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30 ans après, (re)lire « Backlash » de Susan Faludi
Par Rafaëlle Gandini Miletto
Article mis en ligne le 30 juin 2020
dernière modification le 18 décembre 2020

Au début des années 1990, l’universitaire étasunien Allan Bloom compare sa situation à celle des réfugiés du Cambodge : les explosions de bombes, ce sont cette fois les féministes qui auraient pris le contrôle du monde universitaire… À l’époque, les femmes occupent pourtant 10 % seulement des chaires du pays — et, dans la discipline de l’intéressé, la philosophie, ne sont à l’origine que de 2,5 % des publications. Comment comprendre pareille réaction ? C’est à cette tâche que s’attelle Susan Faludi dans son ouvrage phare Backlash, paru en 1991. Celui-ci décrit et analyse les mobilisations hostiles qui, aux États-Unis, ont alors suivi l’affirmation du mouvement féministe. Alors même que la situation du début des années 1990 reste profondément inégalitaire, l’émancipation des femmes qui se profile est en elle-même une possibilité insupportable pour les partisans de l’ordre social en place. S’ensuit une réaction violente : un « backlash ».

30 ans après, (re)lire « Backlash » de Susan Faludi

Par Rafaëlle Gandini Miletto

Texte inédit pour le site de Ballast, 08 juin 2020.

Rafaëlle Gandini Miletto a collaboré à Réfractions

En français, on traduit « backlash » par « contrecoup », soit la répercussion d’un choc : une conséquence naturelle, inéluctable, un écho plus léger que le coup originel, une petite résistance. L’ouvrage Backlash de Susan Faludi est l’histoire d’un contrecoup, celui de la réaction à l’avancée du féminisme des années 1970 aux États-Unis1. Un contrecoup redoutable pour un petit coup bien modéré. Un contrecoup qui a écrasé le féminisme, en a fait une insulte pour longtemps — qui l’a fait résonner, aussi, dans des invectives haineuses et des plaisanteries crasses.

Le propos de Susan Faludi est de montrer que si le mouvement féministe a progressé par « vagues » depuis les suffragettes — on parle ainsi aujourd’hui d’un féminisme de troisième ou de quatrième « vague » —, ce qu’on oublie, c’est le ressac. Celui-ci n’est pas le résultat d’un épuisement du féminisme, lequel aurait atteint ses objectifs, mais plutôt d’une réaction active : cette dernière s’évertue à décrédibiliser et diffamer le féminisme comme mouvement politique, par le biais de discours ayant trait aux valeurs ; à affaiblir les droits des femmes et leurs possibilités de lutte par l’intermédiaire de mesures économiques ; à saper la volonté et retourner l’opinion des femmes via des représentations médiatiques.

Faludi expose les ressorts de la revanche et met en évidence deux causes premières : la structuration de l’économie et la construction de la masculinité. Si les réactions antiféministes ont vu le jour, ce n’est ainsi « pas seulement à cause de la persistance du vieux fond de misogynie, mais avant tout parce que les femmes s’efforcent d’améliorer leur condition et que les hommes, surtout lorsqu’ils sont menacés dans leur bien-être économique et social, interprètent toujours cet effort comme une atteinte à leurs prérogatives » . L’actualité française, hélas, l’illustre — de Polanski récompensé aux Césars à la répression violente de la manifestation féministe du 7 mars 2020. Si l’ouvrage n’a pas perdu de son mordant, il s’agira ici de le relire à la lumière des critiques afroféministes, à commencer par Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks, publié en 1980.

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