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Eduardo Colombo
La Révolution. Un concept soluble dans la postmodernité
Pour continuer le débat
Article mis en ligne le 29 mars 2010
dernière modification le 29 novembre 2010

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Ah ! je l’attends, je l’attends !
L’attendrai-je encore longtemps ?

Eugène Pottier (1870)

Pour continuer le débat [1] autour de « la querelle de la
postmodernité » et son rejeton le postanarchisme, nous
voudrions approfondir certaines oppositions fortes qui
surgissent entre la pensée post-structuraliste et la théorisation
anarchiste – ou toute autre théorie révolutionnaire – à propos d’un
changement volontariste de la société.
Nous avons affirmé que toute idée de révolution suppose que le
changement radical de société attendu sera un changement
consciemment voulu et orienté par des valeurs et par une finalité. Il
exige une action instrumentale, une intentionnalité humaine. Donc,
même dans un terrain politique nettoyé par une critique « sans
scrupules », il doit rester un concept fondamental et nécessaire à toute
philosophie politique et à toute théorie de l’action : un sujet agent causal
des actions humaines [2].

Les positions post-structuralistes critiquent, avec des modalités
diverses, la capacité intentionnelle de l’agent humain de l’action sociale.
Les appellations postmoderne ou poststructuraliste – et
dernièrement postanarchisme – ne sont pas très précises mais elles
désignent une constellation de positions théoriques de penseurs
français – Althusser, Lacan, Deleuze, Foucault – revisitées à partir de
l’accueil donné à ces théories par des intellectuels américains, et en
général en dehors de France. Ces positions ont été plus ou moins
unifiées sous la dénomination de French Theory.

Michel Foucault, interrogé en 1983 sur
le « poststructuralisme », avait répondu :
« autant je vois bien que derrière ce qu’on
a appelé le structuralisme il y avait un
certain problème qui était en gros celui
du sujet et de la refonte du sujet, autant
je ne vois pas, chez ceux qu’on appelle
les postmodernes et les poststructuralistes,
quel est le type de problème qui
leur serait commun [3]. »

On pourrait dire, je pense, que ce qui
maintient ensemble le champ des
postmodernes sont les réponses données
par ces auteurs à la question du sujet : le
sujet décentré, élidé ou assujetti. Les
différents avatars de ses réponses
amènent à la dissolution du concept de
révolution et logiquement à son
abandon.
Dans cette perspective, nous signalerons
trois caractères de l’idéologie dite
« postmoderne ».

L’événement.

D’abord considérons
l’importance qu’acquiert l’événement. Il
faut donner « un statut et un sens nouveaux
à la vieille notion d’événement ».
L’histoire n’est plus le temps et le passé,
mais « le changement et l’événement » [4].
Foucault nous explique que si traditionnellement
le travail de l’historien,
c’était de rechercher les causes et le sens,
sa fonction actuelle est de faire apparaître
l’événement. « Les causes et le sens
étaient cachés essentiellement. L’événement,
lui, était essentiellement visible [5]. »
Deleuze pense que l’événement arrive
en nous et il « se retrouve incorporel et
manifeste en nous la splendeur neutre qu’il possède en soi comme impersonnel
et pré-individuel » [6]. Et, ajoute Deleuze, il
y a un on qui n’est pas banal. « C’est l’on
des singularités impersonnelles et préindividuelles,
l’on de l’événement pur où
il meurt comme il pleut. La splendeur du
on, c’est celle de l’événement même7. »

L’histoire, le changement, le passé, ce
qui est à venir, c’est essentiellement le
produit d’une série ininterrompue
d’actions humaines. On peut décrire ces
séries sous la forme de ce qui arrive, un
événement, un fait, un comportement
corporel, physique. Ou sous la forme de
ce qui les fait arriver, les raisons, les motifs,
les intentions, dans un monde de
significations, en un mot, prendre en
considération le sens que donnent les
hommes à leur comportement. Décrire
les processus sociaux en termes de
mouvements et d’événements dont les
humains seront seulement le siège, ou les
décrire en termes d’actions n’est pas un
choix trivial.

Penser en termes d’une théorie de
l’action sollicite un schéma conceptuel
qui relie l’action à son agent. L’état
mental du sujet agent et l’action
accomplie sont intégrés dans une structure
intentionnelle. Le contenu propositionnel
– les désirs et les croyances – fait
partie de la structure de l’action.
L’événement, « ce qui arrive », est une
notion éminemment impersonnelle, elle
occulte ou efface la question de l’agent,
c’est-à-dire la question du sujet comme
agent causal.

Lire la suite

Notes :

[1Débat initié dans le numéro 17 de Réfractions et continué dans le numéro 20

[2Cf. Colombo, Eduardo : « L’anarchisme et la querelle de la postmodernité. »
Réfractions, N° 20, Paris, mai 2008, p. 61.

[3Foucault, Michel. Dits et écrits, 1983. Gallimard, Paris, 2001.Vol. II, p. 1266

[4Foucault, Michel : Dits et écrits, 1972. Op. cit.,Vol. I, p. 1141.

[5Ibid., p. 1145.

[6Deleuze, Gilles : Logique du sens. Les éditions de minuit, Paris, 1969, p. 174.
7 Ibid., p. 178.


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