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Enrico Baj, Sous l’art, l’or, ACL, 2002, 164 p., 11 euros
Article mis en ligne le 29 juin 2005
dernière modification le 1er juillet 2005

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Depuis le 16 juin dernier Enrico Baj ne persifle plus...

ainsi va la vie. Pour parler de cet artiste milanais hors du commun, qui se définissait lui-même dans un éclat de rire comme « libertaire anarcho-pataphysicien », Jean-Manuel Traimond a rassemblé et traduit un certain nombre de textes extraits de recueils écrits par Baj (Cose fatti et persone, 1988 ; Cose dell’altro mondo, 1990, tous deux parus chez Eléuthera) et du livre d’entretien Conversazioni con Enrico Baj avec Luciano Caprile, toujours chez Eléuthera en 1997.

Le choix des textes, quoique datés pour certains d’entre eux, s’avère astucieux et permet de mieux apprécier la place tout à la fois singulière et irritante d’un artiste comme Baj dans l’histoire de la création artistique contemporaine.

Baj, l’anartiste serait-on même tenté
de dire, tant il sut « par une magie inexplicable à tout autre qu’aux anarchistes, partir du monstrueux et de la matière pour arriver au chaleureux et à l’humain ». Rien de bien étonnant donc à ce que nous partagions ses désirs et désespoirs, riions avec lui de ses généraux décorés de médailles achetées au kilo, nous indignions à ses côtés lorsque la censure le frappa (quelle idée aussi de vernir les Funérailles de l’anarchiste Pinelli le jour même de l’assassinat du commissaire de police qui le suicida !) et lui confisqua en 1961 le Grand Tableau antifasciste, fait à Milan avec Dova, Crippa, Recalcati, Erro et Lebel, un tableau demeuré sous séquestre vingt-cinq années durant !
En 1963, à la biennale de Sao Paulo, ses tableaux de généraux sont lacérés et défigurés par des fascistes nostalgiques de la gloire militaire ; son Berluskaiser, représentant la prise du pouvoir au moyen de la télévision et du football, exposé en 1994 ne le sera plus jamais en Italie.
L’intérêt du recueil de textes Sous l’art, l’or tient dans la critique féroce contre la marchandisation de l’art, une critique d’autant plus forte qu’elle est exercée de l’intérieur par un artiste qui a vécu la transformation de l’art en un produit de consommation et de spéculation continue : c’est l’époque de la vacuité érigée en valeur artistique, du « acheter vaut mieux que penser », du star-system dont Warhol fut le parangon. Racontée par Baj, l’aventure des boîtes de bière est particulièrement édifiante.

De Kooning ayant dit du célèbre marchand new-yorkais Léo Castelli : « Donnez-lui deux boîtes vides de bière et il vous les vendra », Jaspers Johns le prit au mot en fondant dans le bronze deux boîtes vides de Ballantine ale qu’il confia à Castelli. Celui-ci les vendit immédiatement 970 dollars au collectionneur Scull, lequel les revendit en 1973 aux enchères la bagatelle de... 90 000 dollars !
Cette histoire pourrait prêter à sourire si elle n’était symbolique de l’emprise de l’argent sur la création, dont on peut dater l’origine en 1964 lorsque Robert Rauschenberg enleva le grand prix à la biennale de Venise. Les rencontres de Baj avec tous les grands artistes de son époque nous valent des commentaires malicieux (« On a l’impression que les expositions ne servent pas à vendre des tableaux mais à montrer ce qui a été vendu »), des doutes (sur l’œuvre de Rauschenberg par exemple « qui semble davantage voyager en avion que de voler avec son imagination »).

Pour Baj, le moteur de son inspiration n’était ni l’appât du gain, ni la gloire factice mais bien « l’esprit libertaire toujours présent dans les pulsions initiales de l’artiste. Pourquoi s’engage-t-on dans cette activité là ? Pour la liberté de l’invention, l’imagination créatrice, l’adhésion à son temps ».

« L’anarchisme comme la meilleure piste de lancement vers l’implosion créative », déclarait Baj qui considérait, par ailleurs, Francis Picabia comme le grand libertaire de l’art moderne : à cet égard le chapitre « L’aventure Picabia » est un bel hommage à cet artiste « souvent mal compris comme le sont ceux qui passent leur temps à sortir du cadre ». Une réflexion de Jean-Jacques Lebel qui n’aurait certainement pas déplu à Enrico Baj.

Bernard Hennequin




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