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Mickaël Goyot
Élèves sans papiers
Article mis en ligne le 13 février 2008

Le réseau éducation sans frontières (RESF) s’est créé en
juin 2004, suite à la lutte pour la régularisation d’un lycéen en
région parisienne. Le développement du réseau depuis cette
lutte est important, il est maintenant présent dans plusieurs dizaines de
villes et dans la moitié des départements. Dans la plupart des cas, il se
développe autour d’écoles, collèges ou lycées dans lesquels des élèves
et leurs parents sans papiers sont bien souvent menacés d’expulsion et
dont les conditions de vie (il convient bien souvent mieux de parler de
survie) sont ultra-précaires et indignes d’un pays se revendiquant des
droits de l’homme.

De telles situations se multiplient du fait des
durcissements successifs visant les étrangers vivant en France. Pour
l’année 2005, Sarkozy avait fixé l’objectif de 20 000 reconduites à la
frontière – euphémisme d’expulsion et mise en danger de la vie des
personnes expulsées . Cet objectif ayant été atteint, il a donc été fixé à
25000 pour 2006. Les lois régissant le séjour des immigrés sont de plus
en plus répressives, notamment avec le projet de réforme du Code de
l’entrée et séjour des étrangers et demandeurs d’asile (Ceseda), qui,
 au-delà des atteintes pures et simples aux droits fondamentaux qu’il
représente, s’annonce comme un redoutable instrument de pressurisation
des travailleurs migrants au service du patronat et des intérêts
économiques nationaux. En somme, il s’agit d’établir une véritable
immigration « choisie » sur des bases purement utilitaires.

Ce nouveau
code introduit en effet des notions dont on n’avait plus entendu parler
depuis 1945, réduisant les étrangers à une force de travail, sans
référence à une quelconque situation familiale ou privée.Ce projet vise
à supprimer des catégories actuellement protégées, à restreindre les
regroupements familiaux et à durcir les conditions d’admission au
séjour des étrangers entrés en France mineurs et des étrangers malades.
Dans le même temps on entend se multiplier les annonces de remise
en cause du droit du sol.

Face à cette situation, les luttes pour
les sans-papiers sont en train de se
multiplier dans les établissements scolaires.
En effet, celles-ci n’existaient pas
sous cette forme il y a quelques années.
Ceci peut certainement s’expliquer par
deux raisons. Auparavant le gouvernement
ne fixait aucun objectif chiffré
d’expulsions. Désormais, pour atteindre
ceux-ci, il devient nécessaire d’expulser
une famille entière plutôt qu’un individu
seul. C’est pour cela que nous avons vu
fleurir les arrestations à la sortie des
écoles ou encore la police appeler des
directeurs d’école afin de s’assurer si tel
enfant était bien scolarisé dans leur
établissement. L’autre fait nouveau est
que les enseignants se mobilisent pour
leurs élèves. Il est probable que l’école
était certainement appréhendée, comme
toutes les autres institutions, avec
défiance par les sans-papiers qui pensaient
que le fait de se déclarer auprès
des enseignants était un risque de se faire
dénoncer. Or les mobilisations successives
d’enseignants pour des familles ont
certainement encouragé celles-ci à sortir
de l’ombre. Ces mobilisations ont aussi
permis d’obtenir un répit au niveau des
expulsions, car devant la multiplication
des luttes Sarkozy a demandé que les
enfants scolarisés ne soient pas expulsés
au cours de l’année scolaire et donc
qu’on attende les vacances.

