ANARCHISME ET COLONIALISME
Édouard Jourdain
La tradition de la lutte contre le colonialisme chez les anarchistes commence dès la naissance du mouvement. Le colonialisme est en effet lié aux trois notions que critiquent principalement les anarchistes : l’État et l’idéologie nationaliste, qui vont souvent de pair avec une volonté d’expansionnisme ; le capitalisme, qui demande toujours de nouveaux débouchés et de nouvelles ressources ; la religion, ou toute idéologie imposée par la force et la domination (y compris dans sa version laïque et « progressiste »). Dès la deuxième moitié du XIXe siècle les anarchistes vont ainsi lutter contre l’impérialisme colonialiste, dont les deux plus grandes puissances de l’époque sont l’Angleterre et la France. C’est ainsi qu’au début de la IIIe République les anarchistes français sont parmi les rares militants politiques, avec quelques monarchistes, à se déclarer ouvertement anticolonialistes. En effet les idéologies progressistes dominent au XIXe siècle une large part du spectre politique et vont permettre de justifier le colonialisme pour telle ou telle raison. Pour les partisans du libéralisme économique, le colonialisme constitue une entreprise consistant à développer la production et les échanges en exploitant davantage la nature laissée souvent à l’état sauvage sur de multiples continents. Le colonialisme permet ainsi l’accroissement d’une richesse globale qui ne peut que favoriser à terme les plus démunis. Pour les républicains, dont le représentant le plus célèbre est Jules Ferry, le colonialisme s’inscrit dans la démarche progressiste de l’exportation de la civilisation des Lumières. Il s’agit alors d’apporter aux sauvages les valeurs et le savoir-faire leur permettant de sortir d’un état d’arriération manifeste. Enfin pour les socialistes, surtout ceux d’obédience marxiste, le colonialisme constitue une phase d’expansion du capitalisme faisant partie de la longue histoire menant au communisme. En cela, le colonialisme n’est ni condamnable ni approuvable moralement, il relève d’une étape historique, liée à la mondialisation du capital qui porte en son sein l’internationale du prolétariat, sujet de la future révolution mondiale. Au sein de cette galaxie, donc, les anarchistes font davantage figure d’exception, se faisant souvent critiques (à quelques nuances près, nous y reviendrons) de ces justifications progressistes du colonialisme : à savoir la colonisation comme source d’enrichissement général, comme facteur de civilisation ou comme phase nécessaire de l’histoire.
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