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Jeannine Enjolric
Quelques réflexions à partir de Kirikou
Article mis en ligne le 30 janvier 2008
dernière modification le 24 juin 2008

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Qui ne connaît pas Kirikou et la sorcière, ou Izé Gani
l’enfant pas encore né qui parle déjà ? Tous deux viennent
d’Afrique et voici ce qu’ils disent :

Kirikou : Dans une case une femme attend… Tout à coup, une petite
voix sort de son ventre rond : « Mère, enfante-moi ! » La mère répond
calmement : « Un enfant qui parle dans le ventre de sa mère s’enfante
tout seul ! » Un bébé minuscule apparaît :
– Je m’appelle Kirikou, où est mon père ?
– Il est allé combattre Karaba la sorcière et elle l’a mangé. Elle a
asséché notre source et dévoré tous les hommes du village. Seul ton
oncle est resté, il est en route vers la case de la sorcière.
– Alors, je dois aller l’aider ! s’écrie Kirikou.

Dans le ventre de sa mère, Izé Gani savait tout, voyait tout. Il pensait
et ce qu’il pensait arrivait, il entendait, mais se taisait, jusqu’au jour où
il appela sa mère sept fois : « Mère, je m’appelle Izé Gani ! Je veux naître
à la vie pour faire ce qu’y faisait mon père, agenouille-toi devant la
poutre maîtresse de la case de mon père, et je naîtrai à la vie. »
Avec Kirikou, dessin animé à grand succès en France mais aussi en
Afrique, et Izé Gani, conte connu surtout en Afrique de l’Ouest, nous
plongeons dans un univers où, dès avant sa naissance, l’enfant sait
qu’il a une mission à accomplir.

Certes ce n’est pas une chose très originale pour un conte, et que
pourrait-il bien nous dire de la place de l’enfant dans les pays
concernés ? C’est ce que nous allons essayer de questionner.
Quelles images recevons-nous à travers ces contes ou les dessins qui
les représentent ? Quel rôle ont-ils dans notre imaginaire ? Il est
intéressant de faire l’expérience suivante en demandant autour de soi :
« Comment imaginez-vous l’enfant en Afrique ? »

Nous choisirons les phrases qui, dites
spontanément, résument bon nombre
de réponses : « L’enfant en Afrique ? Un
enfant rieur, choyé, entouré par tout le
groupe, collé au corps de sa mère quand
il est petit, libre, malin aussi et respectueux
des adultes. Mais c’est certainement
différent pour le garçon et pour la
fille ! »

« L’enfant en Afrique ? Ce ne doit pas
être facile ! Problèmes de santé, d’école…
Parfois la faim… Et puis le sida, les
enfants des rues, et même les enfants
soldats ! Malgré son sourire affiché, il ne
doit pas rire tous les jours !

Des mots très fortement connotés
sont aussi employés : enfant affiché pour
montrer la famine, enfant livré à luimême,
enfant manipulé par les adultes…
Nous remarquons combien notre
imagination est sollicitée, naviguant d’un
extrême à l’autre.Tout semble ici résumé
des joies et des peines de l’enfant
africain. Si nous parlions de l’enfant
européen, aurions-nous les mêmes
mots ? L’enfant africain est-il si différent
de l’enfant d’ailleurs, de l’enfant d’ici ? Il
faudrait bien sûr savoir de quel pays
d’Afrique nous parlons (c’est grand,
l’Afrique !), de quel milieu social, dans
quel environnement… Être enfant dans
un petit village ou dans une grande ville
n’a rien à voir (en France non plus
d’ailleurs !), et encore, quelle grande
ville ? Ouagadougou ou Johannesburg,
ce n’est pas pareil. Et puis, s’agit-il de
filles, de garçons ? De quel âge ?
Notre démarche n’est pas de faire une
enquête avec statistiques analysées !
Simplement de nous questionner en
essayant d’aller un peu au-delà de nos
propres représentations. En cela, notre
conte va nous aider.

