Août 2008, le canon tonne sur la frontière. Le nain géorgien
entre en guerre contre l’ogre russe. Tbilissi veut mettre fin aux
volontés autonomistes de deux territoires russophones.
Ailleurs le grand carnaval planétaire et sportif a véhiculé pendant
des mois les idées d’indépendance, d’autonomie, de suzeraineté à
propos du Tibet.
Vingt ans auparavant, le rideau de fer qui sépare en Europe l’Est
de l’Ouest commence à s’effilocher avant de tomber soudainement,
entraîné par la chute du Mur de Berlin. Cette disparition cache le
développement d’autres murs, réels comme ceux qui séparent le
Mexique des États-Unis, Israël des territoires occupés et des confettis
palestiniens, et virtuels comme celui qui se met en place autour de
l’Europe et qui a nom Schengen.
Malgré la mondialisation ou à cause d’elle, le petit carré de
territoire où nous vivons reprend des dimensions oubliées dans le
maelström uniformisant de la consommation. L’identité de chacun-chacune est liée à ces interrogations permanentes, où vivez-vous,
d’où venez-vous, où allez-vous ? Comment les frontières s’inscriventelles
dans nos pensées et dans nos corps ?
Danton, peu avant d’être guillotiné, refusait d’emporter la patrie
à la semelle de ses souliers. Qu’en est-il pour des anarchistes
aujourd’hui ? Quels sont ces territoires qui nous importent ou nous
pèsent ?
L’anarchisme a toujours revendiqué l’internationalisme, « ni
patrie ni frontière ». Les revendications paysannes amérindiennes,
liées au sol comme à l’ethnie, qui font irruption sur la scène
internationale, particulièrement en Amérique latine, semblent
contraires à cette affirmation fondamentale. Annick Stevens tente
dans son article de sortir de cette contradiction apparente qui reflète
en fait un attachement à des racines souvent oubliées quand elles ne
sont pas niées. Ces étrangers sur leur propre sol sont les frères et les
soeurs de ceux qui fuient des conditions de vie mortifères et viennent
se perdre dans ces paradis du capitalisme qui apparaissent à leurs
yeux comme des havres de salut. Irène Pereira se demande comment
ce qui apparaît comme opposé, la théorie politique anarchiste et la
notion de territoire, amène en fait à élaborer un mode d’intervention
aux côtés des immigrés et une pensée qui n’exclut pas ce problème
du territoire. Auparavant, Philippe Pelletier nous a rappelé comment
la notion de territoire, en relation avec le pouvoir, se construit dans
la pensée anarchiste. Max Cafard avance, lui, que « la Région est
l’origine » même si elle est multiple et arbitraire. Si la région, dit-il, est
la fin du centrisme, elle est aussi perpétuellement en marche vers
l’extérieur, ce que ne pourraient nier les deux articles qui terminent
ce premier dossier. Les nomades semblent, pour un sédentaire,
hostiles à la notion même de territoire tant cette idée apparaît
comme statique. Parlant du nomadisme des Roms, Claire Auzias
décrit leur volonté farouche d’auto-effacement, leur refus d’être vus,
alors qu’Hélène Claudot-Hawad décrit le nomadisme des hommes
bleus, ces Touaregs mythiques, comme un marquage ritualisé à
l’extrême de leur voyage permanent, indispensable à leur existence
même et si fragile face aux appétits étatiques et économiques des
pays qui entourent ce grand désert du Sahara.
Pour Pierre Sommermeyer la vie est un voyage à travers bien des
frontières ; pour Alain Thévenet la ville peut être un ensemble de
territoires juxtaposés, ignorés, dont le sens ne demande qu’à être
découvert. Les territoires peuvent aussi être linguistiques et porter à
conflits entre anarchistes, c’est ce que nous dit le groupe Horsd’
OEuvre de Montréal. Pierre Champollion explique comment
l’impact des contextes territoriaux sur les destinées humaines, tant
individuelles que collectives, s’avère plus intense qu’on ne
l’imaginait. Jean-Luc Fauguet démontre à quel point une vision
fausse du procès scolaire, aussi bien dans les écoles rurales que dans
les écoles urbaines, a de l’influence sur les politiques scolaires. Pour
Anne Piponnier, la fabrication d’un projet dans un territoire donné
est devenue une fin en soi. Le projet légitime le désir de territoire.
Avec Jean-Pierre Garnier, le mur qui est en train d’être édifié entre
Israël et la Palestine apparaît pour ce qu’il est réellement : non
seulement est-il une barrière mais surtout il préfigure une société
ultra-sécurisée, parcellarisée, qui confrontée à un monde globalisé
s’enferme.
Vivien Garcia prolonge la discussion entamée dans le numéro
précédent de Réfractions, à propos du « postanarchisme ». Il expose
quels sont les enjeux d’un tel débat et en quoi cela recoupe la
discussion sur la « postmodernité ». Pour Pierre Jouventin, dans la
rubrique TRANSVERSALES, l’individualisme anarchiste a disparu des
débats, à tort à son avis. Il soutient que « l’anarchisme historique »
peut être considéré comme une rêverie d’humanistes optimistes et
que seul l’individualisme libertaire ouvre le champ des possibles.
René Fugler rappelle plus avant ce qu’étaient les individualistes de la
« Belle époque » dans leur combat « illégaliste » comme Marius Jacob
ou leurs expériences communautaires.
Comme dans tous les autres numéros nous partageons avec nos
lectrices et lecteurs des livres, films ou musiques que nous avons
particulièrement aimés.
La commission de rédaction