Nous ne monterons plus à l’assaut du palais d’Hiver…
Le voyageur errant, curieux d’avenir, qui amarre son vaisseau à un quelconque port de l’archipel libertaire, sera particulièrement surpris d’y découvrir une population anarchiste peu nombreuse et éparse au milieu d’autres peuples qui ne l’estiment guère. De même, ce voyageur restera désorienté et perplexe devant ce peuple libertaire aussi varié dans ses idées et ses façons d’être que dans ses usages et ses façons de faire .
Ce voyageur qui tente d’éclairer son chemin, désireux de savoir, soucieux de ne pas trop se perdre dans le dédale des disputes, des différends, des désaccords et des ontroverses, s’approchera au plus près, sondant les uns, prêtant l’oreille à d’autres, se mêlant discrètement aux débats.
Dans un premier temps, il s’efforcera de cerner les grandes lignes de réflexion et ’action des acteurs en mouvement devant ses yeux.
Ainsi distinguera-t-il mieux ceux que l’on pourra qualifier d’anarchistes « historiques », les anarchistes sociaux, les syndicalistes, ceux qui datent le début de leur histoire d’un congrès qui se tint en 1872, à Saint-Imier, en Suisse. Point de vue contesté par René Berthier dans un article du Monde libertaire, hors série, de novembre- décembre 2012. Pour lui, si l’Association internationale des travailleurs était antiautoritaire, elle n’était pas anarchiste.
Il sera d’ailleurs rappelé qu’un certain Pierre-Joseph Proudhon, dès 1849, donnait un sens positif à l’idée d’anarchie ; ce que faisait également Anselme Bellegarrigue quasiment au même moment *. Notre voyageur apprendra que d’autres, plus éclectiques, cherchent leurs sources chez des penseurs qu’il serait erroné et anachronique de qualifier d’anarchistes : La Boétie, Rabelais et leurs continuateurs.
Ou bien il lui sera dit que certains retrouvent leurs idées chez les « enragés » de la Grande Révolution et, plus tard, dans l’expérience héroïque de la Commune de Paris. D’autres se plairont à faire remonter leur lignée aux philosophes de l’Antiquité grecque ; et même aux penseurs chinois du tao.
Plus controversés seront les successeurs d’un anarchisme chrétien représenté par un Tolstoï qui aurait influencé Gandhi, puis son disciple Vinoba, puis…
Notre voyageur apprendra que maintenant se présentent dans l’arène du combat social ceux qui se qualifient d’« après », les « post », ceux qui viennent après une histoire qu’ils veulent ignorer ou qu’ils négligent et qui préfèrent s’en référer à des penseurs d’aujourd’hui. Et puis il rencontrera des « néos », qui certes connaissent l’histoire mais que leur réflexion conduit à critiquer les postures et positions de leurs contemporains libertaires jugés trop figés dans des habitudes de pensée et de militantisme, pétrifiés dans une fidélité désuète, craignant de trahir l’idéal sacré des anciens. Pour ces derniers, il y a là peut-être, en quelque sorte, les prémices d’une renaissance libertaire.
Puis notre voyageur sera intrigué par ceux qui se nomment « individualistes » ; il pourra croire qu’ils ne s’occupent que de leur ego, mais il verra bien vite que, peut-être solitaires, ils ne répugnent pas à s’associer avec les uns ou avec les autres, en solidaires, lors d’un bref ou plus long contrat.
À noter enfin une masse importante d’activistes en tout genre, de militants à court ou à moyen terme qui, repoussant ou dédaignant le qualificatif d’« anarchiste », préfèrent celui d’anti-autoritaire. Leurs modes de vie et leurs façons d’agir (égalitarisme, démocratie directe, parole libre, etc.) sont, au dire de la plupart, objectivement
anarchistes
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