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hAcktivisme numérique ?
Ippolita
Article mis en ligne le 14 mai 2013
dernière modification le 14 mai 2014

IL DEVIENT RARE DE LIRE UNE ANALYSE DES LUTTES SOCIALES RÉCENTES qui ne signale ni ne glorifie le rôle déterminant joué par Internet et en particulier par les réseaux numériques dits « sociaux ». Il semble évidemment difficile de nier que ceux-ci ont augmenté la diffusion de plusieurs annonces et autres comptesrendus relatifs à toutes sortes de rassemblements. Mais c’est empreints d’un techno-enthousiasme, plus ou moins conscient ou revendiqué, que les médias occidentaux ont généralement commenté des réalités aussi différentes que 15M, Occupy, les diverses composantes de ce qui fut appelé le Printemps arabe ou, un peu plus avant, le mouvement vert iranien1. Malheureusement, leurs homologues alternatifs se sont parfois contentés d’appliquer le même vernis technologique. Pourtant, l’un des principaux composants dudit vernis est souvent l’idée que les oppressions sont le fruit de malentendus de communication. Le véritable espoir de transformations sociales inédites résiderait dans l’intensification de la circulation des informations et l’accélération des transactions. Ajoutées à cela, les nouvelles plates-formes regroupées sous le nom de « web 2.0 » feraient, selon leurs apôtres, tomber tous les bâillons.

Elles permettraient de livrer des informations directes, dispensatrices de vérité et douées d’une efficace politique. Elles seraient les outils de la démocratie réelle, voire l’instrument qui manquait aux révolutionnaires. Pourtant, les murs à abattre ne sont pas, pour la plupart, des pare-feu technologiques, mais bien des obstacles sociaux, politiques et culturels. Quelle que soit l’importance que l’on confère à l’information, celle-ci ne se substituera jamais à l’action. Plutôt que d’ouvrir la bouche pour nous délecter avec l’hostie bénite de la Bonne Nouvelle Numérique, rappelons ce que chantait Gil Scott-Heron : « Tu ne pourras pas rester chez toi, mon frère [...] parce que la révolution ne sera pas télévisée ». Elle n’aura pas non plus lieu sur Facebook !

LES OUTILS QUI MANQUAIENT AUX RÉVOLUTIONNAIRES ?

Sortons des discours généraux et portons notre regard de l’autre côté de la Méditerranée. Il n’a pas manqué de journalistes pour annoncer que le régime égyptien était tombé à cause de son impuissance face à une insurrection populaire, dont seule l’utilisation d’Internet expliquait l’ampleur inédite. Le renouveau qui avait commencé de souffler en Tunisie devait aboutir à des transformations similaires dans toute la Méditerranée. Pourtant, si l’Algérie ou le Maroc ont bien connu quelques révoltes, aucun mouvement de la même dimension ne put y naître. Le messie technologique y était-il en retard ? À en croire les statistiques, il semble que non. Le pourcentage des personnes inscrites sur Facebook résidant en Égypte et au Maroc est similaire2. Un blog techno-enthousiaste égyptien estimait péniblement, en 2010, le nombre de comptes Twitter dans ce pays à 50 0003. Sans compter que d’une façon générale, sur Twitter, 25 % des utilisateurs n’ont jamais tweeté, 50 % des utilisateurs ont produit 1 tweet ou moins et 75 % des utilisateurs ont produit 4 tweets ou moins4. Et l’on n’évoque pas là le nombre de tweets qui n’ont aucun contenu politique. Derrière les annonces sensationnelles, selon les situations diverses, c’est donc une réalité bien plus prosaïque que l’on découvre. Des vieux dictateurs sans imagination comme Moubarak, ne comprenant probablement rien à ces phénomènes émergents, n’étaient visiblement plus en sécurité, surtout s’ils laissaient à des groupes d’opposition la liberté de galvaniser l’opinion par tous lesmoyens possibles pendant des mois. Aujourd’hui, l’Égypte et la Tunisie sont en train de se livrer démocratiquement à des partis qui, contrairement aux régimes précédents, savent très bien surveiller et contrôler leweb 2.0. L’interprétation techno-enthousiaste des événements iraniens soulève plus de doutes encore. La très grande majorité des tweets en persan publiés durant lesmanifestations iraniennes de juin 2009 émanaient d’Iraniens dissidents en exil qui utilisaient leur profil depuis la Grande-Bretagne ou les États-Unis5 et pas depuis les rues de Téhéran. En avril 2010, le directeur des nouveaux médias d’Al Jazeera, Moeed Ahmad, s’exprimait ainsi :

Je crois que Twitter a été trop utilisé, y compris par des chaînes d’information qui ont publié des tweets vidéo sur le sujet, sans vérifier les sources. Nous avons identifié cent sources fiables, dont soixante se sont montrées utiles. Durant les jours qui ont suivi, seulement six d’entre elles ont continué à donner des informations. Je crois qu’il est important de considérer que dans Twitter, 2 % seulement des informations ont une source directe. Tout le reste est re-tweeté. Identifier la source des informations et travailler avec elles, voilà la stratégie qui permet d’utiliser correctement les réseaux sociaux dans l’information6.

