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Livre noir du communisme
Article mis en ligne le 29 août 2009

le Livre noir du communisme : crimes, terreur et répression :
St. Courtois, N. Werth, J.-L. Panné et al., R. Laffont, 1997, 846 p., 189 F.

Le 17 janvier 1998, au 33, rue des Vignoles, dans la grande salle de la CNT, avait lieu un débat sur le Livre noir du communisme. Trois des coauteurs avaient été invités : Stéphane Courtois, J.-Louis Panné et Sylvain Boulouque.

Le débat s’ouvre dans une ambiance très tendue et hostile envers S. Courtois. Il faut dire que ce débat se situe dans une période d’agitation sociale intense, en particulier pour la CNT engagée dans de nombreux combats. Préambule pour expliquer l’état de fatigue physique et nerveuse des présents.

J.-L. Panné explique que ce livre a mûri sur plusieurs années et que cette idée s’est précisée à partir de l’ouverture des archives de Moscou, maintenant en partie refermées. Le but fixé était de rassembler les documents touchant plus particulièrement l’aspect répression et les massacres engendrés par le communisme.

S. Boulouque intervient à propos de l’Afghanistan en précisant que ce pays évoluait d’une monarchie constitutionnelle vers une démocratisation, arrêtée net par le coup d’état des communistes afghans.

S. Courtois tient à dire qu’il est venu en raison de la polémique que ce livre a suscitée avant même sa sortie. Il ajoute que le texte d’introduction est le résultat de dix-sept réunions de travail entre les auteurs et correspond vraiment aux discussions qui ont eu lieu.

Un intervenant pose la question de la finalité d’un tel livre ? Fait-il avancer la lutte révolutionnaire ?

J.-L. Panné déclare que c’est un bilan à la sortie d’une époque qui connaît de nouvelles donnes géopolitiques et sociales. D’autres voies de réflexion s’ouvrent.

Un autre intervenant déclare être frappé par cette comptabilité macabre et ne pense pas qu’on entende ici la défense du communisme tel qu’il a été, mais qu’il faut certaines mises au point. Quelle était la nature de la société communiste ? Il attendait une mise en rapport avec le système qui a produit cette comptabilité et n’a pas trouvé de réponse, sinon l’envie d’attaquer l’idée de révolution. Il dénonce cette critique de la révolution et met en avant l’apartheid en Afrique du Sud, le colonialisme français, etc. qui sont le fait des états démocratiques. Il dénonce le fait de mettre Rosa Luxembourg, les révolutionnaires et les communistes dans le même sac.
S. Courtois précise qu’il faudrait développer les rapports entre démocratie et révolution, violence et révolution, utopie et révolution.

Un militant de la CNT n’est pas d’accord pour dire que toutes les formes de barbarie se valent et se sent insulté par l’amalgame fait entre « communisme », terreur de masse, et fascisme... à aucun moment le mot bureaucratie n’apparaît. Les communistes ont pris le pouvoir au nom de l’égalité et ont produit l’inverse. Ce parti ne représente en rien l’application d’un programme communiste. On met dans le même sac victimes et bourreaux. On n’y comprend plus rien.

S. Boulouque signale qu’après la guerre certains anars ont refusé pour eux le mot « communisme ».

J.-L. Panné redit que ce livre n’est pas un livre de prospective politique mais un bilan. Il faut se tourner vers le passé pour aider la réflexion. Le problème des intentions est complexe. Il cite des écrits sur le rapport des forces sociales et le politique : la question des relations entre marxisme et darwinisme devrait être abordée un jour, dit-il.

Quelqu’un interpelle S. Courtois qui avait dit être le diable ce soir-là, pour lui rétorquer qu’il le croit plutôt maccarthyste. Ce livre intello n’a d’intérêt que dans le contexte où il tombe. à quoi sert-il, à qui profite-t-il ? « Vous attaquez le communisme et le stalinisme, nous sommes des libertaires communistes et vous nous attaquez ! » Ce livre ne sert que les intérêts du libéralisme et des forces réactionnaires.

Stéphane Courtois répond en disant que le stalinisme est assimilé au communisme. Nous avons lu et constaté que ces gens se sont appelés eux-mêmes communistes. Nous n’avons repris que la manière dont eux-mêmes se sont définis. Il faut regarder les réalités en face ; il y a eu un mouvement dit communiste.

