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Du syndicalisme révolutionnaire...
Jacques Toublet
Article mis en ligne le 6 novembre 2024
dernière modification le 5 novembre 2024

par ps

Syndicalisme, qui, en français, prend son sens moderne vers 1894, provient de la juxtaposition de deux radicaux du grec ancien, « sun » et « diké », qui signifient respectivement « avec », « ensemble » et « usage », « justice », « droit ». Si une des lignes étymologiques du mot est porteuse de l’idée de représentation, comme avec « syndic », une seconde donne naissance, au xvie siècle, à « syndical », au sens de ce qui était fait par une communauté, par opposition aux actions des particuliers, et à « faire syndicat » (1514) qui signifiait s’associer pour la défense d’intérêts communs. On trouve, dès 1697, « chambre syndicale », qui désignait un corps qui s’occupait des affaires d’un groupe professionnel. « Syndicat » apparaît, vers 1840, comme association de défense des intérêts professionnels.

Syndicalisme exprime, en même temps, la somme de tous ces concepts : représentation d’une collectivité aux intérêts communs, dans un esprit de droit et en vue de la justice...
Lorsque syndicalisme s’imposa, au tournant du siècle, pour désigner un des événements sociaux majeurs de l’époque, à savoir la multiplication et l’organisation collective des syndicats ouvriers, une seconde signification s’adjoignit à ce premier sens, celle de la doctrine professée par ces rassemblements dynamiques d’ouvriers et, dans une moindre mesure, d’employés. Le syndicalisme, pour les contemporains, c’était à la fois le mouvement ouvrier lui-même, un fait social, et la théorie politique que formulait ce mouvement, c’est-à-dire une idée, une idée de transformation sociale, une idée révolutionnaire. Le syndicalisme, compris dans cette acception première de syndicalisme révolutionnaire, c’était le prolétariat qui entendait s’occuper lui-même de ses propres affaires et qui proclamait haut et fort sa volonté de transformer le monde.

Ce syndicalisme-là permettait l’unité des ouvriers et de leurs associations dans un même groupement, la Confédération générale du travail, à la différence du socialisme parlementaire qui les avait divisés en partis opposés et concurrents. Le syndicalisme rendait possible l’unité parce qu’il plaçait au-dessus de l’opinion politique, philosophique et religieuse la notion de classe, l’intérêt de classe. Parce qu’il s’adressait aux prolétaires existant réellement, celles et ceux qui produisent beaucoup et consomment peu ; et non, comme les partis, à l’abstraction du citoyen, indépendamment de sa situation sociale. Le syndicalisme révolutionnaire s’identifiait, selon Émile Pouget, avec « l’idéal posé par toutes les écoles de philosophie sociale » ; mieux, il formulait cet idéal « expurgé » des détails secondaires et « sectaires » pour n’en conserver que « l’essence » et commençait de le réaliser dans les faits.

Le syndicalisme révolutionnaire récusait les médiations municipaliste et parlementaire qui poursuivent la chimère de l’émancipation ouvrière au moyen de la conquête des pouvoirs publics... pour le plus grand profit des politiciens qui les préconisent ; le syndicalisme leur opposait, comme stratégie générale, l’action directe des ouvriers eux-mêmes organisés dans leurs syndicats, au sein desquels, grâce à la lutte et à la solidarité, les éléments les plus généreux et les plus énergiques acquéraient une claire vision de l’antagonisme des classes et une conscience révolutionnaire.

L’action directe du syndicalisme révolutionnaire n’était pas nécessairement violente mais elle pouvait le devenir si on lui opposait des « jaunes » ou la force répressive de l’État. Ses formes étaient la grève, les manifestations, le sabotage, le boycottage. Elle s’exerçait contre le patronat privé ou public et, si nécessaire, contre l’État lui-même.

L’action directe devait se conclure, se parachever par la grève générale, prélude à l’expropriation des capitalistes, au démantèlement de l’appareil d’État et à la construction de la nouvelle société de bien-être et de liberté, dont les syndicats révolutionnaires étaient l’embryon.

Tel était le programme du parti du travail syndicaliste révolutionnaire : une « double besogne ». Améliorer les conditions de vie des prolétaires par la revendication, la lutte quotidienne et préparer opiniâtrement le changement social, par la parole, l’action, l’organisation. Le syndicalisme révolutionnaire proclamait, en effet, que la revendication prépare la révolution, parce que l’une comme l’autre n’acquièrent une réalité que par la lutte sociale, la solidarité ouvrière et l’apprentissage du rapport de forces réel.

Puisqu’il s’affirmait unitaire, c’est-à-dire en mesure d’accueillir dans ses rangs tous les prolétaires « conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat et du salariat », le syndicalisme révolutionnaire de la CGT ajoutait qu’il se considérait comme « neutre du point de vue politique », neutre envers les « partis et les sectes » qui, « en dehors et à côté » poursuivaient la « transformation sociale ». Il ne s’agissait pas, cependant, d’une neutralité qui impliquait une quelconque « passivité ». La Confédération n’abdiquait « devant aucun problème social non plus que politique, en donnant à ce mot son sens large » ; elle avait néanmoins décidé, dans l’intérêt de la cohésion interne, d’écarter de ses débats les affrontements relevant de l’électoralisme ou de l’anti-électoralisme, de la même manière qu’elle se déclarait « areligieuse » et « apatriotique ».

La conservation de l’unité organique, dans une tension permanente, il est vrai, entre les tendances, fut la grande force du syndicalisme révolutionnaire de la CGT ; cette unité résista au premier conflit mondial mais fut brisée par la Révolution russe et ses conséquences. Le léninisme, qui entendait imposer au prolétariat et à toutes ses réalisations la direction d’un parti d’avant-garde, refusait et combattait l’indépendance et l’autonomie du syndicalisme.

La scission de la CGT, dès lors qu’un certain nombre de militants eurent adopté les présupposés du bolchevisme, était inévitable.


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