Au-delà de la qualification de « terroriste », qui s’applique
aujourd’hui un peu à tout et n’importe quoi, l’affaire de Tarnac est
une bonne occasion de s’intéresser de près au système ferroviaire
français au travers des multiples et divers « actes de malveillance »
(l’euphémisme officiel) relevés quotidiennement à son encontre. Pour ce
faire, notre table ronde a réuni, foin des experts en criminologie, plumitifs
du sensationnel et autres responsables, Bernard Hennequin et Danièle
Haas, membres du collectif de Réfractions autour de Bernard Taponot,
salarié au sein de l’établissement Fret SNCF.
Bernard Hennequin : Que représentent aujourd’hui les chemins de
fer dans l’imaginaire collectif ?
Bernard Taponot : Il y a 80 ans le chemin de fer était le seul moyen de
transport collectif. C’était quelque chose d’énorme, avec pas moins de
540 000 agents.
Le chemin de fer naît et se développe en même temps que le
capitalisme, permettant à ce dernier de croître. Les deux étant
intrinsèquement liés, on comprend mieux l’intérêt de l’État de
regrouper les six anciennes compagnies privées sous la houlette d’un
seul établissement, la SNCF [1], ce qui fut fait le 1er janvier 1938.
À partir de ce moment-là, l’assimilation du chemin de fer à l’État a été
très forte et immédiate.
Cela dit, le chemin de fer s’est très rapidement révélé un moyen de
transport fragile de par la longueur de son réseau (plus de 32 000 km
de lignes dont 1850 de lignes à grande vitesse à ce jour).
Au départ il fallait des gens capables d’appliquer le règlement
bêtement (de façon rigoureuse, à la virgule près) : on a pris des
militaires.
Quand on dit que le chemin de fer c’est l’armée avec la discipline
en plus, c’est toute une structure bien spécifique à laquelle on fait
allusion. De là vient tout un fonctionnement particulier. Et la création
de la SNCF n’a pas dérogé à ce type d’organisation centralisée.
Le chemin de fer et l’industrie vont de pair. Pour maintenir tout
l’ensemble, il y a l’État. Dans l’imaginaire des gens, toucher aux trains
c’est toucher à l’État.
Fragilité des transports ferroviaires
BT : Une parenthèse sur la fragilité de la technique ferroviaire : un
TGV c’est une masse de 400 tonnes lancées à 300 km/h, un train de
marchandises, c’est 2000 tonnes lancées à 100 km/h. Avec une telle
inertie, un train ne s’arrête pas comme ça [2].
Contrairement au réseau routier où le conducteur agit en fonction
de ce qu’il voit devant lui et doit être capable de s’arrêter selon ses
observations, le fameux « être maître de son véhicule », un conducteur
de train ne peut rouler qu’en fonction des informations qui lui sont
transmises. Il suffit que ces dernières soient faussées ou déréglées et
c’est tout le système qui est paralysé.
Il faut se rendre compte qu’avec un bout de fil d’1 mètre et 2 pinces
à crocodile, tu paralyses un TGV, tu le fiches à terre, simplement parce
que tu as modifié les informations que le conducteur reçoit. Un train
TGV, parce qu’il est difficile à arrêter, est donc facilement
immobilisable. La machine est extrêmement vulnérable, on peut très
facilement la dérégler.
DH : Tu veux dire qu’il ne faut pas posséder un degré de connaissance
technique très grand pour en perturber la circulation : une personne
extérieure à la SNCF un tant soit peu bricoleuse peut le faire ?
BT : Oui bien sûr. C’est simple ! La technique, c’est un bout de ferraille
avec lequel tu shuntes deux rails, et le tour est joué. Je vous laisse
imaginer ce genre de chose à l’entrée d’une grande ville en début de
matinée… tu fous une belle pagaille.
BH : On peut cependant penser que face à cette fragilité, des « gardefous
» ont été mis en place par l’administration ferroviaire ?
