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Horia Kebabza
La mixité dans les quartiers populaires : enjeu ou injonction ?
Article mis en ligne le 15 décembre 2007

La vie collective dans les quartiers populaires se structure selon
une division sexuée de l’espace et des lieux. Les garçons
« trônent » au bas des immeubles, les filles, toujours en plus faible
proportion, se regroupent en fonction de leur temps libre et des espaces
disponibles. Car hommes et femmes du quartier ont des espaces
« réservés », identifiés par l’ensemble des groupes, et l’usage veut que
l’on respecte ces « périmètres ». L’accession à l’espace urbain, aux lieux
publics s’opère selon des modalités différentes en fonction du sexe.Très
vite, ces usages deviennent des habitudes, et bientôt des règles qui ont
force de « lois ».

Ayant fait de l’espace public leur propriété, l’espace de proximité de
leur quartier étant le seul lieu où les jeunes hommes peuvent trouver des
preuves de leur masculinité, ils réactualisent le clivage masculin/féminin
sur la partition du public/privé. Ainsi s’opère une ségrégation par
exclusion des jeunes filles de ces espaces publics : « Les lieux où je me
retrouve avec mes amis : les blocs, des centres pour les jeunes… Ils sont mixtes
mais il n’y a pas de filles qui viennent, pourtant elles ont le droit comme les
garçons… mais les filles viennent pas car il y a trop de garçons, les activités
ne sont pas que pour des garçons mais les délires sont plutôt masculins
 »
(Mohamed). C’est de la sorte que les garçons se sont assuré une certaine
visibilité et que la question sociale posée par les « banlieues » se conjugue
bien souvent au masculin.

La présence des garçons dans les différents espaces de socialisation
(famille, rue, école, associations) change la façon qu’ont les jeunes filles
de se vivre. Pourquoi ne voit-on pas de filles au bas des immeubles ?
Parce qu’elles ne souhaitent pas fréquenter les « racailles », disent-elles :
« Je vais pas parler à tous les mecs de B. Non, mais là j’en ai pas envie quoi, ils
ne sont pas intéressants, j’ai pas envie de m’intéresser à eux. Ils le méritent
pas. »
(Nadia)

Cette règle s’applique d’autant plus
volontiers que les lieux identifiés comme
étant ceux des « garçons » sont considérés
comme malfamés, infréquentables pour
des jeunes filles « sérieuses » : « J’aime pas
rester dans les blocs, déjà les blocs ils sont
pas propres, les filles qui restent dans les
blocs c’est pas trop bien vu… Les garçons se
sentent bien dans les blocs, ils sont à l’aise,
c’est chez eux. Ils se les approprient, dans
tous les blocs y’ a leur nom, je trouve pas que
c’est ma place […] Nos lieux à nous, ils sont
aussi à eux, mais leurs lieux à eux, ils sont à
eux. »
(Salima)

Elles délaissent volontiers les lieux où
règnent les garçons, car y apparaître
serait un signe soit de mauvaise
réputation, soit d’acceptation des règles
masculines.

Faut-il voir dans ces extraits d’entretiens1
les signes évidents d’un recul de la
mixité dans ces quartiers ? Si oui, il est
intéressant d’une part de se demander
quels types d’identités sociosexuées sont
produits par la socialisation à ses différentes
étapes au sein de la famille, ou
dans le quartier. Car parler de mixité,
c’est réfléchir à la séparation ou à la
coexistence plus ou moins importante
entre les sexes au sein de l’espace public.

D’autre part, le contexte de forte
médiatisation des violences subies par les
jeunes filles dans les quartiers populaires
nécessite de mettre à jour les formes de
sociabilité des jeunes et les stéréotypes
de genre qui entraînent un certain
nombre de discriminations, voire de
violences, subies par les jeunes filles.

Quelles sont les conséquences pour le
vécu de ces jeunes, filles et garçons ? La
mixité va-t-elle de soi pour ces jeunes
adolescent-e-s ?

