groupes allemands d’action non-violente ont fait le voyage en France pour apprendre auprès des mouvements écologistes, antimilitaristes et libertaires l’esprit et la pratique de la désobéissance civile.

En Allemagne, très peu de jeunes militants sont informés du
développement de la désobéissance civile ; on ne trouve guère de textes sur l’histoire des mouvements non-violents dans le pays même8. C’est pour cette raison que j’insère dans ces observations actuelles un rappel des expériences menées au cours de
quarante années en Allemagne de l’ouest par des groupes non-violents.

À partir de 1968, un vaste mouvement d’initiatives de citoyens (Bürgerinitiativen) a suivi, en République fédérale, la décomposition de l’opposition extraparlementaire.
Dans sa marge se sont développés divers groupes et commandos de résistance armée. Se situant entre ces courants, deux regroupements rejetaient la violence pour des raisons différentes : d’un côté la gauche légaliste, y compris le Parti communiste, qui se souciaient de leur image bourgeoise, de l’autre des groupes d’action non-violente qui étaient prêts à franchir les limites de la légalité par la désobéissance civile.

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