BT : En termes de fragilité, les avions et les bateaux peuvent
également s’apparenter à des machines fragiles. Le problème est que
si on peut surveiller les aéroports et les ports, on ne peut pas garder
les dizaines de milliers de km de voies ferrées sur lesquels circulent
quotidiennement 14 000 trains !
Dans toutes les gares de France des militaires en armes patrouillent
en permanence, que le plan Vigipirate soit actionné ou pas.
Parallèlement, la police des chemins de fer s’est développée.
C’est un système de déplacement qui va supplanter tous les autres
(de par son côté pratique et économique), et en même temps c’est le
plus fragile. D’où la tentation de l’État de criminaliser toutes les
actions qui touchent aux transports ferroviaires. Et les grévistes sont
appelés des preneurs d’otages. S’il n’y a pas là une source de dérive
fascisante…
BH : Tu nous expliques que ce système est fragile par nature certes,
mais quand on voit l’organisation ultra-sécuritaire mise en oeuvre
pour la protection des sites nucléaires par exemple, il est tout de
même étonnant que la police ne puisse rien faire pour la protection
des voies ferrées ?
DH : Pourrait-on imaginer que soit installé, tout le long des lignes, un
système de surveillance avec des grilles, avec des caméras, comme
cela se fait aujourd’hui dans les villes et sur les autoroutes ?
BT : Non, dans la mesure où le risque est intrinsèquement lié à la
structure spatiale du réseau ferroviaire et à son mode de fonctionnement.
La sécurité est assurée par la police des chemins de fer, par les
brigades territoriales et, bien entendu par les conducteurs de trains
qui signalent la moindre anomalie.
BH : Quand le développement des chemins de fer s’est mis en place,
aurait-il pu y avoir une autre alternative évitant cette fragilité du
système ?
BT : En matière de développement on ne peut pas gagner sur tous les
tableaux. L’avantage du transport ferroviaire, c’est un faible coefficient
de roulement, une faible consommation d’énergie et le peu de
besoins en espaces.
L’inconvénient, ce sont… les rails, qui ne permettent aucun écart :
quand on dit d’une affaire qu’elle est partie et que l’on ne peut plus
rien faire, ne dit-on d’ailleurs pas… qu’elle est sur les rails !
Je suis contre le « système TGV » : c’est une machine qui absorbe
des capacités financières énormes pour son développement et qui
massacre l’environnement. L’accroissement des lignes TGV crée
davantage de nouveaux besoins, de nouveaux marchés – en
rapprochant virtuellement des villes – qu’il ne résout de problèmes ;
sans parler des lignes dites secondaires fermées, des gares où les
trains ne s’arrêtent plus.
S’il s’agit de transporter les gens, on pouvait le faire d’autres
façons. À cet égard, le TGV n’est certainement pas le moyen le plus
économique.
Ce qui est aberrant, c’est que l’on veuille aller de plus en plus vite.
La vitesse augmente les contraintes, l’entretien, l’usure, l’impact sur
la nature et surtout la consommation d’énergie. Si on avait construit
des lignes de chemins de fer là, et uniquement là où le réseau était le
plus saturé, sans dépasser les 200 km/h, peut-être aurait-on fait
quelque chose de plus pratique et de plus démocratique, au détriment
de la sacro-sainte vitesse.
BH : Dans les autres pays européens, comment cela se passe-t-il en
matière de transports ferroviaires ?
BT : Il n’y a guère que la France qui ait développé un réseau aussi
centralisé autour des TGV. Nous sommes au coeur d’un réseau TGV
européen.
« Tarnac »
BH : Pour commettre un « acte de malveillance » il n’est pas besoin
d’être cheminot aujourd’hui ; selon la police, être épicier à Tarnac
semble suffire… Alors, ce fer à béton, c’est quoi au juste ?
