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Entrevue avec Michel Pialoux,
La crise des banlieues, novembre 2005
par Monique Boireau-Rouillé
Article mis en ligne le 7 juillet 2008

MBR. Michel Pialoux, vous avez publié avec Stéphane Beaud en 2003
Violences urbaines, violences sociales, et au fond vous êtes, je pense, étonné
que certains se soient étonnés de cette révolte des banlieues, des émeutes de
novembre 2005.

MP. Oui, on peut dire que cette révolte ne nous a pas vraiment surpris,
encore que… En octobre-novembre, nous étions loin du terrain de
Sochaux, mais quand on suit avec attention l’actualité on est toujours
indigné… quand on voit survenir des violences comme celles qui sont
survenues à Clichy fin octobre 2005. C’est vrai que l’on est un peu
« formé » maintenant à la fois à s’indigner, et à constater que ces
événements troublent au fond très peu les gens. En effet, c’était quand
même, dès que l’on a connu un peu mieux le déroulement de l’affaire,
une histoire très significative de violences, au départ, et très vite, on l’a
su depuis, de dissimulation. Personnellement, je n’ai pas du tout pensé
que les choses allaient s’étendre comme elles l’ont fait. J’étais dans un
village du Sud-Ouest et j’ai entendu les gens au marché parler de
« violences » dans la banlieue nord de Paris. La radio et la télévision
avaient évoqué des personnes qui avaient été agressées chez elles, par
des jeunes issus de l’immigration, et c’était cela qui produisait de
l’indignation… Je me disais : voilà encore ce que la télé produit sur des
gens qui ne connaissent rien à ce monde des banlieues.
C’est comme ça que j’ai appris que des événements importants
(violences ? émeutes… on ne savait pas comment les nommer) étaient
en train de se dérouler dans le nord de la Seine Saint-Denis. Après, ce
qui m’a surpris, c’est la vitesse avec laquelle le mouvement de révolte des jeunes s’est propagé dans toute la
France. Il faudrait refaire la chronologie
dans le détail, jour après jour ; mais on a
l’impression surtout que des déclarations
ont alimenté le feu ; il y a eu aussi
l’histoire de la grenade envoyée dans la
mosquée et tout un enchaînement qui a
fait qu’une sorte d’explosion finalement a
eu lieu et que l’incendie s’est propagé
dans des zones où personne ne pouvait
penser que ça allait « brûler ».

Vous, vous pensez que l’histoire de la
grenade lacrymogène qui avait été prétendument
lancée dans la mosquée, et sur
laquelle on est revenu en arrière, c’était le
genre d’information susceptible de jeter le
trouble finalement dans les esprits, ça
réduisait les choses à des provocations ?
Mais après, dans la détermination des jeunes
à mettre en place ce processus de brûler des
voitures tous les jours, presque, pour passer
à la télé, est-ce que cet événement-là a été
important ? En fait, ce que j’aimerais savoir,
c’est si dans votre analyse la religion joue un
rôle important ?

– Je vais dire pas du tout, même si je suis
excessif en disant cela ; cette explication
en lien avec la religion peut surgir
comme rationalisation après coup ; mais
ce qu’il y a avant tout, et c’est ce qu’on
analyse dans notre livre, c’est pour ces
jeunes le sentiment d’être traités comme
des chiens, sans cesse humiliés, d’être
dans une situation d’où ils ne vont pas
sortir et sur laquelle tout le monde dit ou
écrit des bêtises, c’est cette situation de
refus, de non-acceptation de l’image
qu’on donne de vous…

C’est tout cela et aussi l’impossibilité
d’avoir un avenir qui est venu d’un seul
coup à la surface et s’est traduit par ces
violences. Il me semble que le thème
de la religion est tout à fait mineur…
Mais j’y insiste très fortement, nous, on n’a pas enquêté sur ces évènementslà…

Je suis revenu à Montbéliard récemment
et j’ai bien sûr posé des questions à
des gens de la ZUP sur laquelle nous
avions enquêté au début des années
2000, mais ils ne m’ont pas dit beaucoup
de choses nouvelles à ce sujet ; en tout
cas, la question du rapport à la religion
n’a jamais ressurgi… Il me semble que
les islamistes n’ont pas cherché à jeter de
l’huile sur le feu, au contraire, ils tentaient
plutôt de calmer le jeu.

– Oui, c’est ce qu’ont dit les médias. Mais ils
ont évoqué la religion, une sorte de façon de
l’introduire à tort ou à raison dans cette
affaire, avec les imams qui demandaient aux
jeunes de rentrer chez eux ; je me suis un peu
demandé s’il n’y avait pas là un effet pervers
de la télé qui, en évoquant ce thème et en
montrant ces imams même dans un « bon »
rôle, engendrait l’idée d’un rôle important de
la religion, les imams assurant le contrôle
social, le quadrillage social dans un lieu où la
police « républicaine » n’entre pas ou plus, ou
difficilement. C’était aussi une façon de
montrer ou d’évoquer un certain
communautarisme, avec les peurs que ce
phénomène engendre.

– C‘est vrai, ce fait existe ; je reviens de
Montbéliard, et un article de journal
rendait compte d’une grosse bagarre qui
avait éclaté à la suite d’un mariage où des
jeunes d’une cité s’étaient « invités », dans
une autre cité. L’article développait l’idée
que les imams étant intervenus, que
c’étaient eux qui avaient rétabli l’ordre. Et
l’ami ouvrier chez qui j’habitais s’indignait
très fort de cela, dans une tradition
« républicaine » et laïque. Mais dans les
violences de novembre, me semble-t-il,
cela n’a pas beaucoup surgi. Ces jeunes
se mobilisaient rapidement, ils savaient
ce qu’ils faisaient en mettant le feu à des
voitures, ils connaissaient le sens de leurs
actes, et je pense que cela s’est fait en
dehors de toute intervention de groupe
organisé ; c’étaient plutôt de petits
groupes de jeunes et de très jeunes, qui
se connaissaient et qui étaient liés par
diverses formes de complicité.

– On voit bien la forme symbolique de
contestation qu’il y a dans le fait de brûler
des voitures, face à une société de consommation
qui refuse de vous intégrer, mais les
voitures brûlées étant celles de leur famille
ou voisins, il y avait là quelque chose de
totalement désespéré dans cette forme de
contestation…

– Oui, nous, on parle de mouvement
autodestructeur. Tout se passe comme si
ces jeunes avaient senti que le comportement
de la police leur donnait une
occasion unique de « marquer le coup »,
d’attirer les projecteurs sur eux, les
caméras de TV, d’organiser du spectacle,
et pour cela, les flammes, il n’y a rien de
mieux. Mais il y avait aussi la volonté
d’empêcher l’extension aux habitations ;
ce sont souvent des écoles, des bibliothèques,
des gymnases qui ont brûlé…
Dans l’analyse qu’on faisait sur les
violences à Montbéliard en 2000, on
insistait sur le fait que les écoles étaient
préservées, alors que la cité de justice et le
centre commercial avaient brûlé. Six ans
plus tard, l’évidence s’impose, les espoirs
qui pouvaient être encore placés dans
l’école sont définitivement cassés ; il y a
eu trop d’humiliations subies.

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