Marc Prévôtel est mort le 20 février 2010 à l’hôpital de Haut-Lévêque à Pessac, en Gironde. Il avait 76 ans. On peut dire que de son enfance à ses derniers mois, à travers intempéries et intermittences, sa vie a été liée au mouvement libertaire. En parallèle à sa fidélité à la Fédération anarchiste, son engagement s’est essentiellement orienté selon deux axes : le syndicalisme et la libre-pensée.
René Fugler, qui le connaissait de longue date, revient sur son parcours et ses prises de position.
Marc est né le 22 septembre 1933 à Bordeaux. Ses parents, déjà, étaient militants. En 1935, ils ont été impliqués dans l’affaire des « stérilisations de Bordeaux », que Marc a relatée dans le n° 7 de Réfractions (1). Arrêtés fins mars avec Aristide Lapeyre, son père a été condamné à six mois de prison et révoqué de l’administration des PTT et sa mère a bénéficié d’un non-lieu après douze jours d’incarcération. Elle sera poursuivie à nouveau en 1939 pour « propos défaitistes et incitation de militaires à la désobéissance » ; autre non-lieu, après 40 jours de cellule à la prison militaire de Tours. Après la guerre, ils ont participé à la reconstitution de la Fédération anarchiste.
Après des études en classes préparatoires scientifiques à Bordeaux puis à Toulouse, Marc Prévôtel est reçu en juillet 1954 à l’Institut du génie chimique de Toulouse. Il obtient en 1957 son diplôme d’ingénieur. Au retour d’un voyage d’études de sept mois aux Etats-Unis, il se soumet après des hésitations à 28 mois de service militaire, dont huit au Sahara « loin des maquis ». En juillet 1961 il est embauché au Centre d’études nucléaires de Fontenay-aux-Roses, et titularisé deux ans plus tard au CEA (Commissariat de l’énergie atomique) en échappant à un rapport de police arrivé trop tard. En 1964 il est muté à Saclay, puis en 1967 à La Hague.
Adhérent à Force ouvrière, il est nommé à l’automne 1962 à la commission des conflits du SNEN (Syndicat national de l’énergie nucléaire). Deux ans plus tard, il est élu au comité exécutif national de ce syndicat puis en 1966 il devient membre du bureau national. Au printemps 1969, il participe au congrès confédéral de FO, mandaté par le syndicat de la La Hague, qu’il lance à la fin de l’année dans une grève de 18 jours. En février 1971, les syndicats hostiles au passage de la Fédération Chimie à la CFDT décident le maintien de la Fédéchimie FO : Prévôtel est élu au comité national (commission exécutive fédérale) et sera réélu à chaque congrès, son dernier mandat s’achevant en avril 1994. En 1973 il est muté à Grenoble. A partir de janvier 1974, il devient permanent de l’Union nationale des syndicats de l’énergie nucléaire, de la recherche et des industries connexes, nouvelle structure adoptée par le SNEN.
Se sentant trop « électron libre » à FO, Prévôtel se rapproche à parti de 1967 de l’Union des anarcho-syndicalistes (UAS) créée en 1960 par Alexandre Hébert, secrétaire général de l’union départementale de Loire-Atlantique de Force ouvrière, qu’il a rencontré pour la première fois en 1961 au congrès de la Fédération anarchiste à Montluçon et Jo Salamero, dont il a fait la connaissance également à la FA. L’UAS se dissout en 1969 ou 1970 pour faire place à l’Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste qui regroupe des militants de FO, de la CGT, de la CFDT et de la FEN. Mais l’entente ne dure pas longtemps entre le noyau FO et les adhérents de la CFDT jugée corporatiste et pas assez « déconfessionnalisée » ; Prévôtel quitte donc l’Alliance début 1974. Se sentant à nouveau électron libre, « position déjà délicate a priori et extrêmement dangereuse (pour un anarcho-syndicaliste militant dans une organisation réformiste) quand on est permanent », Marc se retrouve avec Hébert et Salamero en 1975 pour reconstituer l’UAS et republier l’Anarcho-syndicaliste, auquel il collaborera jusqu’à sa mort. C’est dans les réunions régulières et les débats de l’UAS, dit-il, que ses positions passent d’un stade idéologique à un stade politique.
