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Devoir de désobéissance
Article mis en ligne le 29 avril 2011
dernière modification le 29 avril 2013

Comment un mouvement de protestation ponctuelle dans un cadre institutionnel
pourrait-il se radicaliser pour mettre en question le fonctionnement même de
l’institution politique ou économique ?

Dans quelques cas de désobéissance civile,
une telle radicalisation semble possible ; tâchons dans ce rapide entretien d’élucider
les conditions de son éventuel développement.

Jean-Jacques Gandini est actuellement impliqué comme avocat
dans deux cas de désobéissance civile. L’un concerne le refus, par des
directeurs d’école, d’inscrire leurs élèves dans le fichier « Base élèves »,
dont les renseignements suivront chaque élève tout au long de sa scolarité ;
l’autre concerne le refus des prélèvements d’ADN.Dans les deux cas le refus
constitue une désobéissance à la loi, s’exprimant par des actes illégaux mais
qui sont considérés comme légitimes par leurs auteurs,mettant par là même
en question la légitimité de certaines lois.On peut rapprocher de ces gestes
ceux des faucheurs d’OGM ou des déboulonneurs de panneaux publicitaires,
qui invoquent l’état de nécessité, c’est-à-dire la légitime défense, pour
enfreindre le Code pénal.

Concernant la deuxième affaire, la Cour européenne des Droits de
l’Homme s’est opposée au fichage généralisé vers lequel tend le FNAEG
(Fichage national automatisé des empreintes génétiques) en raison de son
application potentielle à n’importe quel citoyen et en raison de la durée de
conservation des données qui est contraire aux conventions européennes.
Sachant que seuls les auteurs de délits économiques et financiers sont mis à
l’abri du prélèvement d’ADN et que, d’autre part, les victimes de violences
policières sont régulièrement accusées d’outrage et de rébellion, il y a tout lieu
de soupçonner que la justice devient de plus en plus une justice de classe.

C’est ce dont prend acte le Syndicat des Avocats de France en demandant la
dépénalisation de l’outrage au nom de la liberté d’expression (car lorsqu’on
a affaire à une véritable diffamation, une procédure normale existe déjà,
pourvue d’une défense en bonne et due forme), ainsi que le Syndicat de la
Magistrature qui demande la pénalisation par des amendes dissuasives des
abus de biens sociaux et autres délits financiers.

Les deux syndicats ont également signé, avec d’autres associations, le
manifeste du Collectif national de Résistance à Base élèves (CNRBE [1]). Plus de 2000 plaintes ont été déposées par des
parents sous le motif que le fichier présentait
des problèmes de sécurité, de durée et de
risques d’interconnexions qui contrevenaient
à la loi « informatique et libertés ».
Le Collectif fonctionne par assemblées
générales, faisant constamment circuler
toutes les informations pour rendre effective
la capacité de décision de tous ainsi que
l’intervention éventuelle dans les médias, ce
qui évite de se doter d’un porte-parole et
maintient l’égalité de tous les membres visà-
vis de l’extérieur. Parmi ces membres,
beaucoup de parents d’élèves issus de tous
les milieux, en découvrant comment on est
arrivé à cette situation et par quelles armes
juridiques il est possible de s’attaquer à des
décisions politiques inscrites dans le droit,
commencent à s’interroger sur la manière
dont les lois sont votées, par qui et suivant
quelles motivations. Cela n’aboutira pas
nécessairement à un véritable engagement
contre la démocratie représentative, mais
c’est déjà une faille dans l’idéologie
dominante.
Des témoignages de désobéissants
circulent sur le net, des livres sont édités,
comme En conscience je refuse d’obéir d’Alain
Refalo ou Je suis prof et je désobéis de Bastien
Cazals

[[Alain Refalo, En conscience je refuse d’obéir, éd.
Ilots de résistance, 2010, 251 p. Bastien Cazals,
Je suis prof et je désobéis, Indigène éditions,
2009, 24 p. Pour de futures désobéissances,
signalons que les éditions Indigènes ont aussi
publié en 2010 un petit livre de Claire Auzias,
Roms,Tsiganes, voyageurs, l’éternité et après ?]]

. Les actions de mobilisation
s’étendent : des pressions sont exercées sur
les parlementaires de l’opposition pour
qu’ils se prononcent sur l’illégalité de la loi ;
des lettres de soutien sont envoyées aux
parents, aux enseignants et aux inspecteurs
d’Académie ; des questions parlementaires
sont adressées au ministre ; les positions des
associations de parents se radicalisent. Des
catégories de personnes non directement
concernées prennent parti pour le
mouvement et le font savoir.

Vers une réflexion plus large
En réunion, il arrive que la réflexion sur le
droit des fichiers mène à celle, plus générale,
sur la société de surveillance et de contrôle :
à quoi servent tous ces fichiers ? Pourquoi
sommes-nous tous considérés comme suspects ?
Peut-on imaginer une société qui se
construise avec les autres et non contre eux ?

De la même manière, au-delà des interventions
ponctuelles des associations de
droit au logement, la mise en question d’un
cas particulier de spéculation débouche
parfois sur celle du droit de propriété et sur la
question de savoir pourquoi il est si difficile
d’obtenir une loi contre la spéculation ;
autrement dit cela permet de découvrir la
collusion entre le pouvoir politique et les
pouvoirs économico-financiers. On peut en
dire autant à propos des mobilisations en
faveur des sans-papiers : un fonctionnement
par assemblées peut permettre de passer de
la revendication « des papiers pour tous » à la
question « pourquoi des papiers ? », et l’information
sur les flux de main-d’oeuvre légale
ou illégale peut déboucher sur une mise en
question de l’organisation générale du
travail.

Du côté des résultats pratiques, le Conseil
d’État a annulé l’arrêté instituant Base élèves
et a donné trois mois au gouvernement pour
le rendre conforme à la loi « Informatique et
libertés », ce qui permet entre-temps de
déposer de nouvelles plaintes. Les directeurs
d’école qui ont refusé le fichier ont été
lourdement sanctionnés (démis de leur
fonction) mais reconnus défenseurs des
droits de l’enfant par des instances
internationales.

Quelle que soit l’issue du combat juridique,
un résultat plus souterrain aura été
gagné, celui d’une forme d’éducation populaire
permanente, grâce à l’expérience d’une
action collective après laquelle les parents ne
se laisseront plus mener passivement,
auront conquis le désir de se prendre en
mains et de faire valoir leur propre réflexion.

A. S., J.-J. G.