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Gilles Geneviève
Pour une vraie laïcité
Article mis en ligne le 30 janvier 2008

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La France, dans sa majeure partie, est un pays laïque, du
moins se déclare-t-elle ainsi. Seuls quelques départements
orientaux réfractaires font de la résistance, pour le coup mal
venue. L’Éducation nationale, fleuron proclamé de la laïcité, prétendu
porte-drapeau d’idées apparues au siècle des Lumières, voudrait
donner le la de cette belle partition où triomphent des idées de
neutralité, de respect de la conscience de chacun et du renvoi dans la
sphère privée de tout ce qui touche de près ou de loin à la religion.


Mais…

Périodiquement cependant, l’idée est avancée qu’une histoire des
religions trouve nécessairement sa place dans l’enseignement public,
ne serait-ce, nous dit-on, que pour prendre la pleine mesure de
l’influence de l’histoire dite sacrée dans l’art. Soit.

Mais il est une influence majeure des religions que l’école n’a pas su
– ou voulu – voir, et dont les effets demeurent massifs, quoiqu’insidieux,
ce qui ne les rend que plus nocifs. C’est l’idée selon laquelle les
enfants ne sont que des demi-hommes, imparfaits, que seul le
façonnage par des maîtres qui se disent éclairés peut transformer en
humains à part entière. Beaucoup réactivent ainsi, prorogent plutôt,
sans le savoir peut-être, l’héritage de l’enseignement platonicien faisant
l’apologie du philosophe-roi, sage omniscient et omnipotent, seul
détenteur de vérité, à la fois juge et partie, et vecteur indispensable
d’accès au monde des idées. Chacun voit ce que le prêtre de la religion
catholique, comme le hussard noir de la République, doivent à ce
modèle. À l’inverse de ce qu’il est peut-être utile de nous faire accroire,
ces deux notables ne s’opposent pas. Ces deux piliers de la vie des
villages, ces deux supports des pouvoirs, l’instituteur prenant
progressivement et partiellement le relais du curé après 1905, servent
le même but : convaincre le « commun des mortels » de son
aveuglement, comme les enchaînés de la
Caverne, de son imperfection et de son
incapacité totale à s’approcher sans leur
aide, si peu que ce fût, d’une quelconque
vérité. L’un et l’autre, sous des dehors
bienveillants, sous des discours émancipateurs,
ne visent que l’asservissement
à des dogmes — ces ennemis de la vérité
bien plus dangereuse que les mensonges,
pour le dire comme Nietzsche – fussentils
prétendument démocratiques. L’un et
l’autre affirment qu’il faut travailler
maintenant, souffrir maintenant, pour
être heureux, libre, épanoui, dans un
avenir hypothétique, mais toujours
lointain.

Comment accepter que des enseignants,
professeurs, principaux de
collèges, proviseurs de lycée, exigent de
leurs élèves toujours plus de travail,
jusqu’à quarante-cinq heures par
semaine réclamées lors d’un discours de
rentrée que l’auteur de ces lignes a
entendu en septembre 2004 ? Alors que
les salariés se lèvent en masse contre la
volonté réaffirmée des pouvoirs en place
d’allonger sans cesse la durée du travail…
Comment accepter que, dans
l’indifférence générale, des personnalités
politiques de premier plan puissent
affirmer que le travail libère ? Alors qu’en
cette année de commémoration de la
libération des camps de l’Allemagne
nazie, on ne peut oublier que la formule
« Le travail rend libre » figurait au-dessus
de l’entrée principale d’Auschwitz…
Comment comprendre une telle passivité
générale ? Une telle emprise de la pulsion
de mort ? Comment comprendre tout
cela autrement qu’en faisant le dramatique
constat que l’école, qui s’autoproclame
laïque, puise son inspiration
aux mêmes sources que l’Église de Rome,
lorsqu’elle affirme comme elle que le
bonheur de la vraie vie viendra plus tard,
après des années de peine, de souffrance
et de labeur… Et à l’école, ce sont des
années d’enfance, toutes les années
d’enfance, qui sont ainsi sacrifiées sur
l’autel de la sacro-sainte (mais incertaine)
insertion professionnelle, de l’entrée sur
le marché du travail, version moderne du
marché aux esclaves, où l’on vend son
temps, sa chair, sa vie, à des marchands
de futilités… D’où un retour réactionnaire
vers les apprentissages de base, lire
écrire, compter, présentés comme seuls
rentables, comme seuls efficaces.Comme
si ces notions avaient quelque chose à
voir avec l’épanouissement, et l’accès à
l’autonomie de nos enfants. Dès lors,
quand, tout à fait explicitement parfois,
on met en avant des finalités mercantiles,
pourquoi jouer, alors que le jeu est peutêtre
la seule forme naturelle de
pédagogie ? Pourquoi s’intéresser de trop
près aux arts ? Et, surtout, pourquoi
proposer aux enfants de penser ? N’y
aurait-il pas là grand risque à les voir
démonter les rouages du système et, ceci
fait, à y jeter du sable par poignées ?
L’école émancipatrice ?

