« Quelque chose doit remplacer les gouvernements,
et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. »
David Rockefeller,
Newsweek International, 1er février 1999.
Les savants d’un pays faisaient jadis partie du patrimoine.
Mis en avant dans les écoles, illustrés par des timbres,
radiographiés dans des colloques commémoratifs, ils
étaient souvent utilisés à des fins patriotiques, comme aujourd’hui
le football et les compétitions sportives. Les nations se
disputent encore l’honneur d’avoir les premières inventé l’électricité
ou quelque autre élément bienfaiteur de l’humanité,
et leurs encyclopédies adoptent spontanément ces mêmes
choix. Mais le monde a changé, et les intellectuels aussi,
comme on peut le voir dans le cas de la France.
Pasteur contre Edison
Un rappel du passé permet de retracer
l’évolution des esprits et des institutions.
Ainsi la France profonde a longtemps
vénéré Pasteur, symbole même
du savant désintéressé. Elle manquait
d’enthousiasme pour le sens commercial
de l’Américain Edison : celui-ci
avait créé sa propre société pour tirer
parti de son invention et soutirer
quelques centimes de chaque ampoule
électrique vendue dans le monde. Aux
yeux des Français, la vraie recherche
était une vocation, elle se menait souvent
de façon solitaire. Elle relevait du
génie, plus que de la marchandise.
Le peuple a ensuite ri des distractions
du professeur Nimbus, puis de
celles de son successeur, Tournesol, ce
qui traduisait peut-être déjà un changement
de mentalité. Ses historiens dissertèrent
de plus en plus sur la
révolution industrielle, alors que
l’intérêt pour les techniques avait surtout
été le propre des ingénieurs.
Le monde changeait. La recherche
s’est de plus en plus regroupée sous la
forme d’équipes trapues techno-scientifiques,
sous la férule d’autocrates
prestigieux contrôlés par une bureaucratie
tatillonne, et l’institut Pasteur,
devenu le haut lieu de la recherche
médicale, abrite jalousement ses travaux
des regards de la concurrence. Les
chercheurs français contemporains se
battent contre les Américains pour la
paternité de brevets juteux.
Mais l’occasionnelle rivalité francoaméricaine,
aux éclats épisodiques,
cache une collaboration jadis tacite et
aujourd’hui bien affichée. Tandis que le
président de Gaulle tonnait contre les
États-Unis et dotait la France de « sa »
bombe atomique, celle-ci bénéficiait en
sous-main de fonds secrets de financement
américain.
Il existe, en effet, une « French
connection » au sein des chercheurs.
Des américanistes, des américanophiles
maintiennent des contacts permanents
dans les diverses couches
sociales, souvent à travers des organismes
officiels ou semi-officiels dont
le fonctionnement et les choix restent
relativement obscurs.
Du côté scientifique, on affiche la collaboration
du CNES avec la NASA,
celle du CNRS et des centres d’outre-
Atlantique dans de multiples
domaines, l’astronomie par exemple.
Quant aux chercheurs français embauchés
dans des multinationales, ils rencontrent
de manière quasi permanente
leurs collègues des autres pays. Outre
ces rapports parfois médiatisés, il existe
aussi des filières pour le moins discrètes,
comme le montre l’exemple du
financement nucléaire.
Assurément, il ne faut pas imaginer
des conspirations partout. Mais il serait
naïf de croire que tout se passe dans la
transparence. Les États se manipulent
les uns les autres et, en ce domaine, il
n’y a pas d’exception française.
On peut distinguer deux grandes
périodes dans les rapports de la recherche
entre les États-Unis et la France :
celle de la guerre froide, où l’influence
américaine se fit surtout de manière
clandestine, et l’ère postérieure à la
chute du rideau de fer, marquée par
une connivence entre les deux
systèmes. On peut dire qu’aujourd’hui
l ’ H e x a g o n e
s’est converti au modèle américain,
comme on le remarque dans l’évolution
des diplômes et des critères d’évaluation
des enseignants dans certaines
disciplines, la psychologie par
exemple.