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Pablo Servigne
L’anarchie par les plantes
Article mis en ligne le 13 juillet 2008

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– Le mal s’est généralisé au point qu’on prétend aujourd’hui
promouvoir une agriculture durable, comme si une agriculture
digne de ce nom pouvait être autre chose que durable.

– Cela est bien, dit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

Les pays développés sont ceux qui n’ont presque plus de
paysans2. En passant à un système agricole industriel, ce que
nous avons gagné en efficacité à court terme, nous l’avons perdu
en diversité, souvent en qualité et surtout en autonomie alimentaire.De
nos jours, nous dépendons presque totalement du marché et du
supermarché pour nous nourrir. Et parallèlement, la dégradation de la
qualité des aliments et de l’environnement préoccupe de plus en plus
de monde. Mais au fil des ans, une résistance s’est organisée sous forme
de contestation et sous forme d’alternatives.

Certains se sont battus pour améliorer la qualité des produits et des
sols3. Ainsi, le label Agriculture Biologique (AB) impose des critères très
stricts de qualité au système de production actuel. Mais ce système s’en
accommode très bien : non seulement la demande augmente, mais les
prix sont très élevés (surtout à cause de l’obtention du label). Même si
l’AB donne du fil à retordre au système agro-industriel, il n’est jamais
question de remettre en cause le système lui-même. Pire, sous couvert
de bonne conscience, l’AB reproduit des aspects de l’agriculture
industrielle (dans la production et la distribution) qui favorisent
l’exploitation de l’humain, l’accumulation de la valeur ajoutée produite par les entreprises de commercialisation
et la folle hausse des transports de
marchandises (combien de kilomètres
parcourt le kiwi bio de Nouvelle-
Zélande ?). En bref, l’AB ne prend pas en
compte le facteur humain4. Il faut donc
aller voir plus loin.
La mauvaise herbe
Depuis quelques années, d’innombrables
alternatives agraires et écologiques
ont vu le jour. Parmi celles-ci
les AMAP, les SELT5, les squats ruraux,
les fermes autogérées, les jardins sur les
toits des villes, les écovillages, les
écorégions, l’agriculture écologique, la
permaculture6, pour n’en citer que
quelques-unes.

Toutes ces expériences, à l’instar de la
nébuleuse altermondialiste, explorent
de nombreuses pistes, plus ou moins
concrètes, crédibles et désirables.
Souvent en contact direct avec le monde
agricole, mais jamais limitées à ce seul
côté, elles touchent des thèmes qui
préoccupent les anarchistes (le lien
social, la production, la consommation,
la centralisation du pouvoir, l’autonomie,
l’aménagement du territoire, le
logement, l’écologie, le progrès…). Ces
tentatives de créer d’autres mondes
prennent forme peu à peu, se forgent
par le vécu et se diffusent, bouturent ou
meurent, changent le quotidien et
recréent du collectif, au Sud comme au
Nord, à la ville comme à la campagne. Et
les enjeux politiques ne sont jamais loin.

Le présent article tente de cerner ce
mouvement, d’en définir les forces, les
limites et les perspectives, afin d’en
identifier les grands axes qui pourraient
intéresser les anarchistes. Le but n’étant
ni de faire l’inventaire exhaustif de toutes
ces expériences, ni de les canaliser
derrière un « petit livre vert », mais d’en
dégager la puissance subversive pour
montrer qu’elles sont loin d’être
incohérentes ou négligeables. La force et
la portée de cette nébuleuse « alter-agro »
suggèrent qu’on se trouve là à un point
clé de tension entre les différentes forces
idéologiques qui bâtiront le monde de
demain, ce qui en fait sûrement un enjeu
majeur des luttes de notre époque.
Au fil des découvertes, des rencontres
et de la rédaction de cet article, quatre
thèmes récurrents sont apparus :
l’échelle, le lien social, l’autonomie et la
vision écologique. Ces quatre axes, qui
recoupent presque toutes les expériences,
structureront donc le texte.


1. La question de l’échelle

Suivant une des théories du libéralisme
économique7, chaque pays devrait se
spécialiser dans ce qu’il sait le mieux faire
et laisser le libre marché répartir toutes
les marchandises idéalement pour le
bonheur de tous. C’est la mondialisation
telle que nous la connaissons, le village
global, le village à grande échelle. Si cette
utopie s’installe « durablement », elle aura
trois conséquences majeures sur l’agriculture
 : l’augmentation inexorable du
transport mondial de marchandises, la
dépendance vis-à-vis des aléas du marché
et la généralisation des monocultures.
Premièrement, l’augmentation des
transports de marchandises est une
aberration écologique, pour des raisons
évidentes de consommation d’énergie et
de dégradations environnementales8
(faire venir une poire d’Afrique du Sud
en avion, c’est transporter 99 % d’eau).
Deuxièmement, la dépendance visà-
vis des aléas du marché est une
aberration politique et économique.

D’abord, parce qu’elle fragilise les régions
en les exposant à des pouvoirs puissants
ou à un marché aléatoire et réduit à
néant ce que d’aucuns appellent
« l’immunité d’une région » 9. Ensuite,
parce que le marché est truqué10 et que
nous retombons dans un néocolonialisme
où le Sud reste le potager du
Nord (que les bananes, le cacao ou le café
soient équitables ou pas).

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