Mais l’école sert-elle réellement ces
finalités d’épanouissement, d’autonomie,
d’égalité des chances qu’elle affiche dans
ses discours ? Les faits, et les observations
de nombre d’analystes, montrent que ce
n’est pas le cas. Sous des dehors généreux,
sous des intentions louables, l’école
du XXIe siècle a du mal à masquer son
échec, pour un grand nombre d’enfants,
dans un grand nombre de cas, de
secteurs.

Je ne veux pas stigmatiser là ce qu’il
est convenu d’appeler « l’échec scolaire »,
selon une formule consacrée. Car celle-ci
fait référence à une simple transmission
de contenus, sous une forme souvent
magistrale, avec la seule rentabilité économique
pour finalité. Dans l’immense
majorité des cas, en effet, quand on parle
d’échec scolaire, on évoque les difficultés
pour des enfants d’apprendre à lire, à
écrire, à compter. On s’inquiète alors –
presque exclusivement – de leur délicate
insertion professionnelle. Or à mon sens,
l’école ne génère pas, en elle-même, cette
forme d’échec. Je pense que nous
sommes tous autodidactes. Les élèves
qui « réussissent » à l’école sont tout
simplement ceux qui ont la chance
d’avoir envie d’apprendre, au bon
moment, ce qu’on se propose de leur
enseigner. C’est d’ailleurs probablement
la raison pour laquelle les enfants d’enseignants
fournissent une proportion
importante des élèves des grandes
écoles.

Comment espérer que des enfants
issus de milieux économiquement
détruits par le libéralisme s’intéressent à
une école qu’on leur présente comme la
seule possibilité d’échapper à leur
condition, alors qu’ils voient que ça n’a
manifestement pas fonctionné pour leurs
parents et les autres adultes de leur
entourage ? Ces lointaines finalités,
restreintes à l’économiquement rentable,
et par ailleurs inaccessibles pour beaucoup,
ce modèle platonicien de transmission
des connaissances, éteignent
l’envie plus qu’ils ne la suscitent.

L’institution scolaire, comme l’Église
naguère, rejette dans les ténèbres extérieures
tous les hérétiques, ces enfants
qui ne se montrent pas assez soumis, pas
assez attentifs, qui ne plient pas assez
sous le joug ou n’acceptent pas de brûler
leur enfance sur l’autel de l’emploi
hypothétique. Elle excommunie. « Tuezles
tous, Dieu reconnaîtra les siens »,
disait le légat du Pape au sac de Béziers,
lors de la Croisade contre les Albigeois.
Le ressassement d’un message christique
d’amour et de paix universels pendant
plus d’un millénaire n’avait alors semblet-
il pas suffi à pacifier les mœurs de ceuxlà
même qui s’en faisaient les chantres.

Dieu soit loué, si l’on ose dire, ces temps
barbares ne sont plus, du moins en
Europe occidentale. L’école exclut aussi,
mais de façon moins brutale, moins
définitive, moins violente.

