CE QUE LES MÉDIAS ONT APPELÉ « LE PRINTEMPS ARABE »
a surpris tout lemonde. C’est devenu lassant de le faire
remarquer encore et encore. Si les chercheurs qui
avaient mis au jour des évolutions profondes de ces sociétés
dites « arabes » et prévoyaient des changements inévitables
avaient été entendus, la surprise aurait été moins grande.
Lemonde de l’information attaché à l’immédiateté des faits n’a
rien vu venir d’une part, et comme d’habitude il conserve cette
courte vue quand il s’agit d’expliquer et de comprendre ce qui
se passe. Regarder en arrière est indispensable pour comprendre
le présent. L’espérance du changement radical présent
dans l’espérance humaine est un mythe, il ne peut y avoir de
table rase du passé. Les individus ont un héritage génétique, ce
que personne ne conteste, la société dont ils sont les composantes
aussi. Nous sommes les héritiers d’un passé qui pèse
lourd. Pour comprendre les raisons des révolutions qui sont
en cours au Moyen Orient et de leurs limites actuelles, il faut
faire un retour aux débuts de l’histoire du peuple arabe. Il faut
aussi considérer quelles sont les leçons données par l’histoire
plus récente, celle de la deuxièmemoitié du siècle qui s’est terminée
il y a une décennie.
LE POIDS DE L’HISTOIRE
Il est tentant soit de présenter les Arabes comme des musulmans
soit de faire des musulmans des Arabes. La majorité des
musulmans ne sont pas arabes (Indonésie, Pakistan, Bengale,
Turquie, Iran, etc.). Si la majorité des Arabes sont musulmans,
ce n’est pas la totalité. Il existe diverses confessions chrétiennes
arabes, coptes catholiques orientaux et autres. Faut-il rappeler
que jusqu’au septième siècle les Arabes ne peuplent que la
péninsule arabique et une partie de laMésopotamie ? Cent ans
après la mort de Mahomet (632 de notre ère), fondateur de
l’islam1, l’empire arabe s’étend des confins asiatiques à l’Océan
Atlantique. À partir de la prise de Constantinople en 1453,
l’Empire Ottoman contrôle le sud de la Méditerranée et une
partie de l’Europe. Le règne desArabes est terminé. Le fait que
les Turcs, d’origine asiatique, soient musulmans ne doit pas
faire oublier que leur pouvoir est colonial. Il faudra attendre
la défaite de la première guerre mondiale, la Turquie s’étant
rangée du côté de l’Allemagne, pour qu’avec le traité de Sèvres
conclu le 10 août 1920 les pays du Proche Orient, Syrie,
Palestine, Liban, Irak, Arabie recouvrent une certaine autonomie
avant de devenir indépendants.
Tous ces pays ont en commun leur religion majoritaire et,
à l’exception duMaroc, leur soumission au pouvoir d’Istanbul.
La Sublime Porte ottomane, au nom de son pouvoir et de
l’Islam, a empêché la création et le développement d’une classe
bourgeoise entrepreneuriale par la centralisation du pouvoir
religieux, intellectuel et temporel. C’est la fonction du califat
qui est la base de l’organisation musulmane. Le porteur du
titre, héritier du prophète, a pour rôle de garder l’unité de
l’Islam [1]. Toutmusulman lui doit obéissance, dans le cadre de la
charia. Le calife est le dirigeant de l’Oumma, la communauté
des musulmans.
Islam, la démocratie, le droit
La démocratie parlementaire fonctionne sur la pluralité des
sources de pouvoir à l’exclusion du pouvoir religieux, sur la
contradiction des visions des dirigeants potentiels, sur l’alternance.
La place incontestée de l’État, qui est présenté comme le ciment social des pays démocratiques, incarne l’unité de ce système
contradictoire.
L’origine de ce bicéphalisme remonte à l’origine du christianisme
et à ce verset du Nouveau Testament « Rendez à
César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à
Dieu. » (Matthieu, XXII,21) qui fonde la séparation entre le temporel
et le spirituel. C’est là le début de la tension qui va traverser
dès lors toutes les sociétés occidentales et ce encore de
nos jours. C’est entre ces deux pôles contradictoires et concurrents
que vont pouvoir se glisser et prospérer les contestations
de tout ordre, l’humanisme, la Réforme et bien sûr le courant
qui va prendre le nom de Lumières. Dans l’islam, deux courants
intellectuels vont naître, se développer et se concurrencer,
les théologiens et les juristes. Le droit musulman, la charia, est
la plupart du temps caricaturé en Occident à partir de ses
dimensions interpersonnelles, et particulièrement en ce qui
concerne les droits des femmes. Le colonisateur occidental en
imposant son ordre avait aboli tout ce qui régulait la vie quotidienne
politique, économique et sociale des populations en
laissant actif ce qui concernait la vie privée.
La charia pouvait aussi concerner le droit de la guerre, le
droit des traités et le droit des étrangers. L’élaboration du droit
musulman qui a pris la forme de quatre écoles juridiques arrête
d’évoluer entre le Xe siècle, quand un calife ferme les portes de
l’interprétation, et le XIIIe siècle avec l’invasion mongole. C’est
ce qui donne ce caractère archaïque à la charia. Il faudrait en
fait la comparer au droit canonique catholique pour en faire
une évaluation non réductrice. La fin du XIIIe siècle et le XIVe
voient arriver depuis les immensités asiatiques, hors les Mongols,
des groupes nomades plus ou moins homogènes à la recherche
de nouveaux territoires. Le monde arabe change alors
définitivement d’apparence. Il faut s’arrêter sur ce nouvel état
de fait et prendre le temps d’examiner l’évolution de ce qui va
devenir la Turquie, sans oublier l’Egypte et la Tunisie puisque
ces deux pays sont à l’origine du renouveau arabe.
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