Rappelons-nous, il n’y a pas si longtemps encore, l’emploi de
l’expression « grève générale » était l’apanage des militants les
plus radicaux : dans le contexte de sinistrose ambiante, il
s’agissait en quelque sorte d’un gros mot (comme celui de luttes des
classes, d’exploités par exemple), revenant comme une incantation, un
cri de colère aussi. Suffisamment gros toutefois pour mettre mal à l’aise
les hiérarchies syndicales : que l’on se souvienne en effet du bel
« accueil » fait aux « leaders » nationaux descendus à Marseille prendre
la température de la base lors d’une des multiples journées nationales
d’action sur les retraites, en 2005.
Depuis, signe des temps, la grève générale réinvestit tranquillement
la rue, agitant quelque peu ces défilés qui ne ressemblent plus qu’à de
banales promenades de santé, tellement ils sont dépourvus de
perspectives.
Dernier exemple en date, jeudi 29 janvier 2009, dans les rues
marseillaises, cette réflexion plus d’une fois entendue parmi les
manifestants et pas les plus radicaux pour le coup : « Des journées
d’action cela ne sert à rien. Ce qu’il faut, c’est bloquer le pays par la
grève générale. Économiquement, il n’y a que ça qui leur fera peur. »
L’actualité de la grève générale c’est également cette lame de fond
de protestation sociale qui balaya la Guadeloupe et l’ensemble de
l’outre mer colonisée.
En publiant « Déposséder les possédants » La grève générale aux « temps
héroïques » du syndicalisme révolutionnaire (1895-1906) [1], les éditions
Agone ont, une fois encore, fait preuve d’une belle perspicacité en
permettant, au travers de textes rassemblés et commentés par Miguel
Chueca, de « poursuivre un débat
inachevé » qui aujourd’hui prend une
résonance toute particulière.
Bien qu’historiquement datés, ces
textes sont en effet d’une actualité
surprenante dans la mesure où leur
pertinence fait sens dans un contexte
actuel marqué par l’impasse dans
laquelle se sont enfermés organisations
syndicales (surtout préoccupées d’apparaître
comme des interlocuteurs responsables
et des partenaires sociaux) et partis
politiques (tous enclins à la gouvernance,
à plus ou moins brève échéance).
Bien sûr, les esprits chagrins ne manqueront
pas de nous faire remarquer que
l’environnement social, politique et
économique de notre époque n’est plus
le même, marquécomme il l’est du sceau
indélébile d’un réformisme de très basse
intensité. Et pourtant, les conditions de
vie globales ont-elles tant changé que
cela ? Certes le capitalisme a vu sa nature
se transformer, passant d’une structure
industrielle à une structure opaque,
spéculative et financière (avec les effets
que l’on sait depuis l’explosion de la bulle
immobilière de 2007) mais c’est toujours
dans la même direction que nous
sommes conduits : le mur avec son
cortège d’appauvrissement généralisé, de
désastres environnementaux et de
domination chaque jour accrue !
Il apparaît donc indispensable de se
replonger dans ces textes pour retrouver
dans ces idées et concepts fécondés dès
la fin du XIXe siècle des raisons non
seulement d’espérer mais surtout de se
convaincre que la domination, quel qu’en
soit le degré, n’est jamais un horizon
indépassable.
Une idée essentiellement prolétarienne
La notion de grève générale est une idée
essentiellement prolétarienne, naissant
de la lutte elle-même et de la pratique
ouvrière, « sans blason idéologique »,
comme le soulignait Emile Pouget.
« La grève générale n’est point née de
réflexions profondes sur la philosophie
de l’histoire : elle est issue de la
pratique », ajoutait Georges Sorel dans sa
préface à la brochure L’avenir socialiste des
syndicats.