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Luttes de classes en Chine : réforme ou révolution ? Pierre Sommermeyer
Article mis en ligne le 27 avril 2011
dernière modification le 1er juillet 2017

DES EXPÉRIENCES À RADICALISER

Dans les analyses économiques , l’Empire du milieu apparaît comme l’atelier du monde, l’endroit où la majorité de la production manufacturée est réalisée. Conséquence de cette situation, c’est aussi l’endroit où se trouvent le plus d’ouvriers, de prolétaires au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire d’individus, femmes, hommes et bien sûr enfants, qui ne peuvent vivre que de la vente de leur force de travail. Compte tenu de ce que nous savons du système politique qui gère ce pays immense, les données que nous reproduisons ci-après peuvent être considérées comme non fiables à première vue. En effet les chiffres statistiques, quels qu’ils soient, comportent, partout dans le monde et plus particulièrement dans un pays à régime autoritaire, une dimension politique. Ils sont donc manipulés, manipulables en fonction des intérêts des dirigeants du moment. Pour autant, les données présentes dans cette étude résultent de collations faites dans les journaux locaux autant que dans les informations qui circulent en Chine de façon parallèle. Elles sont toutes tirées d’un rapport [1] publié en juillet 2009 par le China Labour Bulletin, une organisation basée à Hong Kong, impliquée dans la défense juridique des ouvriers en lutte et la collation d’évènements sociaux tels que les grèves [2] , les manifestations, les « sit-down » les blocages de routes et les pétitions, qu’il s’agisse de revendications visant à satisfaire des problèmes d’horaires, de salaire ou de contrats de travail.

La présentation qui en est faite dans ce rapport, reprise et traduite ci- après, peut donner l’impression de lire un catalogue répétitif d’actions dont 98 on ne connaît en fin de compte que peu de chose. Avoir extrait ces informations et seulement celles-là peut paraître arbitraire. Pourtant cela répond autant à un désir de savoir, de prendre connaissance de données brutes, et semble-t-il répétitives, qu’à prendre conscience que, dans une société autoritaire comme la Chine, une façon de lutter, une conception du militantisme ouvrier s’est fait jour, de façon souterraine, concomitante et spontanée, en opposition à un système qui vise officiellement le bonheur du peuple. Peut-on se poser la question de savoir s’il y a une dimension révolutionnaire à ce type d’actions ? Après avoir occupé le devant de la scène du discours hystérique sous la forme maoïste, le mouvement ouvrier chinois en a disparu. Il y a des continents noirs dans la pensée révolutionnaire occidentale et la Chine est l’un d’entre eux.

La révolution en Chine, mythe ou réalité ?

La réponse est donnée par le pouvoir chinois qui y répond par la sévérité, la brutalité et la répétition des sanctions appliquées aux ouvriers contestataires comme à ceux qui tentent de les défendre. Pourtant, aucun programme révolutionnaire ne semble apparaître. De là à défendre un point de vue léniniste, c’est- à-dire à affirmer que spontanément les ouvriers ne désirent rien d’autre qu’une amélioration de leurs conditions de travail, il y a un abîme. Il ne faut pas oublier que ce pays a été assommé, meurtri, décervelé par le discours révolutionnaire pendant plus de cinquante années. La presse occidentale insinue parfois que certaines grèves sont plus médiatisées que d’autres par ce qu’elles mettraient en cause des entreprises du monde capitaliste traditionnel. La lecture attentive des informations données dans le rapport oblige à une analyse plus complexe de la situation. Un certain nombre de grèves concernent d’anciennes entreprises publiques, des SOE [3] , restructurées, reprises par des intérêts privés. On peut avancer l’idée que d’une certaine manière les ouvriers de ces entreprises les considèrent comme leur ancienne propriété dont ils ont été spoliés dans des conditions illégales. À la fin de la partie du rapport rassemblant les cas exposés ci-après, les rédacteurs chinois avancent que cette pratique de la grève et de la manifestation conjointes, insérées dans le quotidien comme une manière de vivre, est en train de devenir une espèce de rampe de lancement pour autre chose. « Les ouvriers, disent les auteurs, sont pleinement conscients de leurs droits et entendent bien le manifester . »

