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Malthus et les libertaires
José Ardillo
Article mis en ligne le 29 avril 2011
dernière modification le 29 avril 2013

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L’Essai sur le principe de population
de
Thomas R.
Malthus,
publié
en 1798,
s’est converti en un classique de la littérature économique et
sociologique. L’héritage intellectuel de Malthus est de ceux qui
dépassent le contenu précis de leurs pr
opos et viennent à faire
partie du vague
imaginaire collectif de la modernité, de la même façon que le darwinisme ou
le marxisme. On sait que Malthus fut le premier à alerter sur le danger
croissant d’un déséquilibre
entre
population et ressources dans l’évolution
des sociétés, même si d’autres avant lui avaient abordé de la question de la
surpopulation. Pour Malthus, l’accroissement de la population tend de façon
naturelle à dépasser constamment la capacité pr
oductive de la société.

En
conséquence, le principal obstacle à l’accroissement de la population est la
quantité limitée de ressources. Ceci étant, la population se maintient tant bien que mal dans les limites des ressources en raison des mauvaises habitudes
sexuelles qui règnent dans la société – le libertinage – et de la misère des
classes travailleuses.

Ces freins destructifs augmentent la mortalité et consti-
tuent un obstacle à l’accr
oissement de la population. Malthus les considérait
comme des facteurs naturels. Par la suite, à contrecœur, il accepta aussi le frein
mor
al – l’abstinence – comme possible obstacle à l’accroissement de la
population.

Godwin et Malthus

L’œuvre de Malthus était dirigée, en principe, contre les réformistes et
utopistes, comme William Godwin, qui projetaient une société basée sur un
système égalitaire et qui croyaient possible l’abolition de la misère. Malthus
pensait que la misère
était un fait inhérent à l’évolution sociale et que tenter
d’améliorer le sort des pauvres à travers des systèmes plus égalitaires pouvait
entraîner une augmentation disproportionnée de la natalité et, en consé-
quence,
une augmentation de la misère.

Chez Malthus, l’inégalité est à la fois
une des conditions naturelles de régulation de la population et une stimulation
du progrès, sans lequel se formerait une nation de parasites.

On a critiqué chez Malthus son excessive naturalisation de la fécondité
humaine, son empirisme rudimentaire quand il s’agit d’analyser l’accroisse-
ment de la population, ainsi que la simplicité avec laquelle il analyse l’augmentation de la production des aliments. En tous les cas, après des siècles de
controverses, Malthus s’est avéré être le premier prophète identifiable de l’ère
de la pénurie, même si sa prophétie pouvait prendre la forme d’une défense
cynique de la classe dominante de son époque.

Il n’est pas fortuit que le livre de Malthus soit dirigé en grande partie contre
l’œuvre de William Godwin,
Political Justice,
considéré comme un précurseur
du
socialisme libertaire. Godwin élabora un système social avec un maximum
de libertés, un minimum d’appareil gouvernemental et une institution
équitable de la propriété. Cela étant, s’il avait raison dans sa recherche de la
cause du mal social dans la nature des institutions politiques, que pouvait-il
répondre à la question de la tension existant entre population et ressources
que l’œuvre de Malthus laissait entrevoir ?

En 1820, Godwin publia sa réponse à Malthus,
Of Population : An Enquiry
Concerning the Power of Increase In the numbers of Mankind, Being an Answer to Mr. Malthus’s
Essay on that Subject.

Peut-être
pouvons-nous considérer cette
v
aste œuvre comme le premier essai de dialogue entre une utopie sociale et
ses possibilités de réalisation, étant donné certains facteurs que nous
nommerions aujourd’hui écologiques.

Un dialogue partiel,
sans doute,
puisque
les objections malthusiennes montraient plus un préjugé politique qu’une
véritable inquiétude écologique, la réponse de Godwin constituant avant tout
un démontage de cet odieux préjugé.

Il faut cependant reconnaître
que la
contestation de Godwin n’arrive pas à dépasser le cadre abstrait d’une société
politique idéale. Une société qui pourrait habiter dans un monde cultivé dans
sa totalité « 
comme un jardin »
et où les limites des ressources alimentaires se
trouveraient à un horizon très lointain.

S’il est clair que la doctrine malthusienne fut laissée de côté par les courants
les plus connus de la science économique,
l’élan optimiste de God
win servit
par contre de base à la pensée socialiste et libertaire du
XIXe siècle. La popu-
lation globale augmenta considér
ablement dur
ant ce siècle.
Malthus n’avait
pas tenu compte de l’évolution que pouvait subir le système de production des
biens et des aliments. Le niveau économique des classes travailleuses
augmenta et le rêve du Progrès, présent dans les idées de Godwin, s’empara
de la pensée révolutionnaire durant des décennies.

Au début de son ouvrage contre Malthus, Godwin écrivait :
« Si j’avançais que le globe peut nourrir vingt fois plus d’habitants qu’il n’en contient
aujourd’hui [...] il n’y aurait personne assez incrédule et d’une humeur assez
chagrine pour me contredire. Il faudrait en effet être bien borné et avoir l’esprit bien
rétréci, pour songer à mettre des bornes aux facultés physiques qu’a la terre de
fournir à l’homme des moyens de subsistance".

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