Ce texte est issu d’une lettre écrite par une des personnes ayant vécu le
processus de démocratie directe décrit ci-après. Cette lettre a ensuite été
retravaillée et enrichie en groupe, de façon à refléter le mieux possible les
visions différentes des événements vécus. Les commentaires de l’auteure de
cette lettre originelle sont inscrits en italique pour situer son implication
particulière.
Les rencontres des Ami-e-s de S !lence, c’est quoi ?
L’association des « Ami-e-s de S !lence » (AdS) est née en 2002 avec la
première rencontre de lecteurs/lectrices du journal S !lence au CUN du
Larzac, organisée par cette revue pour ses 20 ans. La revue S !lence
(Écologie – Alternatives – Non-Violence) se veut un lien entre toutes celles
et ceux qui pensent qu’aujourd’hui il est possible de vivre autrement
sans accepter ce que les médias et le pouvoir nous présentent comme
une fatalité. C’est donc dans cet esprit que depuis 2003 des
lecteurs/lectrices et des sympathisant-e-s se retrouvent une fois par an
sur le principe de l’auberge espagnole. Rapidement ces rencontres ont
rassemblé de plus en plus de monde dans des lieux choisis à chaque
fois pour leur implication dans des alternatives au système dominant.
De 70 personnes au Biolopin dans le Jura en 2003 (Brocéliande en 2004,
l’écocentre du Périgord en 2005, la ferme de « La Terre » dans le Lot en
2006), on est passé à 400 personnes en 2007 au « camp du Geais » sur
la commune de Courbiac.
Ces rencontres durent deux semaines. L’objectif est d’y vivre nos
engagements et nos idées en collectif responsable. Cela demande une
construction permanente : réfléchir, se concerter, prendre des décisions,
faire des choix.
Comment ces rencontres
s’organisent-elles ?
Une « collégiale » se forme chaque année,
pendant l’A. G. finale, pour organiser les
rencontres suivantes. Ces personnes se
concertent toute l’année pour la logistique,
le choix du lieu, l’économat, les
inscriptions etc.
Une semaine avant les rencontres, la
collégiale et des volontaires viennent
préparer les lieux : installation des dômes,
yourtes, chapilopin, toilettes sèches,
douches, cuisines…
Pendant les rencontres, quelques
référents de la collégiale, accompagnent
les participant-e-s afin de transmettre les
informations dans un but d’autogestion.
Nous avons des assemblées générales
journalières de régulation, au cours
desquelles toutes les questions peuvent
être posées et débattues, sur des sujets
pratiques ou débat d’idées. Nous
concluons un sujet après avoir obtenu un
consensus. Sinon, un collectif se met en
place, ainsi que des ateliers de réflexions,
pour dépasser les problèmes, afin de
parvenir à un consensus.
De quoi sont-elles faites ?
Des ateliers participatifs et interactifs
sont proposés et organisés par les
participant-e-s, à leur libre initiative et
sans contrôle en amont jusqu’à cette année.
Cet été à Courbiac, nous avons eu trois
films, treize ateliers culturels, trentecinq
de réflexion (écologie, nonviolence,
pouvoir, décroissance, valeurs
des AdS, désobéissance civile, éducation,
bien commun, féminisme,
ethnologie et peuples premiers, capitalisme…),
quinze pour les enfants,
vingt pratiques (constructions d’habitats
légers, hygiène alternative, vélo
couché, chauffe-eau solaire, cuiseur
économe…), quatre sur des projets
alternatifs (écovillages et nomade),
douze de développement personnel
(massage, relaxation, co-écoute) et onze
ateliers qui ont suscité des controverses
(Dissidence SIDA, Le mythe du VIH,
Terrorisme d’état : l’OTS et le 11
septembre, Hérésiologie, L’arnaque du
changement climatique…)
Il y a aussi tout le quotidien pris en
charge par des équipes qui tournent en
autogestion pour l’organisation, la
transmission : la cuisine végétarienne, les
toilettes sèches, la vaisselle, l’eau,
l’accueil, le compostage et le tri des
déchets, la gestion de l’économat, le feu
et le bois… 44 postes étant à pourvoir
chaque jour, il suffisait de s’inscrire à
deux tâches dans la semaine pour faire
tourner le camp.