Un des moyens qu’elle affectionne, un
de ceux que les professeurs souhaitent à
tout prix maintenir, que beaucoup
d’élèves chérissent comme un Sésame,
dans un esprit de servitude volontaire
manifeste, c’est l’institution des examens,
parmi lesquels une place d’honneur doit
être réservée au Baccalauréat. Comment
raconter le stress de centaines de milliers
de jeunes face à ce jugement qui a toutes
les formes de l’arbitraire ? Comment le
justifier encore ? À quoi sert-il ? Raoul
Vaneigem fait un judicieux parallèle entre
le vocabulaire judiciaire (« mettre en
examen ») et les formes de ce qui prend
quasiment des allures de rite initiatique.
Peut-être est-ce d’ailleurs la principale de
ses fonctions, bien qu’elle ne soit pas
explicite. Ce qui le rapproche singulièrement
de la sphère religieuse. Les jeunes
des tribus primitives doivent subir
l’épreuve des plantes hallucinogènes, des
fourmis voraces appliquées par myriades
à même la peau, des défis sanglants, sous
l’œil sévère des chamans. Nos jeunes à
nous subissent une version qui, pour se
dire plus civilisée, n’en est pas moins
pour beaucoup tout aussi traumatisante.
Le Baccalauréat est devenu une sorte de
Jugement dernier itératif, où des démiurges
invisibles décident de l’avenir, radieux ou sombre, des adolescents. Les
sommes englouties dans la préparation,
les épreuves et la correction de cette
usine à gaz qu’est devenu le Bac seraient
à mon sens bien mieux employées dans
un conseil judicieux et personnalisé aux
jeunes sur leur possible devenir, pour
ensuite leur faire confiance, et le remettre
entre leurs mains. Qui serait assez fou
pour s’engager dans une filière manifestement
trop difficile pour lui, ou pas
adaptée, ou ne correspondant pas à ses
goûts, ou ne débouchant pas sur un
métier qui lui convient – puisque cet
enjeu, à mon regret, demeure central ?

Que faire ?

Il convient, arrivé à ce point, de
s’interroger. Puisque l’école n’est laïque
que dans ses déclarations, son discours,
puisqu’elle paraît à l’évidence comme
une partie intégrante, majeure même, de
cette épistémè, de ce socle judéo-chrétien
dénoncé à juste titre par certains1, que
proposer pour la faire réellement entrer
dans une ère post-chrétienne ? La transformation
du monde, la rupture avec
l’économie de marché, la fin du culte du
travail salarié ne sont, semble-t-il, pas
imminents, même si des signes positifs
peuvent attester des progrès dans ce
domaine.Aucun changement radical des
valeurs communément admises n’est à
attendre dans l’immédiat, qui serait
susceptible d’entraîner un remodelage
des finalités de notre école, vers des
visées d’épanouissement, d’émancipation,
de sculpture de soi, de réconciliation
avec soi, les autres et le monde. C’est à
chacun, parent, enseignant, simple
citoyen, de penser, de parler, d’agir pour
que l’école change. Pour ma part, en tant
que parent, enseignant et citoyen, j’aspire
à cette école authentiquement laïque et
libertaire, dont j’ai tenté de brosser un
portrait, en creux et bosses, dans les
lignes qui précèdent.

La discussion philosophique

Parmi les dispositifs pédagogiques et
éducatifs au sens le plus large, c’est-àdire
ceux qui peuvent même être mis en
œuvre par les parents avec leurs enfants,
dans le cadre familial, il en est un dont
j’aimerais dire quelques mots, parce qu’il
est assez nouveau, peu connu, et parce
qu’il me semble porteur de grands
espoirs. Je l’appelle « discussion philosophique
 ». Je la pratique en classe, en
tant que professeur des écoles, depuis
1998, et en dehors de l’institution
scolaire, dans le cadre de l’Université
populaire de Caen, depuis sa création en
2002 par Michel Onfray, entouré d’une
petite équipe dont j’étais. Cette démarche,
au moins par le public d’enfants
et d’adolescents qu’elle vise, est proche
d’un certain nombre d’autres, qui sont
toutes plus ou moins en relation de
filiation avec ce que le philosophe
américain Matthew Lipman a proposé et
décrit au début des années 1970, sous le
nom de « Philosophie pour enfants »

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