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Eduardo Colombo
Les chemins de la peur
Article mis en ligne le 2 décembre 2008
dernière modification le 5 décembre 2008

Les mythes d’origine, dans les récits de l’Église comme dans
les fondements de l’État, ont établi un lien de solidarité entre le
Pouvoir et la Peur.

Dieu parcourait le jardin vers le soir, et l’homme et sa femme se
cachèrent. « Mais l’Éternel Dieu appela l’homme, et lui dit : Où es-tu ?
Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que
je suis nu, et je me suis caché. » (Genèse 3 : 8 -10)

Et dans Proverbes 9.10, on lit : « Le début de la sagesse, c’est la crainte
de l’Éternel. »

La crainte est la souche de la révérence et de l’obéissance, ces deux
acolytes du commandement.

La puissante théorie hobbesienne qui a contribué à la naissance de
l’État moderne s’appuie elle aussi sur la peur et la sagesse1, ou plutôt
la raison. Les hommes vivent dans l’anxiété de l’avenir : celui « qui
regarde trop loin devant lui… a le coeur rongé tout le jour par crainte
de la mort, de la pauvreté ou de quelque autre malheur ». Cette crainte
perpétuelle a sa source dans l’ignorance des causes, dans les ténèbres,
et « doit nécessairement prendre quelque chose pour objet. » C’est ainsi
que les dieux ont d’abord été créés par la crainte humaine. Mais, un
Dieu unique et tout puissant, imagine Thomas Hobbes, est peut-être
une idée plus rationnelle, produit de la recherche intellectuelle de laéternelle2. La religion, conforme à sa
vocation, lui prête de cette façon une
image du pouvoir où se profile son dieu
mortel, l’État, rationnel dans sa fondation
première, effroyable dans sa fonction
d’appliquer la loi, dans son monopole du
droit de glaive. Cette institution
humaine, appelée République ou Civitas,
cet État, est la multitude unifiée en une
seule personne, et « en vertu de cette
autorité (résultat du pacte social) qu’il a
reçue de chaque individu de la
République, l’emploi lui est conféré d’un
tel pouvoir, d’une telle force, que l’effroi
qu’il inspire lui permet de modeler les
volontés de tous »3.

Dans « l’état de nature »4, les hommes
se font la guerre les uns aux autres pour
tirer le maximum de profit de quelque
avantage obtenu, et une telle situation les
fait vivre dans la « crainte mutuelle qu’ils
ont les uns des autres », parce qu’« ils se
porteraient de leur nature plus avidement
à la domination, qu’à la société »5.
Avec les États civils la peur ne
disparaît pas, mais elle se place du côté
de l’ordre, de la sécurité apaisante, de la
domination nécessaire. S’il n’y avait pas
de pouvoir commun à craindre, le genre
de vie qui prévaudrait serait la guerre
civile6.

Nous pouvons comprendre, je crois,
que dans la vision qu’a le Pouvoir,
religieux ou politique, de la société, la
peur est le ciment de l’ordre hiérarchique.
Les émotions et la société
Avant d’abandonner la référence à
Hobbes, prenons en considération cette
importante distinction : il ne faut pas
confondre « la crainte avec la terreur et
l’aversion. De moi, je n’entends par ce
premier terme qu’une nue appréhension
ou prévoyance d’un mal à venir. Et je
n’estime pas que la fuite seule soit un
effet de la crainte : mais aussi le soupçon,
la défiance, la précaution, et même je
trouve qu’il y a de la peur en tout ce dont
on se prémunit et se fortifie contre la
crainte. Quand on va se coucher, on
ferme les portes ; quand on voyage, on
prend une épée…7 » (Les italiques sont
de moi. EC)

Différents mots sont apparentés par le
sens, mais ils diffèrent en fonction de
l’intensité des émotions qui leur sont
attachées. Craindre a une basse intensité,
ce mot désigne le sentiment qui fait
reculer, hésiter devant quelque chose,
plus ou moins indéterminée, menaçante
ou imaginée comme tel. Il est proche
d’appréhension ou d’inquiétude. Inquiétude,
anxiété et angoisse sont trois degrés
du même état (Littré).

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