Ce que nous pouvons déduire à partir des informations que nous avons, c’est que les capacités d’auto-organisation de la classe ouvrière chinoise sont évidentes ; la similarité des actions montre que l’information cir cule à tr a vers les entre- prises. À partir de cette constatation, la question peut se poser de savoir si la Chine est dans une période pré-révolutionnair e. Rien dans les informations ne va dans ce sens. Est-il besoin de r appeler qu’il y a au moins tr ois conditions à une révolution ? Il faut qu’il y ait jonction entre la population et les ouvriers en grève ; ce qui, pour ce que l’on sait, n’est pas le cas en Chine, les ouvriers étant pour la grande majorité des « étrangers » de l’intérieur. D’autre part il faut l’existence ou la menace d’une crise économique entraînant une crise des subsistances ; or la possibilité de l’hyper- consommation, même si elle est hors de prix pour le moment, existe et fonctionne comme partout dans le monde. Enfin, condition indispensable, la dilution du pouvoir chinois n’est pas à l’ordre du jour.

Faut-il rappeler que, sans la fuite du gouvernement de Thiers, pas de Commune de Paris, sans l’évanouissement du pouvoir tsariste, pas de Révolution russe, sans révolte de Franco et de ses généraux, pas de Révolution espagnole [4] ? La question qui se pose aujourd’hui est la même en Chine que dans le reste du monde : qu’en est-il de la Révolution ?

Atelier du monde ou laboratoire ?

Aujourd’hui, la crise aidant, l’importance économique de la Chine va croissant. La production devient de plus en plus sophistiquée. C’est ce qui explique la tendance à un début de fermeture du marché chinois aux investissements industriels occidentaux. Les groupes dirigeants économiques chinois, dont la plupart ont été formés en Occident, ne veulent plus subir ce type de concurrence. Cette production complexe implique une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée qui réclame une augmentation, relative certes mais continue, des salaires, que les entreprises sont obligées de satisfaire, les travailleurs migrants étant particulièrement volatiles. D’autre part, le pouvoir central se rend bien compte que les campagnes, qui forment la majorité du pays, aspirent à un mode de vie de plus en plus similaire à celui des villes, influencées qu’elles sont par le va-et-vient des mingongs, les ouvriers immigrés de l’intérieur.

Il faut donc diriger la production consommable vers l’intérieur, limiter l’exportation qui devient de plus en plus onéreuse du fait de la réévaluation du yuan. Toutes ces choses rendent aussi « l’atelier du monde » de moins en moins intéressant pour le capitalisme occidental. Toutes ces choses contribuent aussi à exacerber les relations sociales et avivent les luttes de classe. C’est ce dont témoigne ce qui suit. Les causes premières des revendications ouvrières Pendant de nombreuses années, les mingongs venant des campagnes ont été la colonne vertébrale de la force de travail chinoise. On estime à 130 millions le nombre de travailleurs migrants employés dans les villes en Chine. Si on y ajoute ceux qui travaillent à proximité de leur foyer dans les campagnes, ce nombre peut s’élever à plus de 200 millions.

Ces ouvriers souffrent de discrimination institutionnalisée et étendue, conséquence de l’enregistrement de leur domiciliation à la campagne (hukou) ; ils travaillent de longues heures souvent dans des conditions dangereuses pour des salaires misérables et sont en général les premiers à être licenciés dès les premières difficultés économiques. Leurs revendications sont dans une large mesure évidentes et faciles à satisfaire. Plus d’un tiers des cas sont en relation avec le viol des droits légaux, comme le non-paiement des salaires, des cotisations sociales ordinaires ou des heures supplémentaires, ainsi que le refus de payer les indemnités imposées par la loi en cas de fin de contrat de travail. Ces cas sont regroupés sous le terme de « protection des droits ». Dans un autre tiers des cas examinés dans ce rapport, les ouvriers n’ont pas recherché l’application de leurs droits, mais ils ont demandé des salaires plus élevés, des indemnités de licenciements augmentées, un temps de travail plus court, de meilleures protections sociales et des réductions de charge de travail. D’autres conflits sont apparus dans le cadre des changements proposés dans les conditions d’emploi, les changements arbitraires des conditions de travail, ainsi 100 que les allocations de repas ou de logement. Ces conflits concernaient par ailleurs aussi des requêtes faites au gouvernement à propos de comportements managériaux inadéquats au cours de restructurations de SOE.

