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Inspirations des luttes XXX ; cinq fabulations révolutionnaires
Amandine Guilbert et Rémi Eliçabe
Article mis en ligne le 3 mai 2013
dernière modification le 3 mai 2014

« Nothing about us without us »
Caucus international des travailleuses et travailleurs
du sexe pour la réduction des risques, Barcelone, mai 2008.

« Good girls go to heaven, bad girls go everywhere »
Cheryl Overs, 1986.

LA PROPOSITION DU PRÉSENT TEXTE PART DE LA
publication, à l’hiver 2011, du livre Luttes XXX. Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe aux éditions du remue-ménage (Montréal).

Cet ouvrage collectif, coordonné par trois chercheuses québécoises – Maria Nengeh Mensah, Claire Thiboutot et Louise Toupin – ne regroupe pas moins de quatre-vingt textes différents (tracts, récits, témoignages, poèmes, textes académiques, critiques, etc.) écrits entre 1973 et 2011 par des militantes, travailleuses du sexe ou ex-travailleuses du sexe et chercheuses alliées. Si la majorité des interventions proviennent d’Amérique du Nord (Canada, États-Unis) et de France, d’autres ont été rédigées en Suède, en Inde, en Thaïlande, en Nouvelle-Zélande ou en Amérique latine, certaines même l’ont été à l’occasion de rencontres internationales du mouvement. Le livre Luttes XXX n’en est pas tout à fait un, en ce sens que la mise en série des événements textuels qu’il présente déborde largement une telle clôture, puisqu’à travers eux on peut entrevoir la consistance de ce qui a permis, en l’espace de quarante ans, de construire un mouvement d’émancipation d’ampleur mondiale.

Nous n’aborderons pas ici les débats et polémiques qui opposent depuis les années 1970 les mouvements de travailleuses du,sexe et certains courants du féminisme dits « abolitionnistes ». Si nous ne voulons pas aborder ces débats, c’est que nous ne voulons pas considérer la question du travail du sexe dans une perspective
morale, et surtout pas en généralité ou depuis un horizon d’universalité. Notre parti pris est au contraire de partir de la force dont le mouvement international des travailleuses du sexe fait preuve, partir de cette puissance politique particulière et examiner le type
de transversalité qu’elle dessine, la considérer comme indiquant
des voies nouvelles pour l’émancipation.

Il y a d’abord pour nous le titre de ce livre, Inspirations du mouvement des travailleuses du sexe, dont nous retenons particulièrement ce terme « d’inspiration ». Si nous retenons ce terme, c’est pour insister sur le statut de notre texte, pour indiquer qu’il ne s’agit pas ici d’une recension d’ouvrage, mais bien plutôt d’une forme de réponse, depuis là où nous sommes, à ce que nous identifions comme un appel. Appel à de nouvelles inspirations et aspirations, comme des révoltes discrètes, des contre-conduites invisibles dont l’acide mise au jour aurait produit ailleurs des échos, aurait rebondi au loin pour être reprise, par d’autres, sous d’autres formes et latitudes. Rendre grâce à l’organisation horizontale, plurivoque et irritante des Luttes XXX en passe nécessairement, pour les travailleuses du sexe comme pour nous, par la restitution de la multiplicité des paroles qui les compose et du commun qui s’en dégage.

Pour cela, chaque section du présent texte sera introduite par un fragment de discours extrait du livre. Mais plus encore, l’exercice du compte rendu exige de maintenir le cap que les travailleusesdu sexe en lutte se sont fixé, et cela ne peut vouloir dire autre choseque de poursuivre la liste des verbes à l’infinitif que chaque chapitre du livre décline : « S’organiser », « Travailler », « Bâtir des alliances », « Se raconter », « Décriminaliser », « Agir face au sida », « Migrer », « Se représenter ». Faire proliférer les verbes infinitifsintempestifs ou se glisser au milieu d’eux et y inscrire celui de
fabuler. Parce que nous ne sommes pas travailleuses du sexe, nous fictionnerons nos propres verbes indéfinis : fabuler des corps poétiques, des communautés de guerre chamaniques, des alliances monstrueuses, une immanence révolutionnaire et des sexualités inimaginées encore. Cinq fabulations du réel, cinq fils d’Ariane ou
cinq folies inspirantes.

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