Ce conseil que Spinoza, dans son Traité politique, adressait aux contempteurs des « passions » humaines me semble toujours aussi valide aujourd’hui à propos de la tentation qu’exercent sur certaines personnes des opinions et attitudes d’extrême droite véhiculées par divers sites, journaux ou spectacles. comment lutter, en effet, contre ce qu’on ne comprend pas ? Or, les études ne sont pas très nombreuses qui permettent de comprendre ce qui, dans l’histoire d’un individu, explique de telles tentations. il ne nous sert à rien, en effet, de savoir le pourcentage de ces personnes dans chaque catégorie sociale si nous ignorons le rapport entre ces appartenances et ces opinions, c’est-à-dire comment se fait concrètement l’influence de sa situation sur un individu, que nous supposons en outre, du moins dans une certaine mesure, libre de ses choix. c’est pourquoi, je pense qu’il vaut la peine d’exposer assez longuement une étude particulièrement remarquable sur ce sujet, avant d’examiner ce qu’il y a de spécifique dans la situation actuelle et par quels moyens nous pourrions l’affronter.
En 1945, en Californie, une équipe de recherche se forme autour du philosophe et sociologue allemand Theodor Adorno, exilé aux états-unis depuis 1938, dans l’intention de réaliser une vaste enquête visant à comprendre ce qui fait qu’une personne est réceptive à la propagande fasciste. La thèse est que ces personnes potentiellement fascistes présentent « une organisation d’opinions, d’attitudes et de valeurs » de même tendance, dont on peut comprendre le développement à partir de certains complexes de conditions psychologiques et sociales. Une telle disposition reste latente et souvent inconsciente dans les périodes où le fascisme est déconsidéré, mais elle se manifestera au grand jour « au cas où il serait devenu un mouvement social puissant et respectable ».