Bien sûr, beaucoup de ces conflits impliquaient à la fois des violations des droits légaux et des intérêts économiques de base, et leur résolution était considérée comme aussi importante quelle que soit leur nature par les travailleurs eux-mêmes. Les deux années dont ce rapport rend compte ont été caractérisées par les difficultés économiques rencontrées par nombre de petites et moyennes entreprises manufacturières, particulièrement celles qui sont situées dans la région côtière du sud-est et qui, dépendant de l’exportation, travaillent avec des petites marges. En 2007 l’augmentation des coûts des matières premières, des carburants et des transports, les problèmes monétaires, la réévaluation du yuan, la politique des changes plus contrôlée et la modification du taux des taxes à l’exportation créèrent dans beaucoup d’entreprises de sérieux problèmes de liquidités. Des milliers d’entreprises fermèrent, laissant sur le pavé des ouvriers avec des mois de salaires impayés et sans compensation aucune. Dans la deuxième moitié de 2008, les marchés exportateurs subirent les contrecoups de la crise mondiale, avec encor e plus d’usines fermées et des millions d’ouvriers à la rue. Au cœur de la zone manufacturière de la Chine, le Dongguan, il y eut en septembre et octobre 117 cas d’usines fermées et de patrons en fuite, laissant 20 000 ouvriers sans paye.

7. Elles durent 15 jours et sont l’occasion pour les migrants de retourner chez eux.

Fermetures d’usines et disparition des patrons

Douze des conflits exposés dans ce rapport sont directement liés aux difficultés rencontrées par les entreprises concernées et furent déclenchés par la fermeture d’usines et par la disparition des patrons. En voici trois exemples :

— Le 9 novembre 2007, plusieurs centaines d’ouvriers de l’usine Nicewell Ceramics [5] à Guangzhou bloquèrent la route près des locaux du gouvernement pour protester contre des arriérés de salaires non payés de plus de deux millions de yuans. Deux jours plus tôt, le président de cette compagnie basée à Taïwan avait informé le gouvernement qu’il a v ait été forcé par des « gangsters » à fuir l’usine inactive.

— Le 13 février 2008, plus de deux cent cinquante ouvriers de l’usine de chaussures Lichang Shoe Industries [6] à Panyu bloquèrent le pont Luoxi après que l’usine eut été fermée et que le manager eut disparu, laissant les salaires et les cotisations sociales impayés. D’après les ouvriers, le patron leur avait menti en leur disant de revenir au travail après les fêtes chinoises du Nouvel An, ce qu’ils firent, découvrant alors qu’il était parti avec la caisse.

— Plus de mille ouvriers de l’usine de textiles Chun yu Textiles [7] à Wujiang City, province de Jiangsu, bloquèrent la voie express le 27 octobre 2008 après que leur manager eut fui à l’étranger, laissant les employés avec quatre mois de salaires impayés. La compagnie était criblée de dettes mais, au lieu de se déclarer en banqueroute de façon légale, ce qui aurait donné des possibilités aux ouvriers de toucher leur ar gent, le patron avait préféré fuir.

Dans presque tous ces cas, le gouvernement local en char ge de récupérer les arriérés n’est en mesure de verser que la moitié des salaires dus. Beaucoup d’ouvriers se sont résignés, faute de choix, à accepter les offres gouvernementales même s’ils espéraient plus. 300 ouvriers de l’usine de valises Jianrong organisèrent une protestation le 19 décembre 2008 après que le gouvernement eut offert 60 % des sommes dues après la disparition du manager.

Violations de la loi

Dans quatorze autres cas, la protestation des travailleurs a été déclenchée par les tentatives des managers de résister aux problèmes économiques par la violation des droits et des intérêts des ouvriers. Les tactiques habituelles consistent à réduire les salair es ou à virer des emplo yés pour en embaucher de nouveaux à un tarif moindre, à ne pas payer les indemnités de licenciement (ou moins que le montant légal), ou à forcer des employés à démissionner.