C’est ainsi que lors d’un rassemblement
lyonnais du RESF, une famille
du collège Henri Barbusse à Vaulx-en-
Velin, d’origine arméno-azérie avec
quatre enfants de 3 à 15 ans et dont le
papa a de gros problèmes de santé
(hernie nécessitant certainement une
opération), a sollicité l’aide d’enseignants,
car ils allaient être mis à la porte
du forum des réfugiés de Vaulx-en-Velin
le lundi suivant. En effet toutes leurs
demandes de régularisation, dont le
recours à l’OFPRA [1], avaient été refusées.
Dans ce cas, les forums de réfugiés, qui
prennent en charge les personnes ayant
fait des demandes de régularisation, ne
sont plus tenus d’héberger celles-ci
lorsque leurs demandes sont rejetées.
Nous avons donc commencé à
informer nos collègues de la situation de
cette famille et en particulier les professeurs
principaux des classes dans
lesquelles les jeunes filles sont scolarisées
au collège, ainsi que les professeurs des
écoles des enfants plus jeunes. L’émoi a
bien entendu été fort, nous allions être
confrontés à des élèves dont nous
savions qu’elles n’avaient pas de lieu
pour dormir, pour faire leurs devoirs,
pour manger. Dans une telle situation,
comment parler aux élèves de l’importance
de l’école, d’égalité, etc. ? À l’issue
d’une prise de parole en salle des
professeurs à la récréation le lundi matin,
l’ensemble des professeurs présents a
décidé de se regrouper devant le forum
des réfugiés à 12 heures et de demander
à être reçus pour revendiquer la poursuite
de l’hébergement de la famille.
Devant le forum, trois élèves de la classe
de l’aînée étaient présentes, dont une
élève d’origine tchétchène dont la famille
avait été régularisée peu de temps
auparavant. Elles avaient été informées
de la situation par leur camarade de
classe et souhaitaient la soutenir. Avant
l’audience demandée aux responsables
du Forum par les enseignants, nous
apprenons que le personnel avait profité
du trajet au cours duquel les parents
avaient emmené les enfants à l’école
pour sortir toutes leurs affaires de la
chambre et les conduire à l’hôtel dans
lequel la famille aurait sept nuits de
payées. Nous savions donc que pendant
une semaine, la famille ne serait pas à la
rue, qu’elle aurait une chambre d’hôtel
pour six personnes dans laquelle on ne
pourrait pas faire à manger… Cette
solution n’était bien évidemment pas
acceptable, mais elle nous permettait
d’éviter le pire et surtout d’organiser la
mobilisation pour trouver une solution
convenable.

Lors de l’audience au Forum, les
responsables présents ont justifié leur
action en disant qu’ils ne pouvaient rien
faire d’autre que d’appliquer les directives
qui leur étaient données, que des
nouvelles personnes avaient déjà pris la
place. Les parents nous ayant rejoints
devant le forum, nous les avons fait
rentrer pour qu’ils puissent eux aussi
assister à la réunion. Ceci n’a pas été
apprécié par les responsables du forum.
En effet, il était plus simple d’affirmer
appliquer à la lettre une directive, sans la
présence physique des personnes
concernées, et donc de ne les considérer
que comme des numéros.

Sur le parking, lors d’une AG
improvisée, nous avons évoqué pour la
première fois la possibilité de recourir à la
grève pour dénoncer cette situation et
forcer l’État à leur trouver une solution.
Nous envisagions de mener cette action
dès le lendemain, mais nous n’étions
couverts par aucun préavis et il nous
fallait préparer cette journée pour la
réussir pleinement, ce qui signifiait être
nombreux en grève et médiatiser au
maximum la situation de cette famille.
Étant donné que des élèves avaient
entendu parler de l’affaire sans savoir
exactement qui était concerné ni ce
qu’elles risquaient, nous avons eu l’idée
d’informer l’ensemble des élèves sur la
situation de leurs camarades et nous
avons décidé de faire une conférence de
presse devant le collège le mardi à 12 h.
Il a ainsi été décidé, puis confirmé lors de
la recréation du mardi matin, que de 10 h
à 12 h les professeurs discuteraient avec
leurs élèves pour leur expliquer exactement
la situation de la famille et
répondre à leurs interrogations. Les
professeurs qui n’avaient pas cours à ces
heures et qui le souhaitaient sont
intervenus dans les classes avec des
professeurs qui redoutaient un peu cette
confrontation avec les élèves, soit parce
qu’eux-mêmes n’étaient pas suffisamment
informés sur la question des sanspapiers,
soit parce qu’ils étaient face à des
classes difficiles. C’est ainsi que je me suis
retrouvé face à une classe de quatrième
qui ne voulait pas rentrer en cours à
11 h… et qui souhaitait faire grève. Nous
les avons malgré tout fait entrer ; ils se
sont tous installés au fond de la classe et
ont refusé de s’asseoir.