Nous savons encore peu de choses sur le rôle effectif, mais voué à l’échec, de Twitter en Iran, dans le mouvement de protestation vert qui a avorté. Nous n’en saurons probablement pas beaucoup plus dans le futur. La théocratie reste solidement installée et elle est en train de procéder à la purge, y compris technologique, de ses opposant-es. Plusieurs activistes, parmi celles et ceux qui ont réussi à faire entendre leur voix, ont toutefois émis d’importantes réserves quant aux thèses des technoenthousiastes. Le blogueur et militant iranien Vahid Online a déclaré à plusieurs occasions que l’influence de Facebook et Twitter en Iran a été presque nulle, bien que les Occidentaux aient eu l’impression de participer à la révolte7. Alireza Rezai a quant à lui souligné que la désorganisation totale du mouvement s’accordait mal avec l’idée d’une protestation planifiée à coups de tweets. Le fait que les nouvelles circulent en Occident sur Twitter ne signifie donc pas que les Iranien-nes dissident-es étaient sur Twitter et coordonnaient leur action sur le web 2.0. À l’avenir, il sera plus difficile encore de le faire. Les effets d’annonce ont alerté les censeurs. Le gouvernement iranien, en réponse aux déclarations pro-Twitter des hommes politiques américains et occidentaux, a brutalement recherché toute personne en contact avec les « médias étrangers » et lancé une campagne d’intimidation par SMS et en mettant sur pied des équipes de police télématique.

Ce serait toutefois se leurrer que de s’imaginer qu’il ne s’agit là que de problèmes propres au monde arabe ou aux régimes dictatoriaux. Les Étatsmodernes sécuritaires, auMoyen-Orient comme dans le reste dumonde, sont en train d’apprendre à cohabiter avec les flux d’informations numériques. Par-delà les rives de la méditerranée, les cadres juridico- légaux et idéologiques sont déjà prêts. Dans le cas des régimes démocratiques, la censure préventive des utilisateurs et utilisatrices ainsi que la suppression des contenus suite à des pressions institutionnelles seront présentées, par exemple, comme une façon de défendre l’intérêt commun contre les discours de haine. Certains propos pourront être considérés comme constituant une violation des conditions d’utilisation. L’exemple de Rebecca Gomperts, la fondatrice de l’organisation néerlandaise proavortement Women on Waves8 l’a bien montré. Dans le cas des régimes totalitaires, les sociétés privées ne trouveront aucun intérêt à protéger l’anonymat des dissidentes (ce qui aurait pour effet de leur attirer les foudres des tenants du pouvoir), surtout s’il s’agit d’utilisateurs qui ne génèrent qu’un faible profit publicitaire.

Ce qui vient d’être dit se pose à contre-courant de l’idée professant que leweb 2.0 a été le principal catalyseur des récentsmouvements sociaux d’importance. Il est néanmoins possible d’aller plus loin encore en se décentrant du problème de la censure. Car il ne s’agit pas d’affirmer que tout outil n’est, en soi, ni bon nimauvais et que, dans le cas des réseaux sociaux, leurs effets positifs sont simplement réduits à néant par les menaces et la répression. Nous ne partageons pas l’illusion d’une absolue neutralité des objets techniques et encore moins l’allégation corollaire que tout instrument numérique est, en puissance, libérateur. Mais pour en traiter, plutôt que de dériver sur l’océan philosophique, il faut plonger dans l’aquariumde Facebook. Étrange dispositif que cette nouvelle autoroute de l’information ! L’espace qu’il recouvre paraît si immense qu’on en vient vite à ne plus distinguer ses parois. Ses eaux n’en deviennent pas pour autant effrayantes. Bizarrement, elles révèlent une saveur familière : notre monde s’y retrouve. Y nager provoque même l’agréable impression qu’il est désormais plus simple de nous déplacer là où nous avons toujours habité. Des détails que nous n’aurions pas aperçus apparaissent ; l’horizon semble avoir été repoussé. Pour que ce nouveau regard soit possible, il nous faut toutefois chausser des lunettes bien particulières. Elles nous permettent de tout voir en une seule dimension. Des informations (parfois de simples stimuli) de provenances diverses s’entrecroisent d’unemanière insoupçonnée.Mais cette vision inédite n’est pas sans conséquence. Lemode d’exposition des contenus réduit les formes de vie dont ils émanent en les soumettant à de rigoureux paramètres à peine négociables. Seule reste une pluie de messages conditionnée par une recherche tyrannique de reconnaissance, sur fond d’exhibitionnisme émotionnel, ainsi que l’exigence d’une transparence radicale.

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