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Alain Thévenet
Du dressage des ours
Aperçu sur quelques idées de l’enfance et de l’éducation au XVIIIe siècle
Article mis en ligne le 24 juin 2008

On prétend que c’est le XVIIIe siècle qui a « inventé » le concept
d’enfance. Jusque-là, à ce qu’on dit, les enfants étaient
considérés comme quantité négligeable, de simples adultes
en réduction, dont la seule valeur résidait en ce qu’ils étaient appelés à
devenir, plus tard. On peut d’ailleurs se demander si cette « invention »
a amené un véritable progrès ou, en tout cas, une réelle amélioration
dans l’existence enfantine. Après tout, avant, ils menaient une vie
marginale dans laquelle, sans doute, les adultes intervenaient peu. Les
enfants de paysans, ou des pauvres en général, lorsqu’ils n’étaient pas
livrés à eux-mêmes, participaient dès que possible aux travaux des
adultes, avec toute la pénibilité que cela supposait. Ils mouraient
beaucoup, certes, précocement, souffraient de la faim et du froid ainsi
que des incursions des grands, au même titre que les adultes. Mais on
peut se demander s’ils étaient plus malheureux que les enfants du
XIXe siècle condamnés, on le sait, à travailler dès huit ans dans les mines,
comme aujourd’hui, d’ailleurs, les enfants du tiers monde.

Les enfants pauvres n’existaient pas, pas plus d’ailleurs que leurs
parents. Les pauvres étaient quantité négligeable, instruments ou outils
des desseins des grands. D’ailleurs de nos jours… Les discours des
politiques prouvent bien que ce qui compte aujourd’hui, dans les faits,
c’est l’éducation des futures élites et que la préoccupation qu’on porte
aux autres a pour principal but de trouver à les caser, et peu importe où,
pourvu qu’ils ne se manifestent pas trop. Ainsi les collèges publics
deviennent-ils insidieusement des dépotoirs à pauvres dont les moyens
sont limités au strict nécessaire, tandis que les privilégiés dans les
collèges privés bénéficient de moyens accrus.

Toujours est-il qu’à cette époque on
s’intéressait exclusivement à l’éducation
des princes ou des nobles. Mais cette
éducation avait déjà pour seule finalité de
les préparer à leur rôle futur. De même
qu’aujourd’hui, ce n’était évidemment
pas l’enfant en tant que personne qui
était pris en considération, mais son rôle
futur dans le maintien d’un ordre social
établi. Quant à l’enfant pauvre, il n’avait
pas besoin d’être éduqué et, à proprement
parler, n’existait pas.

Laissons cela pour l’instant. Et créditons
les penseurs du XVIIIe siècle d’un réel
souci de la personne même des enfants.
Il nous faudra alors admettre que ce souci
va de pair avec la critique portée par ces
auteurs sur l’ensemble du système politique
et social de leur époque et je ferai
l’hypothèse qu’au travers de ceci, il est
possible de percevoir l’idée que se
faisaient ces hommes (parce qu’il s’agit
presque toujours d’hommes) de ce que
pouvait être un système plus juste et plus
conforme à la nature, qu’il s’agisse de la
nature humaine, ou de ce qu’on nomme
ainsi, ou de la nature telle qu’un Dieu, ou
une instance suprême l’aurait définie.

Depuis de nombreuses années je
m’intéresse à William Godwin, qui
pourrait être un précurseur de la mise en
forme moderne d’une pensée anarchiste.
À la lecture de ses oeuvres, on constate
qu’il fait de nombreuses références à
Rousseau et à Helvétius. Il n’est peut-être
pas inintéressant de réfléchir à la manière
dont ces deux auteurs considèrent
l’éducation et l’enfant.

Rousseau, ou l’enfant sous serre

À tout seigneur, tout honneur. Je commencerai
donc par Rousseau. N’est-il pas
considéré comme le précurseur de l’éducation
moderne, l’ami des enfants et l’inventeur
de la pédagogie, au point d’avoir
donné son nom à nombre d’instituts de
recherche pédagogique et d’être, sans
doute, au programme de toutes les
Écoles normales ?

Une remarque d’abord. La publication
de l’Émile (1762) est contemporaine de
celle du Contrat Social. Pour Rousseau, les
préoccupations quant à l’éducation ne
sont jamais séparées du souci politique.
Et l’un et l’autre sont avant tout soustendus
par un souci moral. Certes,
Rousseau se révolte contre l’inégalité,
tout en la considérant comme une conséquence
inévitable de l’éloignement de
l’état de nature. Mais s’il regrette l’égalité
primitive et d’ailleurs illusoire des temps
primitifs dont il sait qu’ils n’ont jamais
existé, c’est plus parce que l’inégalité
trahit une loi naturelle malheureusement
perdue à jamais.Tant bien que mal, aussi
bien le contrat social que l’éducation
doivent tenter de retrouver l’esprit de
cette loi naturelle sans jamais pouvoir
atteindre à sa perfection, sans jamais
retrouver l’égalité originelle : « Il y a dans
l’état de nature une égalité de fait réelle
et indestructible, parce qu’il est impossible
dans cet état que la seule différence
d’homme à homme soit assez grande
pour rendre l’un dépendant de l’autre. Il
y a dans l’état civil une égalité de droit
chimérique et vaine, parce que les
moyens destinés à la maintenir servent
eux-mêmes à la détruire, et que la force
publique ajoutée au plus fort pour
opprimer le faible rompt l’espèce d’équilibre
que la nature avait mis entre eux.

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