Pierre Sommermeyer
Le jour où je suis entré à l’université fut, pour l’ouvrier que j’étais, un moment de joie profonde. J’entrais dans le monde du savoir. Tous les gens que j’allais côtoyer avaient fait des études bien plus étendues que je n’espérais jamais en faire. J’avais été embauché comme menuisier. Ma tâche serait d’aménager les laboratoires et les bureaux des
chercheurs. Pendant près de trente ans, je me suis consacré à ce travail. Je dois dire qu’à peu d’exceptions près, j’ai rencontré des gens fort agréables avec moi.
J’ai mis du temps à m’apercevoir que cette qualité de relations était due au fait que je ne représentais pas une concurrence pour eux. C’était un laboratoire qui comprenait plusieurs centaines de personnes. De nombreux étrangers étaient présents, la moyenne d’âge générale était très jeune. Par mes fonctions, j’étais l’une des rares personnes à pouvoir circuler dans les labos sans susciter une quelconque suspicion.
Puis, je fus invité un jour à un pot, nom familier de la célébration d’un événement. Content d’être convié par des gens aussi instruits, je suis venu. J’ai demandé entre deux verres ce que l’on fêtait, un mariage, une naissance ou un anniversaire. Surprise, la personne que je questionnais me répondit qu’il s’agissait de l’accord donné pour la publication d’un article scientifique. C’est ainsi que je suis entré doucement dans un drôle de monde, où sous des apparences très policées, une lutte à couteaux tirés se faisait jour. D’un labo à un autre, d’un étage à l’autre, ou sur le même étage, des rivalités apparaissaient.
Tout cela sous les yeux ébahis du naïf que j’étais.
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