BT : C’est un rond à béton d’un certain diamètre dont on a fait un
cavalier. Il suffit de le poser en équilibre dessus une caténaire4 et les
premiers TGV qui passent arrachent tout le système électrique sur
des centaines et des centaines de mètres. Ça pèse 400 tonnes : si tu te
les prends à 300 km/h, la machine va s’arrêter toute seule quelques
kilomètres plus loin, une fois qu’il n’y a plus de courant… et au bout
du compte tu te retrouves avec une belle pelote de fils à démêler.
Pour se protéger contre cela, il faudrait des flics à chaque pont.
BH : Je comprends mieux ce que tu veux dire par source potentielle de
dérive fascisante.
BT : La première impression, si tu veux, que j’ai eue en découvrant
cette affaire, c’est que tout cela n’est qu’un prétexte pour donner un
nouveau tour de vis, pour légiférer et développer de nouvelles lois
d’exception.
BH : Techniquement ce type d’actions peut occasionner des retards
monstrueux mais cela ne va pas au-delà de ce type de désagréments.
Le directeur de la SNCF ajoute même « la méthode employée dans
l’affaire de Tarnac n’est pas dangereuse pour les personnels et
passagers mais invalidante », c’est tout dire !
DH : Avec l’affaire de Tarnac, dans quoi sommes-nous ?
BT : Préméditée ou pas, elle a fait l’objet d’une énorme instrumentalisation
politique du pouvoir. Avec des affaires comme celle-ci, les
choses sont différentes car on entre dans des visions à plus long terme
de la part du pouvoir. Les populations, il va falloir les contrôler.
BH : Oui, d’autant plus que cela rentre dans un contexte global de
criminalisation de toute contestation. Aujourd’hui de nombreux
[3]
exemples témoignent d’un processus de répression de toute tentative
d’expression critique.
DH : Dans un contexte marqué par l’effondrement de l’économie et
l’augmentation parallèle des catastrophes sociales, si les gens ont
conscience que l’on peut facilement s’en prendre aux trains, cela
pourrait augmenter considérablement les cas.
BH : Il faut effectivement voir comment on instrumentalise chaque
événement. Autant il y a des actes revendiqués, autant il y en a qui
vont saboter une caténaire et ne préviennent pas.
BT : Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l’histoire des
caténaires. C’est un sabotage qui s’apparente à une action de type
luddite, qui s’attaque au progrès. De plus, il n’y a pas de revendication
en tant que telle, ce qui est étonnant. S’il n’y a pas de discours qui
sous-tende et justifie, quelque chose cloche.
BH : Sauf que cette absence de discours n’empêche pas le pouvoir de
criminaliser et de mettre à la vindicte populaire une pseudomouvance
« anarcho-autonome », en désignant un nouvel ennemi
intérieur.
BT : Le principal souci de la SNCF dans « l’affaire de Tarnac », c’était
qu’il n’y ait pas de cheminots impliqués dans ces actes.
BH : Au-delà de cela, le discours actuel de la SNCF n’est-il pas de
montrer du doigt tous les malheurs qui lui sont faits pour mieux
cacher la réduction d’entretien et de maintenance ?
BT : Oui. C’est beaucoup moins grave d’avoir un fil de contact qui
casse parce qu’il a été saboté que de savoir qu’il y en a 3000 km qui
auraient dû être changés il y a deux ans et qui ne l’ont pas été ! On a
un retard de vingt ans dans la maintenance, c’est tout simple.Tous les
investissements réalisés dans le TGV ne l’ont pas été dans l’entretien.
DH : Et il faut du personnel pour tout cela…
BT : C’est surtout l’espace-temps qui manque. Les journées ne font
que 24 heures, et si tu prends 4 heures pour travailler à changer des
fils, c’est 4 heures de moins de circulation.Avec la densité des TER qui
augmente tous les ans, il faut donc travailler de nuit entre 23 heures
et 5 heures du matin, période où les trains ne circulent pas, pour
effectuer les travaux de maintenance.