Et ne pas oublier les moments
informels au coin des feux, les chants
improvisés, tous les élans de bienveillance
les uns envers les autres. C’est
ça aussi qui donne aux rencontres des
Ami-e-s de S !lence beaucoup de chaleur
humaine et qui permet de nous dépasser
dans les moments difficiles, grâce aux
relations de confiance, de respect et
d’empathie construites au quotidien.
Courbiac 2007 :
une rencontre
pas comme les autres
Les rencontres de l’été 2007, avec une
pointe de 400 personnes, certains ateliers
controversés, la difficulté de mettre en
place une action de désobéissance civile,
nous ont obligés d’acquérir une maturité
politique.
Des personnes issues du mouvement
conspirationniste ont proposé onze
ateliers dont le contenu idéologique a
déclenché inquiétude, questionnements
et malaise parmi les participant-e-s.
Beaucoup d’ailleurs refusaient de
cohabiter avec eux à cause de leur
prosélytisme sur le site. Ils se réclamaient
« neutres » concernant la Shoah, alertaient
sur le « complot mondial », niaient
l’existence de l’hépatite C, diffusaient une
revue parlant de « menace cosmique »…. et
véhiculaient auprès des personnes les plus
naïves des affirmations du genre « le VIH
n’existant pas, le préservatif est inutile pour
s’en protéger ».
Nous n’avons pas eu d’autre choix
que de nous attaquer collectivement à
des questions délicates, notamment :
comment se protéger contre l’entrisme et
la manipulation sans trahir nos valeurs ?
C’était d’autant plus délicat que nous avions
des points de vue très différents sur le
problème : certain-e-s étaient plus gêné-e-s
par la forme verbalement violente des
réactions de ceux et celles qui s’opposaient
aux conspirationnistes que par le contenu des
thèses conspirationnistes.
Dans les valeurs défendues par le
journal S !lence il n’y a pas que « écologie »
et « alternatives », il y a aussi « nonviolence
». Pour prendre une décision,
nous avons donc suivi le processus de
fonctionnement démocratique contenu
dans les statuts, en respectant les
personnes incriminées.
Le nœud du problème
Les membres de l’association se sont
dotés d’un outil excellent : le processus
du consensus, mais qui nécessite de
l’habitude et de la pratique. C’était ce
fonctionnement de réelle démocratie directe
qui m’avait attirée l’an dernier, car on l’y
expérimentait très concrètement. Dans ce
cas précis, le fonctionnement basé sur la
confiance n’a pas abouti à une solution.
De nombreuses personnes ont été
choquées par la lenteur de la réaction
collective, exaspérées de tant de
« naïveté », tandis que d’autres s’attristaient
de la panique, de l’agitation et la
discorde qui soudain régnaient sur le
camp. Des AG interminables ont mené à
la désaffection du processus démocratique.
Dans la confusion des trois jours
qui précédèrent l’AG finale, nous avons
résisté à la tempête.
Jusqu’à ce que ce flottement destructeur
prenne fin, j’ai fait partie de ceux et celles que
cette « mollesse » catastrophait. J’ai donc,
avec d’autres, recueilli les témoignages de
ceux et celles qui avaient assisté aux ateliers
incriminés. Témoignages dont certains
émanaient de militants d’Act Up Toulouse
promettant de porter plainte si l’association
ne réagissait pas plus vite, et aussi
témoignages de parents dont les enfants
avaient été dissuadés par l’un des protagonistes
d’utiliser des préservatifs. Et rien
n’était simple, car certains témoins avaient
pour seul point commun avec les conspirationnistes
de jouer les provocateurs et de ne
pas adhérer au processus de décision au
consensus, voire de le mettre en péril.