— Le 4 janvier 2007, les ouvriers de l’usine italienne DeCoro à Shenzen, spécialisée dans les meubles en cuir, organisèrent plusieurs manifestations après que la compagnie eut annoncé des plans de délocalisation. Le management autorisait les ouvriers à r ester dans le seul cas où ils acceptaient une baisse de 20 % de leur salaire. L ’usine a v ait été le siège de nombre de manifestations dans le passé, comme en novembre 2005 quand les ouvriers se mir ent en grève suite aux brutalités dont avaient été victimes leurs représentants qui demandaient aux managers italiens de fair e un audit à propos de leurs salaires.

— Plus de cent ouvriers de l’unité de Dongguan de la laiterie Mengniu envoyèrent au bureau local du travail une pétition après que leur management les eut obligés à écrire une lettre de démission et à accepter 1000 yuans en guise de dédommagement. Les pétitionnaires déclarèrent que ces 1000 yuans n’étaient qu’une part des salaires qui leur étaient dus et rien d’autre. Ces tr a v ailleurs avaient été débarqués après une chute brutale des ventes due aux conséquences du scandale du lait trafiqué qui a frappé la Chine en 2008. Décisions arbitraires concernant les salaires Sur les cent cas, dix-sept au moins impliquaient la retenue des salaires par les employeurs, l’absence de consultation sur les modifications des échelles de salaire et des réductions de rémunération, un accroissement des charges de travail et des modifications des horaires. Dans huit cas, les employeurs retinrent les salaires alors que la production allait relativement bien. Les employeurs pouvaient s’en tirer parce que les gouvernements locaux refusaient ou étaient incapables d’appliquer la loi.

— Le 26 juillet 2007, plus de deux cents ouvriers de Heishan County Highway Management and Maintenance Co., dans Liaoning, organisèrent un sit-in devant les bureaux du gouvernement du comté. Ils déclaraient que la compagnie leur devait quatorze mois de salaire et était en retard pour la même durée pour les cotisations sociales spéciales pour les travailleurs de Fermin Rocker 102 la route alors que les managers et les cadres administratifs avaient été payés. Les ouvriers furent informés par le gouvernement que les subventions pour ces projets routiers avaient déjà été versées à leur compagnie.

— Plusieurs ouvriers de l’imprimerie Huayang de Shenzhen organisèrent une grève et un blocage de route sur la Nationale 107 le 30 octobre 2007, déclarant que la compagnie ne payait jamais les salaires en temps et en heures. L’entreprise était obligée contractuellement de payer les salaires le 7 de chaque mois, mais le jour de paye avait glissé au 19, puis au 20 et enfin au 30 du mois.

— Le 11 novembre 2008, plus de quarante ouvriers d’une usine artisanale à Guangzhou organisèrent un blocage de route après que leur patron eut pris deux mois de retard dans le paiement des salaires. Le bureau local du travail déclara qu’il ne pouvait y avoir d’arbitrage rendu car la compagnie œuvrait sans autorisation légale valide. Quand les directions changent arbitrairement les salaires des employés sans consultation préalable, les ouvriers n’ont souvent d’autres options que d’organiser des manifestations publiques dans l’espoir de forcer le gouvernement à intervenir en leur faveur :

— Un millier d’ouvriers de la compagnie Hailiang Storage Products [8] organisèrent une grève et bloquèrent un axe routier principal à Shenzhen les 19 et 20 décembre 2007. La manifestation fut provoquée par une décision de la compagnie de passer d’un système des 3x8 à deux équipes de 12 heures chacune à partir du 1er janvier 2008. Les ouvriers dirent que sous le vieux système le nombre d’heures supplémentaires mensuelles s’élevait à 36 et que les heures du week-end étaient payées double, mais avec ce nouveau système les heures supplémentaires passaient à cinquante avec peu de possibilité d’avoir des heures de week-end payées double.