Des travaux ont été abandonnés pour des raisons budgétaires. Un
fil de contact doit être changé chaque année et, en fait, on tire jusqu’à
une année et demie.
DH : Tout cela montre bien que dans cette histoire l’arbre cache la
forêt ou la misère.
BT : Je ne porterai pas de jugement sur une affaire dont on sait
finalement peu de chose. En revanche, j’ai l’impression qu’elle est
instrumentalisée par l’État à d’autres fins.
Ici, on est dans une région viticole assez revendicative. J’ai vu une
fois des viticulteurs plastiquer un passage à niveau. Curieusement, le
mot terroriste n’est jamais apparu pour qualifier l’utilisation
d’explosifs par les CAV (Comités d’action viticole).
DH : Les viticulteurs ou les agriculteurs peuvent manifester par des
saccages et le revendiquer ; leurs actions ne sont pas criminalisées
par l’État.
BT : Parce que, à cette époque, on avait besoin de minimiser l’affaire ;
le pouvoir n’avait sans doute pas besoin de l’instrumentaliser.
Les actes de malveillance
BH : Avec l’approfondissement de la crise et les impasses actuelles
(tant politiques que sociales), n’y a-t-il pas une tentation, aujourd’hui,
d’aller vers des pratiques illégales ? Sans faire de catastrophisme outre
mesure, ne peut-on pas imaginer, au regard de la fragilité du système,
une multiplication des actes dits de malveillance ?
BT : Ce qui est facile, c’est de provoquer des désagréments.
BH : On a assisté à de multiples prises d’otages dans les avions mais
jamais dans les trains. Détourner un train de marchandises ou de
transport de matières dangereuses n’est-il pas pensable ?
BT : En l’espace de dix ou quinze ans, on a trouvé les moyens de régler
le problème des détournements d’avions.
Ce qui est le plus à craindre, ce sont des mouvements de colère,
d’impuissance face à l’État, qui pourraient dégénérer, des actes
malveillants pas forcément revendiqués ou étayés par une
quelconque idéologie.
Aujourd’hui, la première malveillance ferroviaire, c’est celle des
enfants qui jouent à lancer des cailloux sur les voies !
BH : Peux-tu justement nous dresser un panorama des différents
incidents et nous dire si beaucoup sont revendiqués ? As-tu une idée
du nombre d’actes commis en une année ?
BT : Pas vraiment, mais la liste est longue des malveillances et autres
avaries que subissent les infrastructures ferroviaires tous les ans.
Le sabotage revendiqué est extrêmement rare. Peut-être aussi
parce que les actes commis sont, pour la plupart, rarement pensés.
Le plus important, c’est le vol de matériaux le long des voies : vols
de cuivre, vols de nature économique sans intention de « nuire ». Ce
n’est pas à proprement parler de la malveillance mais cela met en
évidence notre vulnérabilité.
BH : Quels sont les incidents les plus courants ?
BT : Les obstacles posés sur la voie. Cela arrive fréquemment car ça ne
nécessite pas de préméditation et les abords des voies sont toujours
encombrés de matériaux les plus divers. Certains de ces actes sont
intentionnels, d’autres pas, ce peut être par jeu, ou pour voir ce que
cela va donner.
L’acte plus courant demeure quand même la manifestation avec
occupation des voies, qui n’est pas, bien entendu, un acte de malveillance.
Mais qui est facile à mettre en œuvre. La principale façon de
s’attaquer symboliquement au système est de se mettre devant les
trains.
Dans tous les mouvements de protestation (lors du mouvement
anti-CPE du printemps 2006 par exemple, avec ses très nombreuses
occupations de gares), quand on veut se faire voir et entendre, on se
met devant les rails. C’est le type même de manifestation
extrêmement visible en même temps que non violente.
En perturbant directement le pouvoir, ce type d’action touche très
fortement à la symbolique de l’État.
