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Tomás Ibañez
À l’aube du XXIe siècle : les clairs-obscurs de la nouvelle donne
Article mis en ligne le 7 juillet 2008

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Nos ongles se sont cassés de tant creuser sous les pavés mais nous
n’avons pas trouvé la plage…, devons-nous renoncer pour autant
à arracher les pavés ? Non, bien sûr,
mais sans nourrir d’illusions sur ce qu’ils nous cachent.
La voix des lendemains qui chantent s’est étranglée dans nos gorges,
faut-il donc renoncer à dissiper la nuit ? Non bien sûr.
Mais sans illusions sur ce que nous réserve la levée du jour.
Pour des raisons qui sont sans doute liées à cette innovation
majeure dans le domaine des technologies de l’intelligence
qu’est l’informatique, la vitesse est devenue incontestablement
l’un des traits les plus saillants de notre époque. La rapidité avec
laquelle telle ou telle innovation sociale, culturelle ou technique, tel ou
tel produit, voire tel ou tel engouement, se propagent et s’installent
dans l’ensemble du tissu social n’a de pair que la rapidité de leur
obsolescence, et cela n’est certainement pas fait pour rendre plus aisée
notre compréhension du présent.

En effet, les rythmes des changements sociaux se sont accélérés à tel
point de nos jours que ce qui est déjà révolu conserve encore une
présence suffisante pour imprégner et donc pour égarer nos regards.
C’est un peu comme si, lestées de plus d’inertie que la réalité sociale
elle-même, les représentations que nous nous en faisons et les
croyances que nous maintenons à son sujet changeaient moins vite
que celle-ci, accentuant ainsi la tendance que nous avons déjà à projeter
dans notre perception du présent des traits n’appartenant plus qu’au
passé.

Comme il ne pouvait en être autrement, la vitesse qui marque le
rythme des changements sociaux et le rythme de la vie sociale retentit
aussi sur la texture de nos imaginaires. Ainsi, il est surprenant de
constater la rapidité avec laquelle un
imaginaire subversif dont les grands
traits avaient perduré sur plus d’un siècle
a été frappé d’obsolescence. Il n’aura
guère fallu qu’un quart de siècle, disons
en gros le temps écoulé depuis la fin des
années 70, pour que se désagrège totalement
l’imaginaire révolutionnaire qui
avait soutenu les résistances populaires
pendant une bonne partie du XIXe et du
XXe siècle et qui résonnait encore avec
une certaine intensité dans les rêves des
soixante-huitards. Il est clair qu’aujourd’hui
le sujet politique, le projet politique
et les pratiques politiques de l’antagonisme
social se sont largement métamorphosés
et ne gardent plus aucune
ressemblance avec ce qu’ils furent jusqu’à
naguère.

Plus de grands principes organisateurs
de notre vision d’un changement social
émancipateur, adieu la belle assurance
dont faisaient preuve nos aînés. Le solide
lit de roche sur lequel s’ancraient il n’y a
pas si longtemps les grandes convictions
émancipatrices s’est liquéfié peu à peu,
pour ne plus constituer qu’un socle
instable et mouvant sur lequel rien de
définitif ou, du moins, rien de durable ne
semble pouvoir s’édifier.
Le problème est que la vitesse même
à laquelle cet imaginaire révolutionnaire
a périclité fait qu’il continue à imprégner
notre regard et à bloquer notre capacité
d’inventer de nouvelles pratiques antagonistes.
Cette difficulté à nous déprendre
d’un imaginaire subversif qui n’a plus
cours suggère l’image quelque peu paradoxale
de révolutionnaires qui seraient
en fait profondément conservateurs
quand à leurs propres schémas : tout
changer, oui bien sûr, sauf nos propres
traditions qu’il ne s’agit même pas de
réviser !

Certes, nous sommes tout à fait
conscients que le prolétariat ne peut plus
être le sujet politique de la révolution,
mais nous lui cherchons désespérément
des substituts sous la forme de nouveaux
sujets politiques émergeant successivement
à partir des nouvelles coordonnées
de l’exploitation ou de la domination, et
occupant à tour de rôle le devant de la
scène durant un temps chaque fois plus
bref. Certes, nous sommes bien
conscients qu’il n’y a pas de grand soir à
attendre ni à atteindre, mais nous
cherchons à le remplacer par une image
équivalente capable de susciter de
nouveaux enthousiasmes. En dépit de
nos efforts, il semble nous en coûter de
ne pas céder à la tentation de réécrire le
scénario de la résistance ou de la subversion
comme s’il n’était qu’une simple
réédition du passé dans un décor à peine
retouché, au lieu d’assumer dans sa
radicalité l’obsolescence de l’ancien
imaginaire subversif.

Pourtant, quitte à répéter quelques
poncifs, il nous faut bien admettre que
les métarécits et l’eschatologie ont fait
définitivement leur temps, et que tant
pour ce qui est des caractéristiques de la
réalité sociale actuelle que pour ce qui est
des pratiques antagonistes, nous nous
trouvons confrontés sans palliatifs à une
toute nouvelle donne qui inaugure de
nouveaux temps.

En principe, il semblerait que le
courant anarchiste qui se constitua dans
le cadre des grandes idéologies émancipatrices
forgées au XIXe siècle et nourries
dans les luttes d’une bonne partie du
XXe siècle ne puisse que se réjouir de
l’érosion de ces grandes certitudes dont
lui-même participait cependant quelque
peu, ou que lui-même contribua peu ou
prou à établir.

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