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Les ailes du vent
Article mis en ligne le 12 avril 1998
dernière modification le 25 mai 2016

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Expirer, c’est mourir. L’inspiration, c’est la vie. La vraie vie. C’est le souffle en profondeur, à l’intérieur de l’être. Comme si le Vent, dont nul ne sait d’où il vient ni où il va, inhalé par l’être, lui insufflait l’essence des choses, la subtilité même.

Suffit-il que l’esprit du récipiendaire soit préparé, notamment par la socioculture, l’expérience, pour que le Vent vienne et le féconde ? Ou, idéalement, le Vent, avec une certaine autonomie, choisit-il celui qu’il inspirera ?

L’exemple le plus caricatural de l’inspiration est peut-être celui de l’écriture automatique, exercice auquel nombre d’écrivains ou de simples curieux se sont livrés. Les seules écoles modernes de la pensée doivent-elles expliquer cet afflux incontrôlé de phrases parfois limpides ? L’Inconscient-roi version psy-" chose " est-il à cette aune la seule clef de la livraison de textes que l’auteur même - et ici, nous sortons largement du cadre de l’écriture automatique - ne reconnaît pas à la relecture ?

Mozart (divin, chacun le sait, mais tout de même...), qui écrit d’urgence une symphonie en deux jours et une nuit, alors que tous ses feuillets d’écriture - donc aussi ses thèmes - lui sont enlevés au fur et à mesure ! Qui !...

Comment !...

Est-ce l’ange de la Coïncidence qui fait écrire à Mahler ses Kindertotenlieder (Chants des enfants morts), avant le décès des siens, bien plus tard ? Des chants qui, de son propre aveu, eussent été impossibles à créer après leur mort... Encore que, ici, nous glissons vers une autre bizarrerie de l’inspiration : la prémonition, la prescience, la divination (de " deviner "), l’intervention de l’ange du Bizarre.

La bizarrerie, c’est précisément la faculté d’en appeler à l’utilisation de ressources en soi, à priori insoupçonnées, c’est-à-dire, pour la création d’une œuvre dont la finalité nous est sans doute connue le plus souvent, l’occurrence d’une forme et d’" accidents " peu maîtrisés. " C’est moi qui ai écrit cela ? J’aurais donc peint ceci ! Comment pouvais-je savoir et exécuter, en aveugle, dirait-on, cette parcelle d’œuvre... ? "

Un plan soigneusement élaboré pour mener à bien le travail ne déjoue en aucun cas cette intervention merveilleuse. Le souffle bizarre se manifestera par une digression impromptue dans le discours, par une surprise de couleur révélée le lendemain sur la toile... Peut-être s’agit-il ici dans bien des cas de la moitié de l’œuvre (indication toute symbolique) qui est menée par cet agent... externe.

Il est des créateurs qui se sont faits les familiers de cet ange du Bizarre. Pour schématiser, mais pas à l’extrême, ils tentent de travailler avec leur cerveau droit bien plus qu’avec l’autre, celui dit de la raison. Ils travaillent leur intuition (intueri, c’est " observer "), et les signes du temps, leurs donneurs d’ordre, sont dès lors le comportement des oiseaux, la direction de la fumée, la survenue de la pluie ou du beau temps, bien plus que le CAC 40 ou la lecture du Monde diplo.

Pour ceux de ces poètes qui ont su ne pas tomber dans le panneau narcissique et sans retour du prophétisme, de l’hallucination ou d’une autre aliénation mentale que celle que nous prodiguent les guides orthodoxes de la modernité, cette vision du monde, archaïque, sait être belle et efficiente. Efficiente, parce qu’elle appréhende une réalité sans pragmatisme, certes, mais aussi vraie, acceptable, plausible - et d’une tout autre beauté - que celles plus classiques, policées et raisonnables.

Gérard Caramaro




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