« … la crevaison pour le monde qui va.
C’est la vraie marche. En avant, route ! »
Arthur Rimbaud
Le capitalisme tangue. Les dominants s’affolent. La répression s’étend.
Les lois d’exception reviennent. Le fichage de la population se veut
exhaustif. Le Régime craque, qu’il crève !
La destruction d’un régime inique qui accapare les richesses et distribue
la misère est une nécessité pour toute volonté créatrice.
Réfractions, qui veut à sa mesure participer à l’édification d’une société
autre de libres et d’égaux, propose avec ces pages de réfléchir sur notre
réalité. Ou plutôt de penser au sein de ce couple contrarié que forment nos
désirs et notre réalité.
Trois moments s’articulent : la crise du capitalisme, la montée des
illégalismes, la nécessité du changement radical de la société.
Nous partons de la description des mécanismes financiers déclencheurs
de la dernière crise du capital et qui agissent en conséquence sur la
dégradation de l’économie réelle frappant de plein fouet les couches les plus
vulnérables de la population.
Le capitalisme est obligé de se réformer. Pour éviter d’importants
mouvements sociaux, ou bien même « l’explosion sociale » tellement
redoutée par les gouvernements et par les syndicats réformistes, la seule
solution qui lui reste serait de remettre à plat le partage de la plus-value, ce
que les possédants refuseront toujours. Et comme dans le concert actuel des
économistes et des politiciens, autant de gauche que de droite, occupants du
pouvoir ou aspirant à l’occuper, personne ne veut mettre en question les
dogmes du libre-échange et de la loi du marché, personne ne serait alors
tenté d’imaginer une autre façon d’organiser la production, et la distribution
du produit du travail.
La réponse à la crise va donc être recherchée, en désespoir de cause, du
côté de l’État, comme appui financier par les uns, comme régulateur par les
autres. Ce qu’on trouve assurément est la réponse « sécuritaire » : l’appel à
l’ordre et à l’autorité, la soumission à la loi. Les lois répressives se renforcent.
La criminalisation des comportements sociaux non conformes aux normes
conduit à la construction policière d’une nouvelle catégorie d’ennemis de
l’ordre public et à l’application quasi illimitée des lois d’exception. Toutes
les portes vers une sortie émancipatrice et anti-autoritaire se ferment.
Dans la période ascendante du néolibéralisme dans les pays dits
développés, l’idée même de révolution avait été mise en sourdine, et avec
elle les illégalismes contestataires. Voici qu’aujourd’hui ils relèvent la tête,
attentifs au son du tocsin de la révolte.
« Un tabou a été levé – se plaint un flic –, de plus en plus, dans les cités ils
sortent les armes [1]. » Grève générale prolongée en Guadeloupe et en
Martinique. Sabotages de voies ferrées. Occupations ou blocages d’usines,
d’administrations, d’universités. Séquestrations de patrons. La colère monte.
Contre les lois qui obligent à la délation, contre les enfreintes aux libertés
individuelles et collectives, la pratique de la désobéissance civile s’étend ;
elle devient une exigence éthique. Contre les appareils, l’action directe
reprend sa place dans les luttes. À l’époque de la Première Internationale,
James Guillaume l’avait déjà définie clairement : « Au lieu d’avoir recours à
l’État, qui n’a de force que celle que les ouvriers lui donnent, les ouvriers
règlent directement l’affaire avec la bourgeoisie, lui posent leurs conditions
et, par la force de leur organisation, la contraignent de les accepter [2]. » Les
appels à la grève générale, au sabotage, à la résistance, s’ils sont encore dans
le registre du rêve général, trouvent aujourd’hui un écho dans la réalité des
opprimés. Le dossier de ce numéro rappelle cette tradition anarchiste et
syndicaliste révolutionnaire.
« Il n’y a pas neuf personnes à sauver mais un ordre à faire tomber », disent
fièrement les inculpés de Tarnac. Avec eux, nous gardons les yeux grands
ouverts sur l’horizon des insurrections qui ouvrent la voie de la révolution,
tout à la fois moment de rupture de l’imaginaire établi et long processus de
transformation sociale radicale.
La commission de rédaction