Je leur ai réexpliqué la situation, de nombreuses
interrogations sont alors apparues :
« Vont-ils dormir dehors ? » « Où vont-ils
manger ? » etc. Ce qui au début leur
servait de prétexte pour ne pas vouloir
travailler a commencé à les interroger et,
pour certains, à les scandaliser ; un élève
a d’ailleurs dit : « Mais ils ont pas honte
de faire dormir des enfants dehors ! »
Plusieurs ont pleuré… Je leur ai assuré
qu’ils étaient pour l’instant à l’hôtel, et
devant leur insistance, je leur ai dit que de
toute façon nous ne les laisserions pas
dormir dehors, que nous trouverions
toujours une solution. Des élèves de cette
classe ont d’ailleurs amené l’après-midi
de la nourriture aux professeurs pour la
donner à la famille. Dans d’autres classes,
des élèves ont commencé à faire des
affiches « Non aux expulsions ». Nous
leur avons également précisé qu’à la
sortie du collège nous leur distribuerions
des pétitions qu’ils pourraient faire signer
à leurs parents et voisins à la sortie du
collège car, légalement, nous n’avons pas
le droit de distribuer des tracts ou des
pétitions dans l’enceinte de l’établissement.

Un élève qui avait connu une
situation semblable l’année passée, et qui
a vu sa situation se régulariser suite à la
mobilisation des instituteurs de son
école, des parents d’élèves et des
camarades de classe, a demandé à avoir
plusieurs pétitions en disant que les
autres l’avaient fait pour lui l’année
précédente. L’après-midi même, nous
avions déjà un nombre impressionnant
de signatures, et des élèves nous
redemandaient des pétitions, c’est ainsi
qu’en trois jours nous avons eu environ
deux mille signatures.

Nous avons ensuite tenu la
conférence de presse devant le collège
avec plusieurs journalistes et des caméras
de télévision. Cette conférence se
déroulant à la sortie des cours, nous
savions que les élèves risquaient d’être
excités à la vue des journalistes, ainsi
nous avions beaucoup discuté avec eux
pour leur expliquer qu’il était primordial
qu’ils se comportent bien, que c’était le
meilleur soutien qu’ils pouvaient
apporter à leurs camarades. C’est ainsi
que six cents élèves se sont rassemblés
devant le collège pendant que nous
expliquions le cas de la famille aux
journalistes. Des élèves ont sorti leurs
affiches et ont scandé plusieurs fois des
« Non aux expulsions ! »

Dans le même temps, nous avons fait
des démarches pour être reçus auprès
des institutions ; nous avons ainsi obtenu
un rendez-vous à la mairie de Vaulx-en-
Velin le soir même, et à la préfecture le
lendemain Là, nous avons organisé un
rassemblement auquel se sont joints
quelques élèves que nous avons vus tout
au long de la mobilisation. À la mairie, il
nous a été dit qu’ils ne pouvaient rien
faire, qu’ils étaient conscients de la
situation et que nous devions nous
adresser au conseil général, à la DDASS2,
etc. À la préfecture, la personne qui nous
a reçus, nommée quelques mois auparavant
pour s’occuper uniquement des
cas d’élèves sans-papiers, connaissait
donc très bien le dossier et avait surtout
un discours très légaliste : « Ils ont vu leur
demande refusée, il n’y a donc plus rien
à faire, ils doivent donc partir… » Nous
avons aussi cherché à être reçus par le
conseil général le jeudi, ce qui n’a pu se
faire. Nous sommes aussi entrés en
contact ave la communauté arménienne
pour voir quel soutien elle pouvait
apporter.

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