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Pierre Sommermeyer
L’anticlérical, un surhomme ?
Pour continuer le débat sur Dieu
Article mis en ligne le 11 novembre 2007
dernière modification le 20 septembre 2014

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Il est de bon ton quand on est anarchiste d’être anti-clérical de
façon radicale. J’avoue qu’après avoir lu un bulletin paroissial
où entre autres choses le curé du coin dit que le mal a pour
origine le péché originel et autres fariboles du même genre, je ne suis
pas loin de partager ce genre d’avis même si cela ne me satisfait pas
complètement. L’impression que proclamer « ni dieu ni maître » nous
fait passer à côté de quelque chose est tenace. Étant de culture
protestante, je suis, au fond, mal à l’aise avec l’anticléricalisme primaire.
À ce propos, j’ai été satisfait de lire ce que Daniel Colson disait dans le
numéro précédent de Réfractions.

En France, terre catholique, les anarchistes issus du protestantisme
ont une attitude différente de celles de leurs compagnons venant du
monde catholique romain. Je prendrai comme exemple Elisée Reclus,
issu d’une vieille famille huguenote. Dans son article intitulé L’anarchie
et l’Église5, on assiste à une charge d’une rare violence contre l’Église
catholique. Mais pas un mot contre sa sœur, la protestante. Sa culture
protestante montre d’ailleurs le bout de son nez à travers une citation
biblique et la mention suivante « ceux qui ont perdu la foi ».

Il ne s’agit pas pour moi de présenter le courant protestant comme
la face acceptable du christianisme, mais de rappeler que la théologie
protestante et particulièrement celle du courant réformé considère tout chrétien
comme un prêtre à part entière qui n’a nul besoin d’un médiateur pour avoir
accès à Dieu. Ce qui expliquerait en partie pourquoi les anarchistes venant du
monde protestant, et je pense particulièrement aux frères Reclus, sont
si peu diserts sur ce sujet. C’est de cet individualisme protestant que se réclame
quelqu’un comme celui que R. Fugler appelle un sociologue libertaire, Jacques
Ellul. Pour en terminer sur ce sujet, je voudrais rappeler ce merveilleux film de
Bergman, Fanny et Alexandre, où l’on peut voir l’institution ecclésiale luthérienne à
l’œuvre. Elle ne le cède en rien aux attitudes de sa consoeur romaine. Mais
ce n’est pas cela mon propos. Je pense que l’attitude anti-cléricale traditionnelle
permet d’évacuer un certain nombre de problèmes auxquels les religions
donnent une réponse.

On peut penser que, le jour où la révolution sera faite, ce genre de
problèmes sera résolu. Au fond ce type de position relève du credo religieux plus
que d’une attitude matérialiste. On peut aussi dire que la religion se saisit des
peurs de l’humanité pour asseoir son pouvoir. On entre alors dans un domaine
où peu de non-religieux ou d’athées s’aventurent.

Révolution ?

Je ne crois pas à la « Révolution ». Je suis athée de ce point de vue, même si je
pense qu’il n’y a pas d’autre solution au désespoir de l’humanité. Je constate que,
par-dessous toutes les cultures, préexiste la notion de la fragilité humaine. Nous
ne sommes rien du point de vue de la totalité, nous sommes tout de notre point
de vue individuel. Nous nous débattons tous dans cette contradiction. De là surgit
notre peur de notre mort. La mort, puisqu’il faut bien en parler, concerne
aussi nos proches. Même si elle est inéluctable du fait de l’âge, elle est
porteuse de douleur, de tristesse, de
déséquilibre. Elle peut être porteuse aussi
d’horreur ou de haine, quand elle
concerne la disparition d’autres humains
plus ou moins proches lors de conflits, de
guerre ou d’exterminations planifiées.
Cette mort peut être créatrice de
culpabilité chez ceux qui n’ont pu aider,
soutenir, sauver ceux qui y étaient soumis
ou même parfois chez ceux qui ont
échappé à la liquidation totale. La
culpabilité souvent concerne aussi ceux
qui ont participé à ces actes de guerre ou
d’éliminations massives comme elle peut
se manifester chez ceux qui se sont
trouvés impliqués dans des accidents ou
des meurtres individuels.

À tout cela, à ces peurs, à ces culpabilités,
individuelles ou collectives, quelle
peut être la réponse « révolutionnaire » ?
J’ai souvent l’impression que l’individu
libertaire refusant de se poser ce
problème se considère comme un surhomme,
sans jamais pourtant l’affirmer.
Il n’est tout simplement pas concerné par
cela. Il pense que tout ce qui est
culpabilité, faute, pardon etc. relève du
bourrage de crâne religieux. Je pense,
quant à moi, que c’est en tentant de
répondre à ces questions que l’on peut le
mieux lutter contre la « religion ».

Le pardon

J’aimerais m’arrêter quelque instants sur
la notion du pardon. S’il y a un terme
galvaudé c’est bien celui-là. Pourtant, il
n’existe que parce qu’il y a la culpabilité,
et derrière elle le mal. (Si la preuve de
l’existence de Dieu est une gageure, celle
de l’existence du mal est une évidence, il
suffit de regarder autour de soi).
Anarchiste ou pas, chacun peut être
amené à pardonner le mal qu’on lui a
fait, mais comment pardonner le mal qui
a été fait à autrui ?

Pour Edgar Morin, « pardonner, c’est
résister à la cruauté du monde ». Dans
un article publié sous ce titre dans le
défunt Monde des débats, il répondait
ainsi à Derrida qui avançait que « le
pardon, devrait rester exceptionnel et
extraordinaire, à l’épreuve de
l’impossible, [..] que la seule chose qui
appelle le pardon c’est précisément
l’impardonnable, le pardon est donc fou,
il doit s’enfoncer, mais lucidement, dans
la nuit de l’inintelligible ». Morin refuse
cette intellectualisation. Il part de la loi
du talion. Pour lui « cette structure
archaïque (le talion) demeure très
profonde en chacun d’entre nous et tout
le problème de la civilisation est de la
dépasser ». Il veut faire la différence entre
le pardon et la non-vengeance ou la
magnanimité.

Pour Morin, le pardon se fonde sur la
compréhension de l’autre, on doit
comprendre ses raisons et ses déraisons.
Il ne s’agit pas ici de continuer à faire une
explication de texte ou paraphraser
quelque chose qui se suffit à lui-même,
il s’agit d’ouvrir des pistes. Devant le
crime, quelle peut être l’attitude de celui
qui se veut libertaire ?

Punir, soit, mais
quand ce crime est le fait d’une
collectivité, que faire ? Mettre tout le
monde en prison ? Nous devons alors
regarder l’histoire. Après la Deuxième
Guerre mondiale s’est posé le problème
de la faute liée à la grande liquidation, à
la Shoah. La réponse a été donnée sous
forme d’un procès, les responsables étant
pendus. Et alors ? Cela pouvait satisfaire
les vainqueurs, mais certainement pas
ceux qui avaient participé de près ou de
loin et qui s’enfermèrent dans leur
silence coupable et culpabilisant.
Souvenons-nous qu’une des questions
que souleva la génération allemande des
années soixante fut : « Papa, qu’as-tu fait
à cette époque ? » et que le silence qui
répondit joua un rôle important dans la
violence du désespoir d’alors.

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