L’enfant a un rôle à tenir

Avant même de naître, Kirikou a un rôle
à tenir, sa place est définie : il va aider son
oncle à lutter contre la sorcière qui prive
d’eau la communauté. Quant à Izé Gani,
il va faire ce que faisait son père. Le
groupe social attend donc quelque chose
de cet enfant. Enfant du présent, il est
aussi enfant du passé : « Je suis plus âgé
que le temps, que le vent, que l’eau, que
le feu, que la terre », dira Izé Gani.
Enfant inscrit dans la famille des
Hommes où les Ancêtres auront une
place privilégiée, mais aussi enfant relié à
son environnement et aux éléments qui
le composent : animaux, plantes, eau, air,
terre…

Mais alors, cette place, plus ou moins
désignée, comment s’inscrit-elle chez
l’enfant ? Comment va-t-il pouvoir
l’assumer, et quelles en seront les conséquences
 ? Cela va-t-il l’aider à faire sa
place dans le monde des adultes ? Les
adultes, que proposent-ils pour accompagner
l’enfant ?

Pour tenter d’y « voir un peu plus
clair », nous ferons appel à ce que nous
pouvons connaître de la culture africaine,
principalement en Afrique de l’Ouest.
« À chaque barreau de l’échelle correspond
une façon d’être qu’il faut apprendre
 », dit-on au Mali. Dès la naissance, les
anciens vont chercher à découvrir de quel
Ancêtre a hérité l’enfant. Puisque « naître
ici, c’est mourir là-bas », il peut en
rapporter un signe et parfois des caractéristiques
très précises.

À chaque naissance naît aussi un
jumeau, « l’animal interdit ». Cet animal
protecteur de l’individu peut devenir
celui du groupe. Le plus souvent, l’enfant
est vécu comme l’enfant du groupe. À
l’amie qui va accoucher, un copain dit :
« Prépare-nous un beau bébé, car il nous
appartiendra aussi. » Devenu grand, sa
réussite amène les remerciements du
groupe.

Chez les Somba, sept jours après la
naissance, l’enfant est présenté aux
ancêtres : « Je vous montre votre enfant, il
est aussi le mien », dit le chef du lignage.
La communication avec le nouveauné
s’établit presque exclusivement sur un
mode corporel. Cet échange de « chaleur
vitale » vient, semble-t-il, renforcer les
sentiments de protection et de sécurité
nécessaires à l’enfant et favoriser son
développement psychomoteur.

Une étude réalisée au Cameroun fait
dire au docteur Vouilloux, dans une communication
non publiée : « En Afrique, la
précocité psychomotrice de l’enfant ne
fait aucun doute. » Des études faites au
Sénégal et en Ouganda constatent les
mêmes données. L’étude montre aussi
que cette précocité est d’autant plus
grande qu’il s’agit d’enfants issus de
milieu plus traditionnel.

Au Sénégal, il existe une relation
mutuelle de manipulation physique entre
l’enfant et la totalité des membres de son
entourage. Cette « précocité » diminue
peu à peu pour se perdre complètement
au moment du sevrage.

Durant tout le temps de la petite
enfance, le lien privilégié du corps à corps
avec l’enfant est réservé à la mère ou à
son substitut (grande sœur, grand-mère,
ou une autre femme du groupe). Dans la
plupart des cas, la mère, dans la journée
porte l’enfant attaché dans son dos ; il va
donc participer à tous les actes de la vie
quotidienne ; de surcroît, nourri au sein, il
sera à même de le réclamer à tout
moment.

La mère va aussi prendre beaucoup de
soin à masser régulièrement le corps de
l’enfant : étirement des muscles, massage
à l’huile de karité ou autre. Si c’est un
garçon, ses muscles doivent être forts. Le
sexe sera aussi le lieu d’une attention
particulière : « Il faut éveiller sa sexualité
 », avec plus d’insistance apparemment
que pour la fille. Sexualité dont on
ne parlera pas ouvertement, mais dont
on rira entre femmes à travers de
nombreux sous-entendus au cours des
échanges.

Pendant cette période, la participation
du père semble être mise un peu à
distance.

Au moment du sevrage, l’enfant passe
à un autre statut, et il va perdre cette
« proximité tactile » avec l’adulte très
rapidement, ce qui parfois provoque
quelques réactions de sa part. Toutefois
des codes existent pour préparer l’enfant
à cette séparation : paroles valorisantes,
relais pris par l’entourage de la mère,
présence importante du groupe autour
de lui, rituel organisé à cette occasion…

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