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La mort de Bruno Vayr-Piova
Article mis en ligne le 6 mai 2010
dernière modification le 22 février 2019

Bruno Vayr-Piova (né en 1940) a été tué le samedi 10 avril 2010 à L’Herm (Ariège) par un homme qu’il hébergeait depuis plusieurs mois et qui souffrait de troubles psychiatriques.

Bruno avait fait partie des étudiants proches de l’Internationale situationniste qui s’étaient fait élire en 1966 au bureau de l’AFGES (Association fédératives générale des étudiants de Strasbourg, affiliée à l’UNEF) et avaient publié la brochure De la misère en milieu étudiant (considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier). La brochure avait été distribuée en octobre 1966 lors de la rentrée solennelle de l’Université de Strasbourg.

Vice-président de l’ AFGES, Vayr-Piova était aussi président de la section locale de la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF) qui décidait en janvier 1967 la fermeture du Bureau d’aide psychologique universitaire (BAPU) considéré comme "la réalisation en milieu étudiant du contrôle para-policier d’une psychiatrie répressive, dont la claire fonction est de maintenir, entre la répression directement judiciaire et l’abrutissante falsification du spectacle de masse, la passivité de toutes les catégories d’exploités, victimes du capitalisme moderne". Toute une série de démêlés juridiques a suivi cette "prise de l’AFGES", devenue le "scandale de Strasbourg". Vayr-Piova, lui, était exclu de l’Université, sanction qui fut rapportée quelques mois plus tard.

Après une "immersion" en Italie, Bruno Vayr-Piova est revenu en France où, changeant de mode d’intervention, il a créé et animé à Foix, non sans difficultés, un Centre culturel. Il s’est engagé par la suite dans une longue expérience de réinsertion sociale pour les jeunes, en prenant en charge, de 1986 à 2002, le « Cerceau », une association qui recueillait à l’Herm des jeunes entre huit et douze ans, rejetés par leur famille ou extraits du milieu familial par les DDASS de différents départements (généralement Ile-de-France ou Bretagne).

Nous publions ci-dessous des articles de presse sur le désolant "fait divers" et le témoignage de deux de ses amis. (Nous ignorons les raisons du glissement orthographique du nom Vayr-Piova - utilisé dans les années 60 - à Vair-Piova)


PRESSE

Lherm. Frappé à mort à coups de gourdin

La tranquillité de la riante vallée de l’Herm a été brisée, hier, par le ballet des véhicules de gendarmerie, suivis rapidement par la nouvelle : Bruno Vair-Piova, le propriétaire du château qui domine le village, a été tué par l’un de ses protégés, qu’il hébergeait depuis quelques mois. Au moment du drame, en fin de matinée, les deux hommes se trouvaient seuls dans l’immense bâtisse qui surplombe le petit village de L’Herm. Les secours ont été prévenus par l’agresseur lui-même, qui a passé un coup de fil à la fille de la victime. Puis, quand les enquêteurs sont arrivés, il les attendait, apparemment paisible, leur indiquant simplement : « Je l’ai tué, il est là ». Dans la maison, pas de signes d’une bagarre violente, pas de meubles renversés, mais de nombreuses traces de sang. Placé en garde-à-vue, l’auteur des coups, Jean-Jacques A..., 47 ans, originaire de Tarascon, aurait fait un récit très précis du déroulement se l’affrontement, conforté par les relevés des enquêteurs. Par contre, il n’a donné que des indications très décousues sur la nature de la dispute qui l’a opposée à la victime Il se serait même montré incohérent .Au point que, sur avis médical, les auditions ont été interrompues, et Jean-Jacques A... a été hospitalisé en psychiatrie, hier, en début de soirée.

L’enquête n’est pas terminée pour autant : dès lundi, une information judiciaire devrait être ouverte par le parquet de Foix, afin de mieux comprendre les causes du drame.

Reste que cette tragédie frappe un homme très connu en Ariège, et qui avait consacré une grande partie de sa vie à la cause de la réinsertion sociale. D’abord directeur du centre culturel de Foix, dans le courant des années 70, Bruno Vair-Piova avait imposé une marque très particulière, mariant action sociale et action culturelle. Une belle aventure, dans l’esprit d’une époque. Mais cette aventure avait connu un épilogue en demi-teinte et Bruno Vair-Piova s’était replié à L’Herm, rachetant le domaine de Castelvielh, sur les hauteurs de la commune. Là, il fondait alors un centre de réinsertion et d’aide à des adolescents en difficultés. De jeunes gens « difficiles », comme on dit, mais Bruno Vair-Piova parvenait à les tenir, et même à les faire travailler à la rénovation de Castelvielh. « C’était un homme paisible. Pas beaucoup d’autorité, mais énormément de patience », confie l’une de ses voisines de l’Herm. « Quelqu’un de bien. Toujours un mot gentil. Il me demandait toujours si j’avais besoin de quelque chose, surtout depuis que j’ai perdu mon mari. Il ne méritait pas ce qui lui est arrivé », ajoute une autre voisine.

