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De la priorité du politique sur le social
Monique Boireau-Rouillé
Article mis en ligne le 1er mai 2011
dernière modification le 14 juin 2016

La question de la liberté politique engage-t-elle ce qu’il en est de l’articulation entre la sphère sociale et la sphère politique ? Sans doute. On assiste en effet aujourd’hui à un regain d’intérêt pour une « théorie critique », qui cherche à renouveler les analyses et la compréhension des formes actuelles de la domination, en ne les séparant pas d’un intérêt pour les lieux et les modalités de lutte pour l’émancipation. Ces recherches semblent intéresser les milieux libertaires, car elles peuvent contribuer à nourrir une réflexion qui se veut à la fois radicale et contemporaine. Ainsi Franck Fischbach1 veut construire une « nouvelle philosophie sociale », qui soit instrument de critique radicale ; Emmanuel Renault 2 cherche à élaborer les outils de notre temps pour critiquer le néolibéralisme. Ce courant cherche à « re-politiser le social », ce qui n’est guère étonnant3 tant le social est aujourd’hui le grand oublié d’une société anesthésiée et qui euphémise ou tente d’occulter de ses représentations le conflit de classe. Mais la façon d’envisager cette repolitisation,

l’analyse proposée des relations du social et du politique, la conception du politique explicitement ou implicitement donnée, ne vont pas sans poser de sérieuses questions, tant elles reposent sur (et signalent) une certaine cécité sur la nature spécifique du politique. Ce qui paraît étonnant en effet, c’est que l’on assiste, dans la foulée de ce nouvel intérêt pour les pensées de l’émancipation, au resurgissement de propos que l’on croyait dépassés sur la priorité du social sur le politique, ou la fin de la domination envisagée comme fin du politique dans le social. Ces positions semblent rejouer un débat (qui n’est pas nouveau) sur l’autonomie du politique4.

Tout se passe comme si on assistait au retour des conceptions (ou supposées telles) de Marx5 pour qui, après l’émancipation de la religion, il reste à se débarrasser du « ciel » de la politique, dernier refuge de l’illusion émancipatrice. Comme si ces pensées contemporaines restaient, au-delà ou malgré les critiques (et nouvelles interprétations) qui ont été faites de ce propos de Marx, tributaires de l’analyse faite au XIXe siècle. Mais paradoxalement, ces pensées pourraient aussi s’apparenter aux courants contemporains qui, dans le sillage de M. Foucault pouvoir, à un bio pouvoir, diffus, disséminé, éclaté, et se livrent ainsi à une « anthropologisation » du politique.
Ainsi le plaidoyer de F. Fischbach pour la construction d’une philosophie sociale consiste, en voulant re-politiser le social, à affirmer l’immanence de la politique dans le social6, à déclarer une continuité entre social et politique (contre la coupure induite par la philosophie politique classique), à n’imaginer le politique que dans la position de « surplomb », de domination sur la société, signant par là même son extériorité, et à terme sa superfluité. De façon un peu différente (mais aboutissant à la même secondarisation du politique), E. Renault disqualifie les théories critiques actuelles se situant directement dans le champ politique, car elles seraient aveugles à une réelle critique de la domination ; le réengagement critique se situe alors selon lui sur le seul terrain sociologique.

Ce qui laisse à penser que la conception du politique ne peut être que limitée aux institutions et activités répertoriées comme telles dans notre système « d’oligarchie représentative ». Et alors, tout se ramènerait à la dimension économicosociale des sociétés, « vrai » lieu du réel, et à l’idée que celles-ci peuvent être intégralement appréhendées par une approche sociologique basée sur l’observation et l’expérience. Ce qui semble important pour ce courant, c’est d’abolir la frontière entre social et politique, peu importe à la limite lequel aurait priorité sur l’autre, l’essentiel étant leur fusion.

Cette démarche d’immanentisation et de naturalisation du politique repose sur des présupposés, qui méritent d’être explicités et T. Negri, identifient le politique au et plus généralement au désir de rabattre, de ré-encastrer le politique action, brèche, irruption, et aussi activité instituante, volontaire et symbolique donc). On pourrait y voir aussi une inscription non explicitée dans un courant foucaldien qui identifie la question politique à la question du pouvoir, via la problématique de la gouvernementalité7. Enfin, il semble que cette façon d’identifier le politique à la domination repose sur une confusion entre ce que J. Rancière appelle le politique et la police. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui la politique est mise en ordre plus ou moins autoritaire ou consensuel du social, qu’il faut se limiter à cette conception du politique

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