UN ESPACE DE TRAVAIL HYBRIDE
POST-OP EST NÉ CONSÉCUTIVEMENT AUMARATHON POSTporno de Barcelone, un atelier qu’avait organisé Beatriz Preciado, au MACBA1, en 2003. Bon nombre de personnes y avaient participé. Pour la plupart, nous nous étions déjà croisé-es dans différents lieux queer de Barcelone comme la Bata de Boatiné2 ou à l’occasion d’autres journées du même type (les journées queer de Kan Kun3, la acampada queer...). Barcelone était en plein boom : des fêtes, rencontres et autres événements, tous liés à la pensée queer ou transpédégouine, y avaient lieu, aussi bien dans des endroits alternatifs qu’institutionnels. À cette occasion donc, nous sommes plusieurs à être entré-es en contact. Nous avons décidé de créer un groupe de réflexion sur le genre et la post-pornographie, un espace de travail hybride qui mette en lien différentes disciplines et connaissances (art, sociologie, politique) et s’en abreuve.
Actuellement, nous ne sommes plus que deux (Majo et Urko), mais au départ on pouvait compter à nos côtés Joan Pujol, Desiré Rodrigo et d’autres personnes encore. Il y avait aussi beaucoup de collaborations (pour l’aspect musical notamment). Nous nous consacrions principalement à faire des performances.
Le mot « post-pornographie » peut, cependant, désigner plein de choses. C’est justement une richesse qu’il n’ait pas de définition fixe. D’une manière générale, nous, lorsque nous l’utilisons, nous faisons référence à un ensemble de pratiques qui portent un regard critique sur la pornographie dominante (commerciale et normative). Cela ne veut pas dire que nous sommes contre le porno mainstream4 ; parfois, il nous excite. Mais nous pensons qu’il est nécessaire de regarder avec un oeil critique ces représentations, les stéréotypes et les rôles qu’elles mettent en scène. Elles ont un pouvoir : elles nous disent quels corps sont les bons et déterminent quelles pratiques sont sexuelles ou pas. Elles légitiment certains corps et enmettent d’autres au ban. Dans ce contexte, nous sommes soit représenté-es par d’autres soit pas représenté-es du tout. Avant, on pouvait, par exemple, trouver un peu de porno lesbien ou trans, mais pas fait par des lesbiennes ou des trans. Alors, plutôt que d’adopter une position abolitionniste, ou prohibitionniste, nous nous approprions les outils de la pornographie pour créer un autre discours. Nous nous emparons des caméras, des ordinateurs, des divers moyens de production et nous inventons notre propre discours. Il s’ancre dans un imaginaire plus proche de nos désirs et de nos intérêts, il met en scène des pratiques et des corps qui ne sont pas ceux de la pornographie dominante et surtout, il cherche à dynamiter le système sexe/genre/pratiques sexuelles et à casser le binôme homme/femme.
Le nom de notre groupe « post-op », c’est le terme qu’emploie l’institution médicale pour faire référence aux personnes transsexuelles après une intervention chirurgicale de réassignation sexuelle. Nous l’utilisons pour nous désigner, dans la mesure où nous estimons que toutes les personnes sont construites (opérées) par des technologies sociales très précises qui nous définissent en termes de genre, de classe sociale, de race... À travers la postpornographie, nous cherchons à déstabiliser les piliers qui soutiennent une société qui exclut celles et ceux qui ne rentrent pas dans lemoule, qui ne se conforment pas à des paramètres qui n’ont jamais été valables. Après, si en plus ça nous excite, que ça excite nos ami-es et qu’on s’amuse bien en baisant... Tant mieux !
UNE PERSPECTIVE QUEER ET TRANSFEMINISTE
L’un des aspects importants de notre travail c’est de rompre avec le binarisme. C’est un choix. D’autres personnes font de la postporno avec des objectifs distincts. Il y a plusieurs approches possibles. La nôtre est queer et transféministe. Selon nous, ces deux façons de penser ne sont pas divergentes, mais complémentaires. Il est dit, parfois, que la déconstruction des genres et des catégories identitaires ou la théorie de la performativité du genre rendent invisibles les oppressions et les souffrances que génère une société fondée sur le binarisme (homme/femme). D’une certaine manière, ces critiques ont fait retomber un peu l’engouement pour la pensée queer.Mais nous estimons que c’est une lecture un peu simpliste. Il ne nous a jamais semblé que l’adoption d’une perspective queer impliquait d’oublier tout ce qui avait été pensé avant ou de s’imaginer que les hiérarchies de pouvoir allaient s’effondrer juste en déconstruisant petit à petit les identités. En quelque sorte, le transféminisme part de là. Il affirme que le sujet politique du féminisme n’est pas seulement constitué par les femmes, mais qu’il est bien plus large et ouvert. En même temps, il est conscient, en tant que féminisme, des relations de pouvoir et de l’oppression spécifique vécues par les personnes identifiées comme des femmes. Il est vrai aussi que le mot queer est devenu cool. Il a perdu tout son contenu politique. Il a été complètement absorbé par le système économique et les institutions. Il était donc intelligent d’en rajouter une couche et d’utiliser un mot comme transféminisme, qui recouvre bien plus que la somme de trans plus féminisme et surtout qui dérange beaucoup plus. Le moment était venu d’inventer une formule qui ait un contenu plus fort, comme c’était au départ le cas pour « queer » aux États-Unis5.
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