LE 22 DÉCEMBRE1868, BAKOUNINE ÉCRIT À MARX : « MA PATRIE
maintenant, c’est l’Internationale, dont tu es l’un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être. »
Bakounine vient d’adhérer à la section suisse de l’Association internationale des travailleurs. Celle-ci, qui regroupe alors les différentes tendances du socialisme, va progressivement se trouver divisée entre « marxistes » et « anarchistes » de tendance bakouniniste. Au IVe congrès de Bâle (6-12 septembre1869), le rapport de forces s’établit déjà nettement en faveur des seconds. Suite à la scission de la fédération romande, en avril 1870 – sur la question de l’attitude à adopter à l’égard des gouvernements et partis politiques – les « jurassiens » entrent dans un conflit oppositionnel qui les conduira à rejeter la tutelle du conseil général de l’AIT sur les fédérations, porte ouverte à leur exclusion de l’AIT lors du Ve congrès de septembre 1872 à La Haye.
De ce conflit, qui scellera à la fois la dissolution de l’AIT fondée àLondres en 1864 et la création de l’Internationale anti-autoritaire dont l’acte fondateur sera le congrès de Saint-Imier le 15septembre 1872, naîtra officiellement l’anarchisme.
Cet événement fondateur témoigne de la place singulière et centrale prise par le conflit dans la naissance de l’anarchisme, dont il est une notion consubstantielle. Depuis « la nuit des temps », l’anarchisme lutte contre toutes les formes de domination : intrinsèquement, le conflit est au cœur de ce combat permanent.
De quels conflits parle-t-on ?
Le mot conflit trouve son origine dans le latin conflictus heurt, choc, lutte, attaque), dérivé de confligere(heurter, opposer) composé du préfixe con-(ensemble) et de fligere(heurter, frapper). Si au sens propre ce mot évoque la lutte armée, le combat entre deux ou plusieurs personnes ou puissances qui se disputent un droit, au figuré il s’agit davantage d’une violente opposition de sentiments, d’opinions et d’intérêts.
Le terme de conflit suggèrela rencontre d’éléments qui s’opposent (le conflit entre la raison et la passion), de positions antagonistes (l’arbitrage d’un conflit) ; il renvoie souvent à une relation de tension et d’oppositions entre personnes (les conflits familiaux).
Le conflit désigne donc une situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme.
De la même manièrequ’il existe différents niveaux de conflits (international, social, relationnel, interne), plusieurs dimensions du conflit (conflits de pouvoir, conflits identitaires, conflits de relation) peuvent être identifiées.
Parmi ces conflits, ceux relatifs aux relations sont les plus fréquents, à un point tel qu’ils peuvent apparaître comme une donnée inévitable et inéluctable des relations humaines, voire universelle.
Le conflit relationnel peut intervenir dans toutes sortes de contextes : une altérité qui nous insécurise, la crainte de devoir partager espaces et territoires pourront être, par exemple, des sources potentielles de conflits.
Si à l’évidence le mot conflit n’a pas de connotation spécifiquement libertaire, il n’en demeure pas moins un marqueur essentiel du projet anarchiste. Plus précisément, de la même façon que l’état des prisons est révélateur de l’état de nos sociétés actuelles, la prise en compte du conflit et surtout les modalités de sa résolution en diront long sur le fonctionnement (et partant la viabilité) de la société libertaire de demain.
S’il est légitime de penser que la future société anarchiste sera débarrassée des conflits engendrés par la nature même du système d’exploitation et de domination capitaliste, il serait en revanche bien présomptueux d’affirmer qu’elle sera de facto totalement exempte du moindre conflit de nature relationnelle.
Mais quelque optimistes que soient les prévisions et riantes les espérances, il n’en reste pas moins que la délinquance, et plus encore la peur de la délinquance, empêchent aujourd’hui les rapports sociaux pacifiques ; qu’elles ne disparaîtront certainement pas d’un seul coup au lendemain d’une révolution, si profonde et radicale serait-elle, et qu’elles pourraient être une cause de troubles et de désagrégation dans une société d’hommes libres, de même qu’un infime grain de sable peut perturber le fonctionnement de la plus parfaite des machines. Il est donc utile et même nécessaire que les anarchistes se préoccupent de ce problème, plus peut-être qu’ils ne le font ordinairement, afin de mieux réfuter une objection courante, ou encore pour ne pas s’exposer à de désagréables surprises et à des inconséquences dangereuses. Les délits dont on veut parler ici sont, naturellement, les actes antisociaux, c’està-dire ceux qui heurtent en l’homme le sentiment de pitié et portent atteinte aux droits des autres à une égale liberté – il n’est pas question, ici, de tous ces faits que le code pénal condamne pour cette seule raison qu’ils touchent aux privilèges des classes dominantes
Dans cet article paru dans l’édition du 27 août 1921 du quotidien Umanità Novadont il est le directeur de publication, Errico Malatesta, aborde la question de la délinquance – ensemble des infractions et délits commis – dont il fait l’archétype du conflit en société libertaire, ayant très bien perçu ce qu’elle pouvait receler de dangerosité pour la société future.
Eu égard à la fragilité humaine d’une société libertaire, ne « bénéficiant » plus, de fait, de la protection des appareils de répression, on saisit dès lors mieux le sens de cette phrase courte mais explicite « Et tant qu’il y aura des délinquants, il faut s’en défendre. »