Quelqu’un intervient pour dire que faire le bilan d’une révolution, ce n’est pas faire une addition des morts, mais plutôt essayer de comprendre des mécanismes. Son travail actuel est centré sur l’utopie dans cette révolution. Ce qui le gêne (et le terme est faible) dans ce livre, ce sont les amalgames qui mettent dans le même sac bureaucrates et révolutionnaires.

J.-L. Panné cite Mao, Lénine, la guerre mondiale, le parti mondial et les sections... Il y a un discours qui se veut unifié. Il y a des organisations militaires. Il y a eu un modèle de prise de pouvoir qu’on a essayé de répéter quasi à l’identique. Cela pose question.

Un intervenant demande à ce qu’on parle d’aujourd’hui. Il est dangereux et bizarre qu’un tel livre soulève un tel débat, qu’on découvre tout cela maintenant, alors qu’on est au courant depuis assez longtemps. Les libertaires disent qu’ils ont combattu cela, pourquoi n’ont-ils pas été suivis ?

J.-L. Panné se demande pourquoi il y a eu tant de résistance dans la société française par rapport aux vagues d’informations ?

Question à poser aux historiens, dit-on dans l’assemblée.

Un militant intervient pour dire : « Vous êtes historiens, moi aussi. J’ai mon histoire, celle de l’Espagne. La discussion ce soir se fait entre démocrates et totalitaires. Les historiens auraient pu faire un bilan du rôle de l’état. Le chapitre sur l’Espagne est très incomplet. Les historiens ne sont que des fonctionnaires de l’état !

Un autre considère que ce livre nous montre à quel point ce fut le choix de la terreur tout de suite. Staline, Lénine, les bolcheviks et Trotski aussi, tous ont fait pareil. Il faut le rappeler tout le temps. Cela ne peut que servir les libertaires après une parenthèse de 70 ans.

Un intervenant souligne que plusieurs formes de promotion entourent la parution de ce livre (télévisuelle et autres...), et que S. Courtois a des réponses différentes selon les médias et les interlocuteurs.

Dans l’assistance, une question est posée pour savoir si l’on fait la différence entre une révolution sociale et une révolution politique.
S. Courtois dit avoir une culture révolutionnaire d’ancien maoïste de 68, proche du groupe « Vive la révolution ». Il est, depuis, revenu à la culture révolutionnaire de 1789. C’est vrai, l’effondrement du communisme ouvre un espace aux libertaires.

Un militant : « Votre livre tente de tirer des leçons. Vous avez eu accès aux archives. En revanche, dans vos aspirations politiques, il y a un problème car votre activité, objectivement, offre de l’eau au moulin du capitalisme. La question fondamentale est de faire le livre noir du capitalisme et du libéralisme. La démocratie parlementaire bourgeoise n’est pas exempte de crimes. »

S. Courtois cite un passage du livre sur les crimes coloniaux. Il dit être un spécialiste du communisme.

Un militant : « Votre vision de la violence est telle qu’elle sous-entend que toute révolution signifie violence. Toute violence révolutionnaire devient donc condamnable. L’histoire est forcément politique. S’il s’agit d’une erreur au niveau méthodologique, c’est ahurissant ; si ce n’est pas le cas, c’est condamnable. »

S. Courtois dit ne pas être contre l’utopie comme mode de pensée indispensable, sinon on ne peut pas fonctionner. Mais la volonté d’imposer une utopie est catastrophique.

Il lui est alors répondu que là est la nature du pouvoir.
Un participant intervient pour que l’on s’entende bien sur le terme de communiste puisque les gens se faisaient appeler communistes. Cela ne suffit pas. Ce bouquin est donc dangereux politiquement car il fait dire qu’il ne faut pas faire de révolution.

Un autre déclare que si on essaie de faire la révolution à long terme plutôt qu’à coup de force, c’est qu’on respecte les hommes. Il se demande donc s’il n’y a pas moyen de faire une révolution qui respecte les hommes ?
Un militant déclare avec passion que ce livre aurait plutôt dû être le procès du capitalisme d’état et non celui du communisme. Quant au problème de la violence, il dit qu’elle lui est imposée. Elle est défensive.

La salle se vide vers 23 heures, et les conversations continuent dans le passage des Vignoles sur ce « livre rouge sang du communisme ».
Certains souhaiteraient reprendre le débat pour approfondir les différents point de vue.

Résumé des notes prises par
Monique Lagrange-Reynier