DH : Symboliquement justement, ce n’est pas la même chose de
manifester sur les voies pour stopper un train et l’empêcher de partir
que de déposer des objets qui vont le faire dérailler, mettant éventuellement
des vies en jeu. Il s’agit là d’un autre degré.
Ce n’est pas violent, en soi, mais cela peut avoir des conséquences
pouvant relever du code pénal, comme un acte criminel…
BH et BT :…criminel peut-être, mais involontaire !
DH : D’autres types d’actes sont de nature plus offensive.
BT : Il y a eu effectivement différents actes de sabotage de la part des
cheminots pour appuyer les grèves de l’automne/hiver 2007 contre la
réforme des retraites. C’étaient là des actions concertées de sabotage
de plusieurs groupes.
BH : …revendiquées ou pas, d’ailleurs.
Les déchets nucléaires
BH : Pour revenir aux actes revendiqués en tant que tels, on peut peut être
souligner les actions qui concernent le transport de déchets
nucléaires entre la France et l’Allemagne. Elles apparaissent comme
un mode d’action politiquement très fort.
BT : Les déchets nucléaires c’est une autre histoire. Pour ma part, je
n’ai jamais vu d’opposition aux transports ferroviaires qui se font
régulièrement entre Pierrelatte et La Hague ; cela n’a jamais inquiété
personne.
Pour tous les types de transport de matières radioactives, la
Préfecture est informée.
DH :Tu veux dire que ce transport quotidien se fait dans l’indifférence
quasi-générale, sans susciter d’actes particuliers ? On pourrait
pourtant imaginer le détournement de ces transports, genre les
scénarios catastrophes comme on en voyait à profusion sur nos écrans
dans les années 70…
BT : Le nucléaire ne représente pas, à mon sens, un risque dans le
transport par voie ferrée. On transporte beaucoup d’autres saloperies
tous les jours, qui, lors d’un déraillement, pourraient se mélanger et
provoquer des fuites bizarres.
DH : Des déchets ?
BT : Non, des produits dangereux.
L’action directe
DH : Pour qualifier les actions qui se sont déroulées autour du rail ces
dernières années, peut-on parler d’« action directe » ?
BT : Les seules actions de cette nature, revendiquées, l’ont été par les
milieux viticoles. Quand on plastique quelque chose et qu’on le signe
pour appuyer sa démarche, comment appeler cela autrement ?
DH : Je me référais aux actions antifranquistes des années 1970-1980.
Notamment aux actes symboliques commis contre des transports à
destination ou en provenance de l’Espagne, assumés en tant
qu’action directe.
BT : Existe-t-il encore aujourd’hui des mouvements à même de
mener et de revendiquer des actions de cette nature ? À ma
connaissance les seuls attentats, actions violentes depuis 20 ans, ce
sont des attentats islamistes et nationalistes.
BH : Avec la nature spécifique du système ferroviaire et sa fragilité
consubstantielle, tout mouvement se prévalant d’une quelconque
idéologie pourrait être tenté d’utiliser l’action directe contre les voies.
Quels que soient les actes. Et en fait ce n’est pas vraiment le cas.
Le sabotage des caténaires serait le seul fait récent allant dans ce
sens, mais on peut penser que tout cela a été monté de toutes pièces
(ce qui n’est pas sans rappeler l’affaire des « Irlandais de Vincennes »
dans les années 70).
BT : L’affaire de Tarnac a montré que tout notre beau système peut
être facilement paralysé, et cela de manière durable.
L’illégalisme
DH : Il y a un type d’actions qui ne sont pas des actes de malveillance
mais qui relèvent davantage du concept de l’illégalisme : je pensais
notamment aux actions en faveur de la gratuité des transports. Un
acte répréhensible devenu au fil des ans un acte délinquant.
BT : Autant le sabotage d’une caténaire s’apparente à une action de
type luddite, autant là on se trouve dans une action de type illégaliste.