Une fois arrivé à l’âge de la retraite, voici quelques années, Bruno Vair-Piova avait mis l’association, « Le Cerceau », en sommeil. Cependant, il n’avait rien changé à ses habitudes. Un voisin explique : « Il continuait à héberger des gens en perdition ». Jusqu’à ce qu’il décide d’abriter son agresseur d’hier.

l’agresseur interné a plusieurs reprises

Jean-Jacques A..., qui a mortellement blessé Bruno Vair-Piova, avait été interné d’office à plusieurs reprises. Sa dernière hospitalisation en date remontait d’ailleurs à l’année dernière. Mais son état s’était amélioré, puisqu’il avait retrouvé le monde extérieur. Il était hébergé depuis quelques mois par la victime, au château de l’Herm.

Publié le 11/04/2010 | Laurent Gauthey avec Anne Déro.

Source : ladepeche.fr

http://www.ladepeche.fr/article/2010/04/11/814673-Lherm-Frappe-a-mort-a-coups-de-gourdin.html


Dépêche Associated Press

TOULOUSE, 13 avr 2010 (AP)
Le parquet de Foix a annoncé mardi après-midi l’ouverture d’une information judiciaire pour "homicide volontaire" après le meurtre samedi à L’Herm, à dix kilomètres de la préfecture de l’Ariège, d’un retraité de 70 ans. Le meurtrier présumé, un homme de 46 ans à la santé mentale fragile qui était hébergé depuis plusieurs mois par la victime, est hospitalisé de son côté à Saint-Lizier dans un établissement spécialisé où il a déjà séjourné à plusieurs reprises.
Le jour du drame, le mis en cause avait appelé la fille de la victime en lui indiquant qu’il avait tué son père à coup de gourdin. Les gendarmes, arrivés sur les lieux, constataient le décès du retraité et interpellaient le suspect qui, placé en garde à vue, reconnaissait les faits. Cette garde à vue "a été levée après un examen psychiatrique qui a révélé que le mis en cause souffrait d’une pathologie mentale", a précisé à l’Associated Press Marilyn Blanc, vice-procureur de la République de Foix, pour qui les raisons de cet homicide restent "indéterminées".

"Il n’y avait pas d’animosité ou de motif de contentieux particulier, rien qui aurait laissé prévoir ce déchaînement de violence", a ajouté Mme Blanc qui précise que l’auteur présumé du meurtre du retraité, bien connu en Ariège pour son action en faveur de la réinsertion sociale et qui accueillait régulièrement à son domicile des personnes en difficulté, "souffrirait de schizophrénie". Il fait également l’objet d’un suivi sur le plan psychiatrique.
"Sur son site internet, on peut voir qu’il s’est construit un univers mystique, peu cohérent avec la réalité. A la suite de quelques événements très ponctuels, le mis en cause avait été repéré comme pouvant être dangereux et avait fait l’objet de plusieurs hospitalisations d’office", a indiqué Marilyn Blanc. Une dangerosité qui se serait surtout manifestée contre lui-même. L’homme "s’est coupé les doigts à plusieurs reprises et il ne lui reste que deux doigts entiers", a confirmé le vice-procureur.

Confiée au pôle de l’instruction du tribunal de grande instance de Toulouse, l’enquête devrait être menée par la brigade des recherches de Pamiers. "L’enjeu majeur de l’information judiciaire qui va s’ouvrir sera de pouvoir se prononcer sur la responsabilité pénale du mis en cause. Quel était son degré de conscience lors de la survenance de cet homicide ? Quelle était sa prise en charge médicale ? Prenait-il un traitement ? Ce sont des questions qui vont intéresser le juge d’instruction", a noté Marilyn Blanc. AP


L’adieu à Bruno Vair-Piova

Combien étaient-ils ? Deux cents ? Trois cents ? Difficile à dire. Hier après-midi une longue file de voitures s’étirait entre le carrefour de la route de Roquefixade et la route qui mène au village de l’Herm. Des gens de tous âges et de toutes conditions étaient venus dire adieu à Bruno Vair-Piova, décédé dans de tragiques circonstances, il y a une semaine. Bruno Vair- Piova est tombé sous les coups d’un déséquilibré qu’il avait hébergé. C’était son côté bon samaritain. Bruno Vair -Piova s’est toujours dévoué pour les autres, il s’était beaucoup impliqué dans la vie associative. Hier, dans l’assistance, il y avait Claude Delpla, ancien conseiller municipal de Foix : « Bruno était le premier président du centre culturel, moi j’ai été le dernier. » Danièle Delavergne, adjointe au maire de Foix avait du mal à cacher son émotion.

