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Annick Stevens, Bernard Hennequin
Les tracts s’emballent, les foules s’en balancent ?
Article mis en ligne le 23 avril 2011
dernière modification le 23 avril 2013

Durant cet automne
il nous a semblé que circulaient avec une
intensité nouvelle certains tracts au contenu dépassant
résolument toutes les revendications habituelles des
mouvements de protestation, et n’émanant d’aucune organisation
militante constituée. Pour vérifier cette impression, nous sommes allés
consulter les archives du CIRA de Lausanne (merci en passant à
Marianne et à toute l’équipe qui fait vivre cette précieuse mémoire !) à la
recherche de tracts du même genre distribués durant les grandes
mobilisations précédentes en France – ce n’est pas ce qui a manqué ces
dernières années. Nous sommes remontés jusqu’à la grande grève de
1995, et avons examiné ensuite ce qui est apparu comme un jalon
important sur la voie d’un nouveau discours de lutte,
la mobilisation contre le CPE (Contrat Première Embauche) en 2006. Sont ici présentés les passages les plus significatifs de l’ensemble des tr
acts que nous avons trouvés, complétés par des extraits de publications d’organisations militantes, mais aucun écrit provenant de syndicats ou de partis de gauche car aucun d’entre eux n’a tenu un langage équivalent. Nous
sommes conscients des limites de ce genre d’étude, telles que la non-
exhaustivité des documents conservés ou l’impossibilité de mesurer
l’impact réel de tr acts écrits par des cour
ants très minoritaires. Il n’empêche qu’une tendance se dessine, celle d’un essaimage plus large de l’appel à un changement radical de société.

1995 : contre le libéralisme ou contre l’aliénation du travail ?

Le « plan Juppé » prévoit une réforme de la sécurité sociale destinée à
diminuer le déficit public en vue du passage à la monnaie unique
européenne. Sont particulièrement visés les « régimes spéciaux »
accordant une retraite anticipée à certains travailleurs du service public en
particulier les cheminots. S’ensuit un
mouvement de grève reconductible à la
SNCF, la RATP et la poste, de grève
périodique dans l’enseignement et
certaines entreprises publiques comme
EDF-GDF. Le mouvement ne s’étend pas
au privé (toutes les sources le déplorent et
en font une des raisons principales de son
échec). Il se termine avec les vacances de
décembre, sur le retrait de certaines
mesures concernant les cheminots mais le
maintien du plan dans son ensemble.

Parmi les sources que nous avons
sélectionnées pour leurs positions radi-
cales, le discours dépasse toujours la
simple revendication du retrait du plan,
mais selon deux tendances distinctes. La
moins radicale (illustrée par la revue
d’extrême-gauche À Contre Courant
)
produit un discours violemment anti-
libéral mais qui ne met pas en question
l’organisation même du travail et de la
production. La plus radicale, que l’on
trouve aussi bien dans les revues
libertaires que dans les deux tracts
anonymes que nous avons pu consulter,
élargit la critique à la conception même
du travail productif.

Dans l’article intitulé « Une brèche »,
rédigé par l’équipe d’À
Contre
Courant
(n° 70, déc. 95-janv. 96), les auteurs
ramènent les raisons initiales du mouvement au sentiment d’injustice croissante
dans la répartition des richesses : « prélèvements accrus sur les salaires, les
pensions de retraite, les indemnités de
chômage, etc., en exonérant une nouvelle
fois très largement les revenus de la
propriété ». Le bilan de la mobilisation y
est généralement optimiste :
Ce mouvement est le premier coup d’arrêt
donné au néolibéralisme en France et plus largement en Europe » ; il « témoigne d’une
remise en cause sans doute définitive de
l’hégémonie du discours néolibéral,
sansque pour autant une alternative au
libéralisme se soit encore dessinée ».

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