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La critique anarchiste de la démocratie : Bakounine et le « moment machiavélien »
Diego Paredes Goicochea
Article mis en ligne le 2 mai 2011
dernière modification le 2 mai 2013

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La lutte politique,
c’est aussi la lutte pour l’appropriation des mots. »
Jacques Rancière

Dans une phrase de Humain, trop humain, intitulée « L’époque
des constructions cyclopéennes », Nietzsche affirme :
« La démocratisation de l’Europe est irrésistible : qui veut l’entraver use
des moyens que l’idée démocratique a été la première à mettre entre les
mains de chacun et rend ces moyens eux-mêmes plus commodes à manier
et plus efficaces : les adversaires convaincus de la démocratie (je veux dire
les esprits révolutionnaires) ne semblent exister que pour pousser les
différents partis, par la peur qu’ils inspirent, toujours plus loin dans les
voies démocratiques. »

Le titre de la sentence est bien clair puisque métaphoriquement il
compare la démocratie à ces énormes blocs polis qui servaient de
véritables murailles défensives dans l’Antiquité. La démocratie est une
construction cyclopéenne car elle annule la possibilité du dehors : le
démocrate n’aime que le démocrate. En tant que point de vue
totalisant, la démocratie absorbe toute différence dans son intérieur.
C’est la raison pour laquelle même ses adversaires exercent leur omme « l’intouchable d’un système
symbolique ». L’axiome de cet emblème
est que « tout le monde » est démocrate et
ne pas l’être est mal vu par « tout le
monde ». Au fond la démocratie souffre
d’une endogamie politique qui manifeste
en même temps un rejet de ce qui est
radicalement étranger et une volonté
d’intégrer ce qui est différent. Cependant,
comme l’affirme aussi Badiou, cet
emblème qui d’après Nietzsche est
devenu une aeterna veritas doit être
destituée.
Pour commencer à destituer
l’emblème, tout d’abord il faut reconnaître
que son sens est fluide, changeant,
et que, par conséquent, au fond la démocratie
n’a pas un caractère immuable
mais qu’il y a une controverse sur sa signification.
La démocratie contemporaine,
celle qui se présente comme un
emblème, est la démocratie libérale parlementaire,
cette forme de gouvernement
propre au capitalisme et donc,
fonctionnelle à l’économie de marché.
Notre démocratie actuelle n’a rien à voir,
alors, avec la politique immanente au
peuple, avec l’égalité matérielle qui
permet que quiconque puisse prendre en
charge les affaires de la communauté,
mais avec le domaine de l’individu
égoïste qui ne veut que des garanties
pour son bonheur et son bien-être privé.
Ainsi, notre démocratie libérale est
beaucoup plus proche de celle que Platon
critique dans le livre VIII de la République
que de la démocratie directe qui plonge
ses racines dans la Révolution française2.
Platon reconnaît que la démocratie est une certaine forme de constitution mais
il met l’accent non pas tellement sur la
forme que sur le citoyen qui « ordonnera
dans le privé sa propre existence selon
telle ordonnance qui lui conviendra »3.Ce
démocrate cherche alors, son propre
bien-être et c’est pour cela qu’il
considère, d’une part, que tout est
disponible et d’autre part que son but est
d’agir comme il le désire. Autrement dit,
le démocrate poursuit son propre bien à
sa façon. L’attitude du démocrate que
Platon critique est similaire au mode de
vie que défend aujourd’hui tout
démocrate libéral ; celui qui déteste la
participation publique et qui appelle
totalitaire tout appel au « commun ».
II.
D’habitude l’anarchie est pensée comme
l’autre du despotisme, de la monarchie,
mais aussi de la démocratie. L’anarchie,
définie comme an-arkhé est précisément
« l’absence de gouvernement », et elle
n’est donc pas équivalente au gouvernement
du demos. Cependant, la
précision étymologique d’an-arkhé n’a
pas le dernier mot. Un cas paradigmatique
peut être celui de Michel
Bakounine qui, comme on le verra plus
loin, fait une critique lapidaire du
système représentatif de la démocratie
tout en reconnaissant que si « ce mot de
démocratie ne (veut) dire autre chose que
le gouvernement du peuple, par le
peuple et pour le peuple […] dans ce
sens nous sommes certainement tous
des démocrates »4. Que veut dire
Bakounine avec cette affirmation ?
Reconnaîtrait-il qu’il y a une sorte de
pont entre l’anarchisme et la
démocratie ?

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