L’UAS aura été aussi une des zones de turbulences traversées par Prévôtel, dans la mesure où elle a été considérée avec méfiance par une partie du mouvement libertaire qui la soupçonnait de trotskisme (lambertiste). Une des raisons de la suspicion était la présence d’Alexandre Hébert, secrétaire général de l’union départementale de Loire-Atlantique de FO de 1947 à 1992, qui vient lui aussi de décéder le 16 janvier de cette année à 88 ans, et qui a été présenté par les uns comme la dernière figure historique du mouvement anarchiste, par d’autres comme un homme d’appareil et de réseaux. Il reste à faire la part des choses, sans doute faudra-t-il un peu de recul. Prévôtel lui était resté fidèle, en affirmant toujours l’indépendance de l’UAS et de son journal, tout en reconnaissant l’adhésion de quelques camarades au Parti des travailleurs, devenu le POI (Parti ouvrier indépendant), où s’exprime effectivement un « courant anarcho-syndicaliste ». Hébert de son côté reconnaissait son amitié pour Pierre Lambert, tout en maintenant qu’il n’avait jamais appartenu à aucune de ses organisations. A l’intérieur de FO, le courant « lutte de classe » a réuni des anarchistes et des trotskistes pour s’opposer aux tendances réformistes de la confédération.
La même polémique a surgi aussi autour de la Fédération nationale de la libre pensée, dont Marc était adhérent actif, quand il a été question en 1995 d’un coup de force trotskiste sur la Fédération. Du point de vue de Marc il s’agissait avant tout pour l’UAS de contrecarrer une prise de pouvoir par les « mitterrandistes », « l’action capitulatrice des idéologues ‘union de la gauche’ prêts à se coucher devant les socio-curés qui avaient envahi le nouveau PS depuis Epernay ». Il aimait rappeler une déclaration de René Rémond affirmant qu’après les législatives de 1981 un tiers des députés socialistes étaient des anciens des mouvements d’action catholique. D’où le choix d’une alliance avec des militants du PCI, ce qui le fait accuser à la FA d’être un sous-marin du parti lambertiste. En janvier 1981, l’UAS participe à la création d’un « Comité pour l’appel aux laïques » dont Prévôtel sera quelque temps le secrétaire. Il sera membre aussi de la Fédération des cercles de défense laïque et de la rédaction de son mensuel Laïcité.
« L’action menée par l’UAS et ses alliés depuis 20 ans a permis, pour le moment, en France d’empêcher que deux organisations basculent dans le camp des recomposeurs néo-cléricaux : La CGTFO et la Libre Pensée ; mais le combat est de tous les instants, n’est jamais définitivement gagné. » (Prévôtel, 1994).
En 2008, il s’est encore vu attribuer le Grand prix Ni dieu ni maître pour son recueil d’articles sur « Cléricalisme moderne et mouvement ouvrier » publié par la Fédération nationale de la libre pensée et les Editions libertaires (compte-rendu dans le n° 22, printemps 2009, de Réfractions). Souvenir personnel : la dernière fois que j’ai vu Marc, c’est quand il est venu à Strasbourg pour un colloque de la Libre Pensée en 2001. Nos relations se sont poursuivies par courrier, le sien toujours accompagné des derniers numéros de l’Anarcho-syndicaliste.
L’article du Monde libertaire (4 mars) consacré par Hugues Lenoir à Marc Prévôtel se donne comme sous-titre « 58 ans de Fédération anarchiste ». Dés octobre 1952, Marc a adhéré au groupe Sébastien Faure de Bordeaux, et il a rejoint avec lui la Fédération anarchiste reconstituée fin 1953. Poursuivant ses études à Toulouse, il milite au groupe FA de Toulouse dont il devient le secrétaire pendant deux ans et qu’il représente aux congrès de 1955 (c’est là que nous avons fait connaissance) et de 1956. En 1961, il est coopté au comité de lecture du Monde libertaire, l’année suivante il est nommé secrétaire aux relations internationales, responsabilité qu’il assure pendant trois ans.