— Les 6 et 7 août, des milliers de travailleurs de l’usine Casio Electronics de Guangzhou démarrèrent une grève et manifestèrent pour protester contre l’abolition par le management d’un système de primes par la mise en place d’une nouvelle échelle des salaires. La direction argumenta en disant que la base du nouveau système était alignée sur le salaire minimum, mais les ouvriers déclarèrent qu’en conséquence d’une série d’arrêts de la production dus à un manque de commandes, le montant de leur salaire mensuel réel pourr ait se retrouver en dessous du minimum légal.

— À partir du 19 février, une dizaine de milliers d’ouvriers de l’usine Feihuang Electronics à Shenzhen lancèrent une série de grèves et de blocage de routes pour protester contre la tendance du management à réduire les salaires et à augmenter les heures de travail, à une période où l’augmentation des prix de la nourriture et du logement était particulièrement rapide. Selon un rapport en provenance de Hong-Kong, lorsque les commandes affluaient, les ouvriers pouvaient êtr e obligés de travailler plus de onze heures par jour et trente jours par mois. Avec les heures supplémentaires obligatoires, leur salaire pouvait atteindre 1800 yuans. En 2007, il n’avait pas dépassé 1200 yuans. Pendant l’été la colère des ouvriers fut exacerbée par les coupures répétées de courant. Comme les généra-teurs de secours de l’usine n’alimentaient que les machines et non la climatisation, les ouvriers furent obligés de supporter la chaleur extrême de cet été-là, sans air conditionné ni ventilateurs.

Contagions sociales des luttes

Quelques-unes de ces actions ont suscité d’autres protestations dans des usines du voisinage ou d’autres succursales. Le jour suivant la grève de l’usine Feihuang Electronics, les ouvriers de l’usine voisine posèrent leurs outils et bloquèrent les routes de l’endroit. Deux jours plus tard, les ouvriers de l’usine de chaussures Quanta Qhoes firent grève pour des heures supplémentaires non payées, et les ouvriers d’une succursale les rejoignirent.

— Le 12 mars 2008, les ouvriers de trois usines textiles à Shijiazhuang se mirent en grève pour demander des augmentations de salaire. Ils furent vite rejoints par des travailleurs de quatre autres usines. Six jours plus tard, plusieurs centaines d’ouvriers d’une cimenterie organisèrent un blocage de rue.

— Le 1 er octobre, pour protester contre la fermeture de leur usine de textile et d’un chantier de grues, plus d’un millier d’ouvriers bloquèrent à leur tour les rues, demandant le paiement d’arriérés de salaires. Travailler dans des usines du même groupe facilite pour les ouvriers la mise en place d’un front commun. Au printemps 2007, une vague de grèves s’est propagée dans la zone portuaire de Shenzhen. Le 24 mars, une grève éclata dans une compagnie de containers dans la partie orientale. Le 30 mars, elle fut suivie par une autre dans la même zone. Dans les deux cas les grévistes gagnèrent, le management fut obligé de faire des concessions.

Le 7 avril, trois cents conducteurs de grues déclenchèrent une grève à leur tour. Selon une étude, les grèves de mars développèrent la confiance des ouvriers du terminal Yanytian et les amenèrent à lancer leur propre mouvement de grève. Les chercheurs suggèrent aussi que le fait que le mouvement ait été rejoint par des grutiers, ouvriers qualifiés et relativement bien payés, a renforcé leurs chances de succès. Le 1 er mai, plus de deux cents ouvriers comprenant des grutiers et des conducteurs de machines, dans un autre terminal, déclenchèrent une grève et purent récupérer des heures supplémentaires datant de quatre ans. La grève des ouvriers du dock Yantian fut aussi remarquable parce que les travailleurs demandèrent le droit de former leur propre syndicat, en insistant sur le fait qu’un syndicat ne peut être créé que par le vote des gens concernés. La demande des dockers trouva un écho le 23 août 2007 dans une grève déclenchée à la centrale électrique Yunnei Power à Chengdu dans la province du Sichuan, lorsque plusieurs milliers d’ouvriers en colère, face à l’indifférence montrée par le syndicat de la compagnie envers les droits des travailleurs, demandèrent que le gouvernement local les autorise à former leurs propres sections et à élire leurs leaders et représentants syndicaux. Il est important de noter que dans ces deux cas les travailleurs ne revendiquèrent pas le droit de créer un syndicat indépendant ; ils demandaient juste le droit de mettre en place des branches du syndicat officiel, mais avec des instances démocratiquement élues par la base. La loi sur les contrats de travail Au moins onze des conflits examinés dans ce rapport sont en relation avec des tentatives de contourner la loi sur les contrats de travail. Par exemple :