Marc Carballido, secrétaire du PS, se souvenait de l’époque du centre culturel des débuts, mais aussi de l’époque des Foyers ruraux où Bruno l’avait rejoint : « Nous avons vécu une aventure associative partagée pendant quinze ans. Encore récemment, il m’avait fait part d’un colloque qu’il comptait organiser dans les mois à venir. Il n’arrêtait jamais. Il faisait partie des hommes dont j’ai besoin de savoir qu’ils existent, pour que l’humanité mérite son nom. C’était un ami avec lequel j’ai fait un bon bout de chemin à travers la vie associative. »

Dominique Latrille, délégué du médiateur de la République, se souvient, lui, de l’homme qui a présidé le « Cerceau » de 1986 à 2002, une association qui recueillait à l’Herm des jeunes entre huit et douze ans, rejetés par leur famille ou extraits du milieu familial par les DDASS de différents départements (généralement Ile-de-France ou Bretagne).

Bruno Vair Piova qui avait connu la pauvreté à Milan, s’était dévoué dans la protection de la jeunesse et sa maison de l’Herm était devenue lieu de vie.

Publié le 18/04/2010| J.M.

source : ladepeche.fr

http://www.ladepeche.fr/article/2010/04/18/818814-L-adieu-a-Bruno-Vair-Piova.html


TÉMOIGNAGES

Bruno Vair-Piova, la mort d’un Homme de coeur

L’Ariège est en deuil.

"La silhouette de Bruno Vair-Piova était reconnaissable dans Foix. Un peu voûté, les lunettes sur le nez, il savait se montrer affable et connaissait parfaitement la cité dans laquelle il avait longtemps travaillé. Jusqu’à ce que son goût pour la culture ne rejoigne une autre préoccupation : celle de venir en aide à son prochain. « On peut sortir les gens de la galère en leur ouvrant l’esprit » croyait-il. Et il n’a eu de cesse de mettre cette affirmation en pratique.

A Castelvielh, au temps où l’association tournait sans discontinuer, le gîte et le couvert étaient accessibles à tous. Sans préjugés. Sans que personne ne pose de questions pour savoir comment et pourquoi l’autre était en déshérence. Ici pas d’interrogatoire, pas de jugement. Juste une porte ouverte par la volonté d’un homme qui croyait au salut de chacun et au fait que ce salut passait par les mots, l’écoute et la parole libre. Castelvielh était un projet culturel tout autant que social. L’amour du beau qui animait Bruno Vair-Piova, celui des livres et des arts dans leur ensemble, se doublait de celui de l’amour de ces vieilles pierres au-dessus de l’Herm qu’il avait à cœur de faire revivre.

A l’image d’un Prévert écrivant « Il y aura toujours un petit chien perdu dans le monde qui m’empêchera d’être complètement heureux », Bruno avait le souci des autres niché au plus profond de son être. Toute sa vie, dans les diverses associations et fonctions qu’il a animées ? était tendue vers cet unique but d’écouter et de servir. Tourmenté et attachant, c’était, et dans son cas les mots sont justes au sens réel, un vrai homme de cœur.
Il en est mort.

(rédigé par Mr JC Thomas, la DDM)"

source :

http://www.lepost.fr/article/2010/04/12/2028770_bruno-vair-piova-la-mort-d-un-homme-de-coeur.html


La mort d’un juste

Bruno Vayr-Piova, massacré à coups de gourdin dans l’horreur de la nuit ariégeoise. Toi qui avais tout donné, il a fallu qu’un fou prenne ta vie. Cette vie, si riche en péripéties. Toi l’étudiant "situ" de Strasbourg, en cavale dans l’Italie des années sombres. Je t’ai connu à Foix où tu essuyais les plâtres du centre culturel tout neuf, coincé entra la prison et le cimetière.

Tout de suite on a été potes, on parlait la même langue, on aimait boire ensemble, les mêmes filles nous souriaient. A Foix, ce fut un long combat contre la jalousie et la bêtise. On t’enviait ta générosité, ton goût du partage... Tu n’abusais jamais du pouvoir, tu le donnais à tous, en toute confiance. Grâce à toi, Montfa a eu son centre culturel. Un jour on transforma Montfa en village africain. On fit un rêve : une imprimerie au Sénégal. Mais les magouilleurs de tous poils firent capoter cette belle utopie. Après, ce fut la guerre. Ils t’ont "viré" comme un malpropre, ces politicards à la petite semaine, t’accusant de tous les crimes, toi le juste. On s’est battu avec toi, pour ta peau, pour l’honneur.

Et toi, toujours têtu, toujours souriant derrière tes grosses lunettes, tu t’es dévoué pour le "Cerceau". Ça aussi, on te l’a volé. Les nuisibles ont la vie dure, eux. Et maintenant, tu nous laisses dans l’horreur de cette mort indigne. Je hais ton meurtrier. Pourquoi toi ?

La dernière image de toi ! Un déjeuner d’été, à l’hôtel Gardel, au Mas d’Azil. On a une fois de plus refait le monde. Le bon vin déliait les langues. Tu parlais du futur, tu le voulais plus calme, presque sage. Tu pars dans la tempête. Ma colère t’accompagne.

Benoist Rey

Le Monde libertaire du 29 avril 2010 (page 4, "faits d’hiver")