Kaminski : Céline en chemise brune,
Paris, Mille et une nuits, 1997, 96 pages.
Henri Godard, dans le Monde du 16 mai 1997, comme un certain nombre de personnes, cherche à dissocier l’œuvre littéraire des activités de l’homme public en expliquant que Céline est un grand écrivain. Son article était destiné à répondre au livre de Jean-Pierre Martin, Contre Céline (José Corti, 1997, 190 p.) et au sympathique pamphlet de Michel Bounan, l’Art de Céline et son temps (Allia, 1997, 112 p.), qui rappelle, à juste titre, en conclusion de son ouvrage : « La bonne question n’est pas de savoir comment un libertaire en vient à s’acoquiner avec des nazis mais pourquoi ce genre de personnage croit bon de se déguiser en libertaire. » Il semble que la publication de l’œuvre complète de l’auteur de l’École des cadavres devienne une nécessité pour que l’on puisse se rendre compte que la violence contenue dans le Voyage au bout de la nuit se retrouve dans Bagatelles pour un massacre. Malheureusement la cause n’a jamais été entendue. Pourtant la parution en 1938 du livre de Hans- Erich Kaminski : Céline en chemise brune ou le mal du présent devrait en éclairer plus d’un.
La réédition récente, dans une collection pratiquant des prix des plus démocratiques, est une excellente initiative, d’autant plus qu’elle est complétée par une notice biographique de l’auteur de Bakounine, la vie d’un révolutionnaire. Dans sa postface, Joël Gayraud offre un certains nombres d’éléments qui forment une nouvelle contribution à l’histoire du mouvement libertaire. Ainsi, Kaminski est entré en contact avec le mouvement libertaire à Paris, suite à son départ d’Allemagne à la veille de l’incendie du Reichstag en 1933. La suite est un peu plus connue puisque Kaminski publia Ceux de Barcelone en hommage aux combattants de la Révolution espagnole. Kaminski a été en contact avec des militants libertaires de renom comme Voline, Molly Steimer, Senya Flechine, Emma Goldman, Diego Abad de Santillan et Rudolf Rocker. La présente édition nous offre deux lettres de Kaminski à ces deux derniers. Quant à l’ouvrage aujourd’hui réédité, Céline en chemise brune, celui-ci est une dénonciation de l’antisémitisme célinien. Kaminski avait admiré le Voyage au bout de la nuit ; lorsqu’il lut Bagatelles pour un massacre, il comprit qui était le personnage et qu’il n’avait rien à voir de près ou de loin avec un libertaire.
Albert Camus écrivait : « Je continue à penser que l’esprit libertaire ne peut se permettre la plus légère indulgence à l’égard de l’antisémitisme sans se nier lui même et commencer à s’avilir. » Kaminski fut de ceux qui furent l’honneur du mouvement libertaire.
Sylvain Boulouque