— Environ deux mille employés de l’usine Yuansheng Light Industrial [9] ,à Shenzhen, déclenchèrent une grève de quatre jours le 11 décembre 2007, protestant contre les pressions de la compagnie afin qu’ils signent de nouveaux contrats de travail qui les obligeraient à accepter le règlement en une seule fois de tous les arriérés de salaires. Le nouveau contrat permettait aussi au management de transférer arbitrairement les ouvriers d’un travail à un autre et de ne pas payer les heures supplémentaires du samedi et des jours de vacances officiels.

— Le 10 janvier 2008 plus de deux cents ouvriers de Fusen Wood Industry [10] firent un sit-in au Parc Tianfu à Chengdu. Les grévistes disaient que leur nouveau contrat ne prenait pas en compte les années précédentes de service dans l’entreprise et qu’une caution non remboursable de 645 yuans était exigée des nouveaux embauchés, en contravention de l’article 9 de la loi qui interdit à l’employeur d’exiger des travailleurs une garantie sous quelque prétexte que ce soit.

— Plus de mille cinq cents ouvriers de la compagnie Boluo County Forestry Equipment [11] à Huizhou, Guangdong, démarrèrent une grève et pendant une semaine, du 5 au 11 mars 2008, occupèrent les rues. Avant les vacances de printemps (fêtes du nouvel an) le management avait forcé les employés, en les menaçant de mise à pied, à signer des contrats en blanc. Ces derniers se révélèrent contenir en fait plusieurs clauses qui contredisaient la LCL.

Privatisations et restructurations d’usines

Aujourd’hui encore, des SOE continuent à être vendues à des investisseurs privés, et les gouvernements locaux semblent n’a voir rien appris de la débâcle des années soixante-dix.

— Du 16 avril au 20 avril, les ouvriers de l’aciérie Lueyang Steel à Shaanxi se mirent en grève et bloquèrent les routes. L’usine avait été privatisée en 2004 mais les ouvriers étaient restés très en colère en raison de la façon dont cela s’était fait : le manque de transparence dans l’évaluation de l’entreprise et de ses avoirs avait eu pour conséquence une sous-évaluation importante de sa valeur. Après la restructuration, les salaires ouvriers a v aient baissé et plusieurs « retraités d’entreprise » avaient perdu leurs allocations parce que le management n’avait pas continué à payer les cotisations patronales.

— Plus de trois mile ouvriers de l’usine géante Shuangma Cement de Mianyang Sichuan organisèrent une grève de trois semaines, du 29 juin au 20 juillet 2007, pour protester contre le montant financier des indemnités de licenciement annoncées par la direction après la restructuration. Une année d’ancienneté correspondait à 1 380 yuans. De plus, les ouvriers restant dans l’entreprise devaient signer un contrat de travail de trois ans sans garantie de renouvellement de la part du nouveau propriétaire, le plus grand cimentier mondial, Lafarge.

— Plusieurs milliers d’ouvriers envahirent les bureaux de l’entreprise Chengdu’s Yunnei Power pour protester contre le montant de son offre de prime de licenciement (1 800 yuans par année de service). L’entreprise, à l’origine une SOE, qui fabriquait des machines à moteur diesel, avait fusionné avec une autre entreprise de Kunming dans le Yunnan. La compagnie déclara qu’elle voulait revendre le site de l’ancienne usine et délocaliser. Au mois d’août elle annonçait des licenciements massifs, la prime afférente étant calculée sur le nombre d’années travaillées chez l’employeur actuel sans tenir compte des années passées chez le précédent.

Corruption des managers

Les exemples ci-après montrent que la demande d’enquêtes sur des cas de corruption soupçonnés est aussi importante pour les ouvriers que leurs revendications d’augmentation de salaire.