À une époque, celui qui n’était pas solvable pouvait malgré tout se
déplacer. S’il avait des contraventions il ne les payait pas, puisqu’il ne
le pouvait pas ; aujourd’hui tout cela est fini, ce type d’actes est
devenu un délit.
De fait, on interdit aux gens de se déplacer ; c’est un droit fondamental
qui est nié. Lorsqu’il a été demandé aux agents de la SNCF de
dénoncer ce type de récidive auprès des services de police, je peux
vous assurer qu’il n’y a pas eu beaucoup de collègues qui ont trouvé
cela anormal.
Y compris les collègues de la CGT !
BH : J’aurais bien aimé que tu nous précises ta position sur la question
de l’illégalisme.
BT : Pour moi les actes de sabotage ne sont pas des actions illégalistes :
Quelques pistes de réflexion…
l’illégalisme c’est de la reprise individuelle ou collective, du vol, mais
revendiqué politiquement. Ce qui est simplement illégal ne peut pas
être considéré comme illégaliste.
Par exemple, la volonté de circuler sans argent et de l’assumer,
cela, c’est une pratique illégaliste, parce que revendiquée en tant que
telle. Même si je ne la partage pas puisque je ne réclame pas la
gratuité des transports.
Ne pas payer le transport volontairement est une pratique illégale,
là on est dans la resquille, comme pour les vols de matériaux.
Traditionnellement, on appelait cela « se servir sur la bête » ou la
pratique de la « perruque » : des actes de récupération commis la
plupart du temps par les gens de l’entreprise.
BH : Tu citais tout à l’heure la CGT. Comment se situent les
organisations syndicales sur l’ensemble de ces dossiers ?
BT : Ils réagissent comme des gens agressés. C’est la réaction d’une
famille qui se sent agressée. L’argument qui revient sans cesse dans
leur bouche : c’est toujours sur les voies ferrées et jamais sur les
autoroutes que cela se passe !
DH : C’est étonnant qu’il n’y ait pas plus de solidarité des gens du rail
avec ces formes d’action, par exemple pour favoriser le transport gratuit.
BT : Dans notre société, ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Si l’on
rendait les transports gratuits, cela créerait un nouveau besoin de
transport ; on n’hésiterait plus ainsi à s’éloigner de son lieu de travail,
et il y a des limites qui font que tout le monde ne peut pas se déplacer
au même endroit, en même temps.
On pourrait imaginer un système où les transports seraient
payants mais gratuits pour les premiers transports du matin ou
gratuits un jour dans la semaine…
DH : Comme la gratuité contrôlée dans certains musées ?
BT : Je crois que ce qui est gratuit n’est pas respecté. Je vais prendre
un exemple que j’ai vécu : vends des affaires lors d’une braderie et les
gens les respecteront ; donne-les : les gens les mettront une fois et
les jetteront aussi sec ! Imagine, si tu rends les transports gratuits, il y
a des gens qui vivraient dans les TER !
Prends l’exemple des cheminots, la catégorie sociale qui bénéficie
du transport gratuit, ils consomment énormément de train.
L’idée qui me paraît intéressante, c’est de restaurer la liberté de
circuler. Des transports réellement accessibles à tous ; permettre aux
gens de pouvoir se déplacer librement, y compris à vélo ou à pied, cela
me paraît plus intéressant que la gratuité totale des transports.
Montpellier, 27 février 2009
Documents en ligne à consulter :
– Réseau Ferré de France, Une approche globale des dangers et menaces. Xavier
Raufer. Mars 2007. http://www.latribune.fr/static/pdf/SecuRail1.pdf
– SNCF, Rapport du Sénat (chiffres officiels). http://bsarra.free.fr/bs/tsncf.htm
– Les chiffres, par catégories.
http://www.quid.fr/2007/Transports_Ferroviaires/Trafic_En_France/1
OUIII, stoppez les transports de déchets nucléaires ! Affichette reproduite
dans Zeck, das Info aus der Flora, Hambourg, mai 1996.