« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle ». C’est à l’aune de cette affirmation du juriste Carl Schmitt que nous voulons restituer les métamorphoses de l’État moderne, afin de voir en quoi les rapports du pouvoir au droit ne peuvent plus uniquement être pensés dans des termes « classiques » répondant au système westphalien2. L’état d’exception se confond originairement, dans le contexte de la naissance de l’État moderne, avec la raison d’État. Il était alors lié à la souveraineté, autorité politique suprême ayant le pouvoir d’enfreindre la loi qu’il avait édicté sur le territoire qu’il dominait. Dans la perspective consistant à affirmer la puissance de l’État et à assurer sa stabilité, l’état d’exception constituait le pivot à partir duquel allait pouvoir être discriminé l’ami et l’ennemi (tant intérieur qu’extérieur). Bien que ce paradigme demeure toujours d’actualité, est venu se superposer à lui en plusieurs étapes (principalement la fin de la première guerre mondiale, la fin de la seconde, puis la fin de la guerre froide) une nouvelle configuration de l’état d’exception délié du territoire et de l’État. En raison de la prolifération des instances normatives qui bouleversent la hiérarchie traditionnelle des normes (sur le modèle de la pyramide de Hans Kelsen), de la mondialisation économique libérale, de la justice pénale internationale et de l’émergence de plus en plus prégnante du concept de sécurité globale, l’état d’exception devient difficilement localisable, empruntant des « lignes de fuite » qui traversent de nouveaux rapports de domination où le faible est toujours plus exposé.
Nous voudrions ainsi montrer que l’état d’exception, qui constituait autrefois le nœud entre souveraineté, droit et conflit, s’est désormais déplacé en déliant en partie ces trois dernières composantes pour devenir un nouveau nœud entre gouvernance, droit et sécurité globale.
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