— Un millier d’ouvriers de l’usine de textile Yntaï à Changsa dans le Hunan organisèrent un sit-in de deux jours à l’entrée principale de l’établissement, le 25 et le 27 juillet 2007, pour protester contre la possible corruption de la direction. Les travailleurs déclaraient qu’après que l’ancienne SOE eut fait faillite et fut devenue une entreprise privée vers le milieu des années 1990, l’ancien directeur était devenu le pdg de la nouvelle entité et contrôlait avec la direction les trois quarts du capital. En une douzaine d’années, plus de mille deux cents ouvriers avaient été virés ou mis à la retraite. Le salaire mensuel pour ceux qui restaient était seulement de 600 à 800 yuans. Les ouvriers avaient envoyé des pétitions répétées au gouvernement, mais sans succès.
— Entre le 14 et le 16 septembre 2007, jusqu’à 10 000 ouvriers du Luoyang White Horse Group (textiles et vêtements) dans le Henan organisèrent des grèves et des blocages de routes après que la compagnie eut annoncé le montant de 1220 yuans pour chaque année de service comme primes de licenciement. Si cette revendication était la raison officielle, la colère des ouvriers était en fait due à la corruption de l’encadrement.

Grèves, blocages, sit-in, pétitions et violences

Le droit de grève a disparu de la constitution chinoise en 1982, dix ans avant la mise en place d’une « économie socialiste de marché ». Cette disparition était justifiée par le fait qu’il n’était plus nécessaire dans le système socialiste chinois. Depuis lors le statut légal de la grève en Chine relève d’une zone grise, elle n’est ni légale ni illégale. Malgré cela elle fait partie de la vie de toutes les entreprises chinoises, que ce soit des usines, des bur eaux ou des ateliers, et elle est de venue une méthode utilisée de plus en plus pour imposer des concessions aux directions. Le blocage des artères principales des villes, routes, ponts, voies de chemin de fer, est une autr e tactique favorite des grévistes.

Dix-sept des cent cas étudiés dans ce rapport montrent que le blocage fut utilisé après a voir déclenché la grève, afin de donner une plus grande résonance publique à l’action et obliger ainsi le gouvernement à en prendr e bonne note. Dans vingt-six autres cas, le blocage de routes a été la forme première de la protestation, la plupart des entreprises concernées a y ant fait faillite ou ayant fermé. Des formes d’actions connues sous le nom de sit-down ou sit-in à la porte des usines ou dans des par cs publics sont relevées dans 18 cas, incluant six occasions où elles furent utilisées en plus de la grève. 106 La pétition collective ou l’envoi de délé- gués auprès des gouvernements locaux a été pendant la période étudiée une forme d’action populaire, 21 cas en témoignent. Sept pétitions concernaient les problèmes causés par les restructurations des SOE. Seuls cinq des cas de ce rapport attestent de dommages matériels causés aux entreprises, d’attaques menées contre des représentants des patrons ou enfin de bagarres avec des personnels de sécurité appelés par la direction. Ces explosions se produisirent à des moments où la colère et l’insatisfaction des grévistes avaient été trop longtemps contenues.

— Plus de huit cents mineurs de Tanjiashan, à Xiangtan dans le Hunan, or ganisèrent une grève le 8 août 2007 pour toucher les restes des primes de licenciement et des cotisations sociales. À l’aube du 15 août, deux cents gardes de sécurité embauchés pour l’occasion utilisèrent la force afin de casser la grève. Les mineurs ripostèrent et dans la mêlée qui s’ensuivit au moins un mineur et un garde trouvèrent la mort. Plus de vingt autres personnes furent blessées et deux voitures de police furent détruites par les ouvriers en colère.

— Le 14 janvier 2008, un ouvrier avait été blessé par un garde de sécurité dans la cantine de l’entreprise Maersk Container Industry à Dongguan. Plusieurs centaines de travailleurs ripostèrent en lançant des briques à travers les fenêtres des bureaux et brûlèrent les locaux administratifs et les dortoirs des gardes. Quelques ouvriers déclarèrent que cela faisait des années qu’ils étaient en colère du fait à la fois d’une augmentation constante des charges de travail, de la baisse constante des salaires et des provocations répétées des gardes de sécurité.

Documents présentés par Pierre Sommermeye