Clarifier ces questions permet
d’éclairer, dans une approche de genre,
les enjeux que les récents débats sur la
mixité suscitent. Et nous force à décaler le
regard que porte notre société sur ces
quartiers et leur population, qui nous fait
parfois oublier que l’origine de ces
violences est d’abord sociale.

Le genre, à quoi ça sert ?

La notion de genre nous enseigne que
les différences de sexe ne sont pas seulement
issues de la nature biologique, mais
qu’elles sont aussi et surtout le fruit d’une
construction sociale et culturelle qui
hiérarchise les sexes et qui renvoie à la
classification du masculin et du féminin.

Notre recherche2 montre que les
rapports sociaux de sexe dans les quartiers
populaires, et particulièrement les
rapports filles-garçons, sont surdéterminés
par divers éléments : des normes
sexuées et une hiérarchisation des sexes,
un important repli viriliste, et les effets
d’un vécu « villageois » des cités3 soustendu
par la logique des réputations.
Autant d’éléments explicatifs d’une
difficile cohabitation entre les sexes, et
d’une recrudescence de la violence
sexiste, qui viennent s’adosser à un
contexte socio-économique et urbain de
plus en plus dégradé.

Dans les quartiers populaires, comme
ailleurs, la hiérarchisation des sexes se
réalise tout d’abord dans l’espace privé,
au travers d’une socialisation différenciée
toujours vivace au sein des familles.

L’éducation asymétrique donnée aux
filles et aux garçons laisse apparaître des
normes sociales sexuées qui renvoient à
la partition entre espace privé et espace
public.

Cette inégalité de traitement trouve sa
justification par une différence des sexes
jugée comme irréductible.Voici l’explication
qu’en donne Brahim : « Moi de mon
côté pas du tout, c’était vraiment pareil,
après bien sûr on n’éduque pas une fille
comme on éduque un garçon, ça c’est tout à
fait normal. C’est-à-dire que, si, en fait, y’ a
une petite différence, mais je pense que cette
différence elle est normale… à l’époque on
sortait beaucoup plus moi et mon frère que
elle sortait dans la rue, c’était normal quoi,
[…] mais c’est une différence je pense qu’est
normale, parce qu’on n’a pas les mêmes
droits quand on est une fille que quand on
est un garçon […] C’est une histoire de
droits, ouais, c’est une histoire de droits, on
n’a pas les mêmes droits, c’est pas le droit de
la justice, du code civil ou pénal, c’est le droit
de la famille. Une fille, c’est très délicat je
pense à éduquer, c’est plus délicat qu’un
garçon, ouais.
 »

Les effets de la sociabilité juvénile :
des espaces différenciés
L’importance de la composition du
groupe des pairs, ou des réseaux amicaux
dans les processus de socialisation des
jeunes n’est plus à démontrer. En revanche
les échanges, les comportements, les
interactions et les images du féminin et
du masculin diffèrent selon que le réseau
de sociabilité est monosexué ou mixte :
« Dans le quartier, c’est pas mixte. S’il y a
une fille dans le groupe des garçons, ils la
traitent de tout, ils sont gentils avec elle
quand elle est là, mais quand on leur dit
« c’était qui ? » : c’est une pute, c’est une
chienne, c’est tous les noms quoi. C’est plutôt
les garçons dans un coin en train de fumer
leur joint et tout ça, et les filles qui sortent
dans le quartier. De toute façon, ils les
traitent de tout quand elles sortent, et soit
elles vont en ville, sinon quand elles ont leurs
copains qui sont dans le groupe, elles vont
les retrouver autre part, mais je sais que les
filles elles évitent toujours d’être dans le
groupe de
s garçons puisque ça parle
beaucoup » (Nawal).

On constate également une acceptation
implicite des filles, quand elles
entrent dans les groupes de garçons, de
se soumettre en quelque sorte à leur
autorité, c’est-à-dire que « aller vers eux
pour discuter, c’est accepter leur
contrôle… ». Elles ne peuvent ensuite
plus revenir en arrière et s’exposent
donc à accepter certaines familiarités de
leur part.

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