Suite à l’interdiction par De Gaulle de la presse espagnole de l’exil, il accepte par ailleurs la fonction (nominale) de directeur légal d’Action libertaire, publication « française » (avec des pages en espagnol) de la FIJL (Fédération ibérique des jeunesses libertaires).
Après le congrès de Bordeaux de 1967, ses scissions et les conflits qui les ont précédées, il prend ses distances avec la FA pendant une dizaine d’années tout en maintenant son adhésion. Sans être partie prenante dans les divisions, il avait été durement mis en cause pour ne pas avoir adopté les positions isolationnistes et sectaires dirigées d’abord contre les groupes proches des situationnistes mais aussi contre les tentatives d’actualisation menées par Recherches libertaires (auxquelles je participais). A partir de là, il s’engage plus fortement dans l’action syndicale et commence à assister aux réunions de l’UAS.
Quand il s’installe dans la région parisienne en 1974, il adhère au groupe Louise Michel de la FA. Et c’est grâce à son entremise et à ses relations syndicales que Publico (qui est une coopérative) a pu obtenir le prêt de la BCCM (Banque centrale des coopératives et de la mutualité) qui lui a permis en 1980 de déménager de la rue Ternaux vers la rue Amelot. Mais la bonne entente ne dure pas, et tout à fait réticent aux idées écologistes qui gagnent du terrain, il finit par quitter le groupe Louise Michel pour retourner au groupe Sébastien Faure de Bordeaux. Je me rappelle que Marc s’est tôt méfié du mouvement écologiste. Il y avait là certainement une part de « déformation professionnelle », mais le rationaliste intransigeant qu’il était y percevait aussi des arrière-plans mystiques.
Il n’a jamais reculé devant les polémiques, il avait même, son écriture le prouve, un goût certain de la polémique. Il avait son franc-parler, mais tenait aussi la libre expression des autres. Il était, sans connotation péjorative, un « anarchiste de tradition », de tradition française, qui se méfiait des « ravages des idées à la mode » et tenait ferme à ses positions parfois intempestives. Il a mis en exergue d’un de ses articles dans l’Anarcho-syndicaliste (juin 2008) cette citation de Milan Kundera : « Etre dans le vent est une ambition de feuille morte ». Il considérait Réfractions comme une revue « moderniste ». Son tempérament sociable et généreux le préservait cependant des rancoeurs, les divergences d’opinions et même les affrontements n’empêchaient pas le maintien ou la reprise des relations. « Je me suis toujours efforcé de pratiquer une dichotomie entre la raison et les sentiments, m’a-il écrit, ce n’est pas toujours facile et parfois on y parvient mal. ».
Pour des raisons de santé, Marc a pris sa retraite en 1994 et s’est retiré à Langon, en Gironde, avec Anna, sa compagne. Tout en maintenant le contact avec ses amis et les compagnons de ses combats, et en continuant de défendre les idées qui avaient orienté sa vie.
René Fugler, mars 2010.
(1) "Les stérilisés de Bordeaux"
http://www.plusloin.org/refractions/refractions7/prevotel_sterelisation.htm
Sources :
Marc Prévôtel, Notice biographique, Langon, 24 mars -3 avril 1994 (22 pages inédites).
Hugues Lenoir, « Marc Prévôtel, 58 ans de fédération anarchiste », Le Monde libertaire, 4 mars 2010.
En ligne : http://ml.federation-anarchiste.org/article4402.html
Notices biographiques d’André et Andrée Prévôtel :http://militants-anarchistes.info/
Pour lire le témoignage de Jo Salamero :
http://www.libre-pensee-25.org/spip.php?article129